Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du 10 décembre 2014 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine :

J'avoue être impressionné par le brillant parcours de Mme Courrèges, qui plaide en faveur de sa nomination à la tête de la prestigieuse Agence de la biomédecine, appelée à relever des défis majeurs sur les plans sanitaire, sociétal, éthique et économique.

Tout votre talent, madame, sera requis pour succéder à Mme Prada-Bordenave, qui a été une excellente directrice générale, et pour faire progresser l'Agence dans les nombreuses missions qui lui sont fixées et qui ont été étendues au fil des années, sans que les moyens aient été multipliés en proportion. Les transplantations d'organes, de tissus et de cellules, le domaine de la reproduction, l'embryologie et la génétique humaines restent des questions particulièrement sensibles dans la société française d'aujourd'hui.

À la différence d'autres agences sanitaires nationales, l'Agence de la biomédecine n'a pas prioritairement un rôle de police sanitaire ni d'évaluation des produits et techniques : elle a avant tout un rôle opérationnel. C'est une organisation importante, non seulement au niveau central, mais également au niveau déconcentré, dans chacun de nos territoires, où il existe de grandes disparités qu'il importe de corriger, que ce soit en métropole ou plus encore dans les territoires d'outre-mer.

Vous serez vraisemblablement bientôt immergée dans un océan de notions en génétique. Vous aurez alors la confirmation que si les gènes ne gouvernent pas tout, leur rôle n'en est pas moins important. Si l'on se réfère au cas de deux jumelles, qui ont donc les mêmes gènes et qui ont toutes deux mené une brillante carrière, l'une dans la haute administration, puis en tant que conseillère du Président de la République dans le domaine de l'éducation, l'autre dans le domaine sanitaire, à la tête d'une agence régionale de santé (ARS) et comme conseillère du Premier ministre dans le secteur de la santé, on ne peut qu'être persuadé que vous possédez tous les gènes requis pour mener à bien l'importante mission qui va vous être confiée. Du reste, au début de votre formation, vous avez été élève-directeur d'hôpital. J'imagine que rien ne vous échappe des défis que vous aurez à relever dans les prochaines années.

Vous avez évoqué le rapport de la mission « santé » du PLF 2015, qui portait principalement sur l'Agence de la biomédecine. Dans ses conclusions, j'avais insisté sur la nécessité, pour la future directrice générale, de disposer d'un financement pluriannuel ou au moins d'indications assez précises sur le financement des années à venir : presque toutes les actions que vous aurez à conduire s'étalent sur de nombreuses années et les résultats ne peuvent être escomptés en quelques mois. Il est donc nécessaire d'avoir une certaine sécurité en matière budgétaire.

Ce même rapport évoque la nécessité de faire vivre les acteurs de terrain qui, pour l'instant, sont insuffisamment soutenus et qui demandent un peu plus d'enthousiasme et de stimulation pour les aider à accomplir des missions très difficiles et très disparates dans les différents territoires. Pour les personnes inscrites en vue d'une transplantation, selon les régions, en métropole, les chiffres vont du simple au double. Si 87 % des personnes dialysées susceptibles d'être greffées sont inscrites en Île-de-France, elles ne sont que 37 % dans le Nord, soit moins de la moitié, et 36 % en PACA. Il y a là un effort considérable à faire.

Inscrire tous les malades susceptibles d'être greffés est peut-être un voeu pieux, dans la mesure où il y a un déficit d'organes. Cela étant, il y a là une inégalité que nous ne pouvons pas accepter. Nous devons relever le défi. Les chances pour être transplanté sont moindres chez les femmes, chez les personnes dialysées dans des centres privés, dans certaines régions et chez les personnes ayant peu de formation ou peu de diplômes.

En outre, la tarification actuelle défavorise la transplantation par rapport à la dialyse, alors que la transplantation rénale, notamment, fait faire d'énormes économies à notre pays. Il faut compter 89 000 euros pour chaque année de dialyse contre 20 000 euros pour une transplantation, dès la fin de la première année. Il est donc nécessaire d'avancer très vite dans ce domaine.

Enfin et surtout, il faudrait augmenter de plus de 50 % le nombre d'organes disponibles pour les greffes. En 2013, 4 467 patients étaient inscrits pour une greffe rénale, mais 3 074 seulement ont été greffés. Il reste, de surcroît, à résorber les 14 000 patients inscrits et non satisfaits aujourd'hui. L'effort à faire est donc énorme : il faut augmenter l'accès aux reins de donneurs vivants et aux organes prélevés chez les personnes décédées, et faire baisser le nombre de refus. Pourquoi enregistre-t-on 40 % d'oppositions au prélèvement en France, alors qu'il y en a moins de 20 % en Espagne ? Nous avons tous confiance en vous, madame Courrèges, pour corriger cela. Sachez que nous vous accompagnerons sur le plan législatif, afin que soient adoptées les mesures permettant de résorber la pénurie d'organes et de satisfaire de façon égalitaire tous les patients qui en ont besoin.

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