Selon les documents rendus publics par le ministère des finances, l'adoption de cette disposition ferait rentrer 250 millions d'euros dans les caisses de l'État dès 2015 et participerait donc à la réalisation de l'objectif annoncé de 3,5 milliards d'euros d'économies. Pour ma part, je conteste formellement l'exposé des motifs de cet amendement, qui évoque une préparation « dans la précipitation » ou laisse entendre qu'elle susciterait débat.
La lutte contre la fraude fiscale vise non seulement à sanctionner les contrevenants, mais aussi à faire rentrer en France l'argent qui en est illégalement sorti et à l'y taxer. Contrairement à ce qui est dit, l'article ne supprime pas les pénalités en cas de manipulation des prix de transfert, permettant à une entreprise de transférer des bénéfices à l'étranger.
L'imposition d'office est maintenue, puisque les bénéfices sont réintégrés aux résultats. Les profits reviennent en France et y sont taxés à 38 %. Les pénalités peuvent s'élever à 40 % s'il s'agit d'une manipulation de prix de transfert – voire à 80 % s'il y a abus de droit. Le taux de prélèvement atteint en règle générale 78 %.
Le mécanisme actuel, victime de divergences de compréhension, prévoit en outre que les profits transférés à l'étranger sont réputés être taxés à hauteur de 30 % à la source, en vertu d'un texte des années 1960. Au total, la taxation s'élève finalement à 108 %. À un niveau aussi confiscatoire, elle est susceptible d'être annulée par la Cour de justice de l'Union européenne. Les entreprises refusent en tout cas de passer un compromis avec les services du ministère des finances, préférant invoquer les conventions fiscales ou se réserver la possibilité d'un recours devant le juge administratif, dont personne ne connaît l'appréciation in fine.
Actuellement, aucun dossier de contentieux fiscal ne parvient à se régler, les entreprises peuvent être contraintes par les commissaires aux comptes de provisionner les sommes réclamées dans leurs comptes, dès lors que le contrôle est engagé, et l'argent ne rentre pas dans les caisses de l'État. Nous proposons de conditionner l'absence de retenue à la source au retour en France des profits transférés par le mécanisme des prix de transferts. Une fois revenus chez nous, ces produits seront taxés en fonction de l'usage qu'en fait l'entreprise : participation salariale, versement de dividendes en France ou réinvestissement. Pourquoi maintiendrait-on un prélèvement d'office de 30 % sur des fonds qui n'ont pas été dépensés à l'étranger, puisqu'ils sont revenus chez nous ? Il ne faut pas confondre une mesure de redistribution et une pénalité.
Aux termes du dispositif, l'entreprise reconnaît l'appréciation du niveau exact des prix de transfert, donc du montant des profits transmis illégalement à l'étranger. Elle accepte les pénalités et rapatrie les fonds en France. Dès lors, il n'y a plus à soulever de question de principe. Je souligne d'ailleurs que la doctrine fiscale a évolué : jadis, quand les fonds étaient rapatriés, on n'appliquait pas le prélèvement à la source, alors qu'on le fait aujourd'hui. Plutôt qu'une doctrine fiscale opaque, mieux vaudrait un dispositif clarifié par le législateur. Celui que nous proposons est simple, transparent et parfaitement verrouillé.
Certes, son application ne mettra pas fin au contentieux, nous dit-on, car l'entreprise pourra contester le montant des pénalités ou les prix des transferts. Mais l'hypothèse est peu vraisemblable. Quelle entreprise ayant transféré illégalement des fonds à l'étranger et ayant accepté de payer des pénalités contesterait devant le juge des chiffres qu'elle a admis elle-même ? Si nous envisageons ce cas d'école, c'est seulement pour que le Conseil constitutionnel ne nous reproche pas de n'avoir pas prévu de recours. Le dispositif, dont l'adoption me semble indispensable, s'apparente aux mesures qui s'appliquent aux sommes appartenant aux personnes physiques.