L'an dernier, la Cour avait constaté un déficit social historiquement sans précédent, aggravant une spirale de la dette dangereuse pour la pérennité même de notre protection sociale. Cette dette est devenue le poison de la sécurité sociale, le déficit des comptes sociaux étant, par lui-même, une anomalie.
Le rapport de cette année montre que le déficit a certes commencé à diminuer mais qu'il demeure à un niveau trop élevé. La dette sociale continue de s'accroître. L'impératif d'élimination des déficits des comptes sociaux reste d'une urgente actualité, comme l'a également indiqué le Président de la République devant la Cour le 7 septembre dernier.
Le rapport éclaire l'ampleur de l'indispensable redressement. Il montre que celui-ci est possible en identifiant de nombreuses marges de manoeuvre mobilisables par une meilleure maîtrise des dépenses et une remise à plat des niches sociales et fiscales. Il conduit à quatre grandes conclusions : malgré les mesures déjà arrêtées, l'essentiel du chemin reste à faire pour parvenir à l'équilibre des comptes sociaux et mettre fin à l'augmentation de la dette sociale ; les réformes de structure et d'organisation sont les gages les plus sûrs d'un retour à l'équilibre durable des finances sociales ; une plus grande responsabilisation des acteurs conduirait à une meilleure efficacité de la protection sociale pour un moindre coût et permettrait d'exploiter d'importants gisements de productivité à tous les niveaux ; enfin l'effort de redressement offre l'opportunité d'une évolution de la protection sociale vers davantage de justice et de solidarité, principes fondateurs de notre système de sécurité sociale.
L'essentiel du chemin reste encore à parcourir pour parvenir à l'équilibre des comptes sociaux. Leur situation financière reste extrêmement préoccupante même si le redressement a été engagé en 2011. Le déficit de l'ensemble des régimes obligatoires de base et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), soit le périmètre le plus large incluant notamment le régime général, ceux des travailleurs indépendants et la mutualité sociale agricole, a certes amorcé un repli. Mais il reste à un niveau exceptionnellement élevé, de 23,1 milliards d'euros, après avoir atteint, en 2010, le niveau sans précédent de 29,8 milliards. À l'intérieur du périmètre plus restreint comprenant seulement le régime général et le fonds de solidarité vieillesse, le déficit a atteint 20,9 milliards en 2011, soit 1 % du PIB, contre 28 milliards en 2010, soit plus du double de celui des années 2007 et 2008 qui précédaient la crise économique. Les avis rendus par la Cour sur la cohérence des tableaux d'équilibre et du tableau patrimonial, qui seront joints au projet de loi de financement de la sécurité sociale, attestent de l'état dégradé des comptes sociaux.
L'amorce d'amélioration constatée en 2011 s'explique, avant tout, par une bonne tenue de la masse salariale, par l'apport de ressources nouvelles et par une modération des dépenses, avec le respect pour la deuxième année consécutive, et la troisième fois seulement depuis son institution, de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM). Un pilotage plus fin et plus ferme de cet objectif ainsi qu'un niveau de dépenses inférieur aux prévisions de l'année précédente ont conduit à ce résultat appréciable. Mais ce début de redressement ne doit pas masquer le constat essentiel : les déficits sociaux se maintiennent à un niveau considérable. Le déficit du régime général en 2011 est le troisième plus élevé de son histoire, après ceux de 2009 et de 2010 et l'impact de la crise économique n'en explique qu'un tiers. Les deux autres tiers, soit 0,6 point de PIB, ou 12 milliards d'euros, revêtent un caractère structurel qui se situait encore, en 2011, dans la moyenne de la dernière décennie : l'essentiel reste donc à accomplir pour revenir à l'équilibre.
La répétition, année après année, des déficits sociaux reste une spécificité française : aucun de nos voisins européens n'accepte un déséquilibre aussi durable de ses comptes sociaux. Le besoin de financement des administrations sociales, concept un peu plus large que celui de la seule sécurité sociale puisqu'il comprend aussi l'assurance chômage et les régimes complémentaires de retraite, s'élève à 0,6 point de PIB en 2011, alors qu'il est nul pour la moyenne des pays de la zone euro et excédentaire, également de 0,6 point, en Allemagne.
Les déficits des régimes de sécurité sociale se trouvant une nouvelle fois supérieurs à la capacité de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES), qui se monte à 11,2 milliards d'euros, la dette sociale a continué d'augmenter, avec un encours de 147,4 milliards d'euros à la fin de 2011. Pour illustrer la longueur du chemin qui reste à parcourir, il suffit de rapprocher ces presque 150 milliards d'euros de dette sociale des 60 milliards d'euros de dettes amorties par la CADES depuis sa création en 1996.
Pour 2012 et les années suivantes, la Cour a actualisé ses prévisions au 1er septembre en partant des estimations de la commission des comptes de la sécurité sociale du 5 juillet dernier et en intégrant les mesures que vous avez adoptées cet été. Elle observe ainsi que le rythme de réduction des déficits sociaux marque le pas. Malgré les nouvelles ressources apportées par la loi de finances rectificative du 16 août dernier, le déficit du régime général devrait être, en 2012, supérieur de près d'un milliard aux objectifs fixés par la loi de financement pour 2012, soit 14,7 milliards d'euros contre 13,8 milliards d'euros en l'état actuel des décisions prises. Une nouvelle reprise de dettes apparaît donc indispensable dès la clôture de l'exercice 2012. Car si le transfert à la CADES jusqu'en 2018 des déficits prévisionnels de l'assurance vieillesse et du FSV est déjà organisé et financé, ce n'est pas le cas de ceux des branches maladie et famille, qui devraient atteindre plus de 9 milliards d'euros en 2012. Ce transfert inéluctable nécessitera un surcroît de ressources pour la CADES : si, comme la Cour l'a précédemment préconisé, il passait par un relèvement du taux de la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS), ce dernier devrait alors passer de 0,50 % à 0,56 % en 2013.
Faute de nouvelles mesures de redressement, une spirale alarmante des déficits sociaux persisterait au-delà de 2012. En tenant compte de la dernière loi de finances rectificative et en retenant des hypothèses économiques prudentes, le déficit de l'assurance vieillesse et du FSV perdurerait après 2018 à un niveau de l'ordre de 9 milliards d'euros par an. Concernant l'assurance maladie, la Cour met en évidence deux scénarios à prélèvements obligatoires constants pour illustrer l'effort sur la dépense nécessaire afin de rééquilibrer la branche. Le premier permet un retour à l'équilibre en 2017 avec une croissance annuelle de l'ONDAM de 2,35 % à partir de 2014. Si ce taux demeurait à hauteur de 2,7 % au-delà de 2013, le déficit ne disparaîtrait que deux ans plus tard, en 2019. Dans la branche famille, les ressources diminuent progressivement et le déficit devrait être de l'ordre de 2 milliards d'euros par an, en l'absence de mesures nouvelles, en dépenses comme en recettes. Sans efforts complémentaires de redressement, près de 60 milliards d'euros de dettes sociales s'accumuleraient ainsi avant la fin de la décennie, en plus des 62 milliards d'euros que la loi a déjà prévu de transférer à la CADES au titre de la branche vieillesse et du FSV, de 2011 à 2018.
La dette sociale, je l'ai dit, constitue une anomalie profonde dès lors qu'elle pèse sur les générations futures. Le pays consacre déjà, chaque année, plus de 15 milliards d'euros de ressources publiques pour financer son remboursement et ses intérêts, soit deux fois plus que les dépenses budgétaires de l'État en faveur de la ville et du logement. La faiblesse conjoncturelle des taux d'intérêt ne saurait justifier une inflexion de la trajectoire de retour à l'équilibre des comptes sociaux ni la tentation de différer les transferts de dettes à la CADES, lesquelles doivent être financées, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, par des ressources suffisantes sans dégradation de l'équilibre financier de la sécurité sociale.
Pour éclairer les choix, et dans la continuité de ses rapports précédents, en particulier celui de l'an dernier, la Cour a examiné, dans les dix-huit thèmes qu'elle aborde cette année, 80 milliards d'euros de recettes et 40 milliards d'euros de dépenses. Cet examen l'a conduite à formuler un deuxième message : les réformes de structure et d'organisation représentent le gage le plus sûr d'un retour à l'équilibre durable des finances sociales. Encore faut-il que l'on soit attentif à leur conduite et à leur pilotage de manière à en dégager tous les effets attendus.
La Cour a ainsi étudié le financement de la sécurité sociale par l'impôt. Elle constate qu'à côté des cotisations sociales et de la contribution sociale généralisée (CSG), les impôts et taxes affectés constituent désormais le troisième pilier des ressources de la sécurité sociale. En 2011 ceux-ci représentaient 12 % des recettes des régimes de base, soit 54 milliards d'euros, à comparer aux 16 % tirés de la CSG. Ils ont connu une forte progression ces dernières années, notamment pour compenser le coût des allégements de charges sociales, et devraient atteindre environ 60 milliards d'euros en 2013. Or ce mode de financement est instable, peu lisible et peu responsabilisant pour l'ensemble des acteurs : il est fondé sur un foisonnement d'impôts – plus d'une cinquantaine –, avec des assiettes différentes – essentiellement la consommation (49 % du produit total) et les rémunérations (26 %) – qui n'évoluent pas de manière plus dynamique que la masse salariale. On ne peut donc attendre de l'évolution spontanée de ces impôts une contribution significative au rééquilibrage des comptes. La répartition de la ressource fiscale entre les différentes branches s'avère en outre d'une grande complexité, faisant désormais du financement de la sécurité sociale une affaire d'experts. C'est pourquoi la Cour appelle à une réflexion d'ensemble sur la place des ressources fiscales afin que le financement de la sécurité sociale redevienne un ensemble cohérent, transparent et stable. Ce qui exigera sans doute une réduction du nombre des impôts et taxes affectés.
Sans négliger la priorité absolue donnée à la maîtrise de la dépense et en raisonnant à niveau de ressources constant, différentes voies devraient être examinées. La Cour évoque notamment une augmentation de la fraction de TVA alimentant la sécurité sociale, le renforcement de la fiscalité environnementale et l'affectation de son produit à la protection sociale. Une discussion unique au Parlement de la loi de finances et de la loi de financement de la sécurité sociale, suivie d'un examen commun des recettes, devrait permettre de mieux prendre en compte la mesure des enjeux et des voies d'action possibles. En tout état de cause, la stabilisation du dispositif d'affectation des taxes pour compenser les exonérations de charges sociales pourrait conduire à les intégrer dans le barème des cotisations sociales, mettant ainsi fin à l'affichage d'un niveau de prélèvements sur les salaires supérieur à la réalité.
L'examen d'une réforme structurelle des régimes spéciaux de retraite de la SNCF et de la RATP montre que l'aspect symbolique des changements opérés a été privilégié au détriment de leur contribution à l'équilibre des finances publiques. L'objectif d'harmonisation avec la fonction publique, poursuivi par les réformes entreprises en 2007 et en 2008, a été en partie atteint au prix du décalage de certains ajustements, qui se prolongera jusqu'en 2022. Il en va notamment ainsi de l'augmentation de la durée de service et d'âge pour pouvoir partir en retraite. Surtout, de nombreuses mesures de compensation conduisent à des surcoûts élevés pour les entreprises, particulièrement la SNCF. Ses agents ont bénéficié d'avantages appréciables et, parfois, de réels effets d'aubaine, que n'ont connus ni les salariés du secteur privé ni les fonctionnaires dans le cadre des réformes de leurs régimes de retraite. Les résultats prévisibles sont insuffisants pour garantir la soutenabilité financière de ces régimes et alléger la charge de l'État, qui leur verse près de 3,7 milliards d'euros de subventions d'équilibre en 2012, soit plus de la moitié de leurs ressources totales. Le bilan global de la réforme serait encore négatif pour la prochaine décennie et sans doute seulement légèrement positif pour les vingt ans qui viennent. Le rendez-vous de 2013 prévu par la loi sur les retraites éclairera plus largement les enjeux des réformes correspondantes et la nécessité de franchir de nouvelles étapes pour favoriser une plus grande équité.
La Cour appelle en troisième lieu à une amélioration de la fluidité du parcours sanitaire des patients bénéficiant de soins de suite et de réadaptation (SSR), autrement dit de soins hospitaliers de rééducation, de réadaptation à la vie quotidienne et de surveillance médicale de la convalescence. Situé à la charnière de la médecine de ville, du court séjour hospitalier et des prises en charge sociales ou médico-sociales, regroupant près de 1 800 établissements et accueillant chaque année 900 000 patients, ce secteur représente un enjeu important, bien que méconnu, générant des dépenses de l'assurance maladie estimées à 7,8 milliards d'euros en 2012. L'enquête de terrain conduite par la Cour et 14 chambres régionales des comptes montre que ces activités ont connu une expansion rapide mais sans véritable analyse des besoins. En outre, les patients peuvent être confrontés à des blocages, des délais excessifs, des orientations inadéquates et coûteuses pour leur entrée comme pour leur sortie de ces services : de 10 à 20 % des places sont occupées par des patients, soit qui devraient être pris en charge à domicile ou dans le secteur médicosocial, soit qui, au contraire, sont sortis trop tôt d'un établissement de court séjour. L'amélioration rapide du fonctionnement de la filière et la réalisation de gains d'efficience doivent donc constituer une priorité des agences régionales de santé, avant même d'envisager le passage à une tarification à l'activité qu'il serait prématuré de mettre en oeuvre dès 2013 comme initialement prévu.
Au titre des réformes d'organisation évoquées par la présidente de la Commission, la Cour a étudié les conditions de mise en place des 26 agences régionales de santé. La réussite de cette réforme devrait bénéficier autant aux patients, avec une approche globale et cohérente de l'offre de soins, qu'à la maîtrise des plus de 170 milliards d'euros de dépenses d'assurance maladie. Les agences, créées en 2009, ont été installées rapidement et dans des conditions satisfaisantes. Cependant, elles ne disposent pas encore des marges de manoeuvre suffisantes vis-à-vis des autres acteurs, qu'il s'agisse des préfets, de l'assurance maladie ou de l'administration centrale. En outre, elles n'ont un véritable pouvoir de décision que sur moins de 2 % des dépenses d'assurance maladie, soit 3 milliards d'euros malgré la création récente du Fonds d'intervention régional qui élargit un peu leurs possibilités d'action. Il apparaît désormais urgent de les doter des leviers indispensables à leurs missions, notamment des systèmes d'information et d'accès aux bases de données de l'assurance maladie.
La Cour a également étudié l'incidence de la création du Régime social des indépendants (RSI) en 2005. On voulait alors simplifier la gestion de la protection sociale des artisans, des commerçants et des professions libérales, notamment par le transfert du recouvrement de leurs cotisations aux URSSAF et par la mise en place, en 2008, d'un interlocuteur social unique. La réforme a provoqué des difficultés majeures pour nombre d'assurés, avec des risques de pertes de droits. À titre d'exemple, des assurés n'ont pu bénéficier de remboursements faute de carte Vitale, parfois sur des périodes de plusieurs mois. Plus de 20 000 d'entre eux ont été immatriculés avec deux ans de retard. À la mi-2011, les droits à retraite n'étaient pas à jour pour 25 à 40 % des comptes. On a aussi déploré des défauts d'encaissement de cotisations, à hauteur d'un à un milliard et demi d'euros en 2010, qui ont pesé sur les comptes sociaux, même si ce bilan reste provisoire. Certes, depuis la fin de 2011, de nombreux chantiers progressent mais le nouveau régime est encore aujourd'hui moins efficace et plus coûteux que les trois précédents. On peut, à propos de cette réforme ratée, parler d'un véritable accident industriel. Le rétablissement de la fonction de recouvrement est une priorité absolue, surtout pour un régime structurellement déficitaire et dont l'équilibre dépend d'un impôt affecté.
Le troisième constat de la Cour porte sur l'exigence d'une plus grande responsabilisation des acteurs de la protection sociale afin de mobiliser de nouvelles marges d'efficience. Ainsi la Cour a-t-elle conduit une enquête approfondie sur les transports de patients par les ambulances, les véhicules sanitaires légers (VSL) et les taxis, prestations de plus en plus nécessaires au bon fonctionnement du système de soins. La prise en charge de ces transports a bénéficié à cinq millions d'assurés en 2010, pour un coût global de 3,5 milliards d'euros à la charge de l'assurance maladie. Cette dépense a augmenté au rythme soutenu de 63 % au cours des dix dernières années. Elle représente désormais à elle seule l'équivalent de la moitié des remboursements des consultations de médecins généralistes en ville. Or des économies substantielles pourraient être obtenues par une plus grande responsabilisation des acteurs, ce dont témoigne la très grande variabilité du recours aux transports sanitaires selon les départements. Celui-ci varie en effet d'un à trois sans qu'aucune explication géographique puisse être fournie. Par exemple, dans les départements de l'Ain et de la Savoie, on dénombre 0,3 trajet par habitant en 2010, mais près d'un trajet par habitant dans les Bouches-du-Rhône, la Somme ou la Creuse.
La maîtrise de la dépense exige la mise en oeuvre d'un pilotage plus ferme des prescriptions pour qu'elles respectent plus strictement la règle de l'établissement approprié le plus proche. Ainsi la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise a mis en évidence, au travers de l'observation des transports prescrits pour les patients dialysés d'une clinique locale, que l'application effective de ladite règle se traduirait par une économie de plus de 30 % des dépenses concernées. La Cour recommande donc que certaines modalités de prise en charge soient redéfinies de façon plus rigoureuse et que le contingentement de l'offre de transport soit rendu plus efficace : le dispositif actuel facilite un suréquipement considérable en remplaçant les VSL par des taxis dont le nombre n'est pas plafonné. Le parc d'ambulances et de VSL est ainsi, dans les départements de la Somme et de la Réunion, plus de deux fois supérieur à ce qu'il devrait être. Ce dépassement atteint 65 % dans l'Aisne et 54 % en Seine-Saint-Denis. La maîtrise des dépenses passe aussi par un contrôle plus rigoureux de l'assurance maladie, notamment de la facturation par les transporteurs, et par un renforcement de la lutte contre la fraude, dont l'impact paraît très sous-évalué et la constatation rarement sanctionnée, comme dans les Bouches-du-Rhône. Au total, la Cour formule des propositions détaillées permettant d'économiser 450 millions d'euros par an, soit 13 % de la dépense totale, sans fragiliser pour autant l'accès aux soins.
Dans le même esprit, la Cour a analysé de façon approfondie les indemnités journalières pour maladie, servies par le régime général. Là encore, une plus grande responsabilisation des acteurs constituerait un levier d'économies pour des dépenses s'élevant à 6,4 milliards d'euros en 2011. Très dynamiques, elles ont progressé de près de 50 % sur la dernière décennie. Pourtant, les inégalités que la Cour a constatées, en termes de fréquence et de durée des arrêts, demeurent largement inexpliquées : d'un département à l'autre, la durée des journées indemnisées par salarié peut être multipliée par cinq. En 2010, 2,7 journées par salarié ont été indemnisées à Paris, contre 13 dans l'Ain et dans le Var. Alors que le nombre moyen de journées prescrites par médecin généraliste chaque année est de 2 700, les 10 % de médecins les plus actifs en la matière en prescrivent trois fois plus, soit 7 900. La gestion des indemnités journalières mobilise près de 10 % des effectifs de l'assurance maladie, soit 5 300 équivalents temps plein, avec un coût élevé et sans que la qualité de service soit satisfaisante : la Cour a ainsi observé des délais de règlements aux assurés pouvant atteindre plusieurs centaines de jours. Une vraie politique de régulation suppose de redéfinir les méthodes de contrôle ainsi qu'un pilotage plus ferme et plus responsabilisant de l'ensemble des acteurs, assurés sociaux, entreprises et corps médical. De nouveaux efforts de simplification et de modernisation sont également urgents pour accroître la qualité du service rendu et pour diminuer les coûts de gestion.
Enfin, la Cour a examiné les systèmes d'information de la branche famille, qui a versé près de 77 milliards d'euros de prestations en 2011 à plus de 11 millions d'allocataires. Elle a ainsi mis en lumière des priorités stratégiques floues, des retards de modernisation et des insuffisances de gouvernance. Il est donc indispensable que la négociation de la prochaine convention d'objectifs et de gestion qui lie la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) à l'État redéfinisse en profondeur ses objectifs et ses modalités de pilotage et de gestion.
Le dernier message de la Cour est que les efforts de redressement ne sont pas seulement impératifs pour préserver l'avenir de notre système de protection sociale mais qu'ils fournissent aussi l'opportunité de le faire évoluer vers plus de justice et de solidarité, principes fondateurs du système français de sécurité sociale.
La question de l'accessibilité aux soins et des dépassements d'honoraires est ainsi au coeur de l'analyse que fait la Cour des missions de l'Ordre national des médecins. En effet, si la contribution de cette institution est satisfaisante pour le suivi de la profession, son rôle de contrôle du respect par les médecins du tact et de la mesure dans la détermination de leurs honoraires a une portée trop limitée. Les saisines des instances disciplinaires sont rares, et les condamnations, quand elles ont lieu, sont généralement peu sévères. Ainsi, sur les 61 prononcées au cours des quatre dernières années, 12 se sont limitées à un avertissement ou à un blâme, une seule radiation a été décidée. Devant l'inefficacité de l'Ordre, l'assurance maladie a déployé ses propres procédures. Il en résulte de trop nombreux dispositifs, qu'il faut maintenant rationaliser et renforcer afin que notre système de santé fonctionne mieux, non seulement dans l'intérêt de la profession mais surtout dans celui des patients.
La Cour a aussi analysé la prise en charge par l'assurance maladie de certaines cotisations sociales des professions libérales de santé, pour un coût de 2,2 milliards d'euros par an. Il s'agit d'une contribution substantielle au revenu des praticiens, représentant plus de 17 % des revenus des généralistes du secteur I en 2008. Pour chaque consultation d'un montant de 23 euros, un médecin généraliste perçoit en réalité près de 26 euros grâce à cette forme de prise en charge, sans qu'il en soit toujours conscient. Ces dépenses en croissance continue devraient être beaucoup plus activement mises au service des objectifs prioritaires de l'assurance maladie. En particulier, elles devraient contribuer à une meilleure répartition des professions de santé sur les territoires, notamment par une modulation en fonction de la zone d'implantation des médecins, soit une moindre prise en charge dans les régions déjà « surdotées » et une prise en charge plus incitative dans les zones les moins denses. Un tel système pourrait aussi contribuer à limiter les dépassements d'honoraires, qui ont représenté près de 2,5 milliards d'euros en 2011.
La Cour a examiné la réalité, contrastée et multiforme, de la situation des retraités. Ses analyses ont été abondamment commentées depuis dix jours, sans toujours en refléter toutes les nuances. Que l'on ne se méprenne pas sur le sens de nos considérations : il ne s'agit nullement d'attaquer, de toiser ou d'opposer les retraités aux actifs. La Cour commence d'ailleurs par mettre en lumière la situation des personnes âgées les plus pauvres au regard de leur couverture vieillesse. Le minimum vieillesse, couvrant toujours près de un million de personnes, conserve un rôle essentiel pour limiter le taux de pauvreté des retraités les plus modestes et représente une dépense annuelle de plus de 3 milliards d'euros. Ses allocataires sont des femmes pour plus de 55 %, dont un quart a plus de 80 ans. La généralisation, au sein des différents régimes de retraites, de pensions minimales n'a pas fait disparaître le dispositif : le nombre de bénéficiaires s'est stabilisé depuis 2007 mais pourrait augmenter sous l'effet de l'arrivée à l'âge de la retraite de générations ayant connu des carrières moins linéaires. La Cour avance des propositions fortes pour que le minimum vieillesse joue plus efficacement son rôle. Elle recommande une information plus active et plus précoce des personnes éligibles, car la population potentiellement concernée demeure encore pour partie méconnue. Elle estime aussi impératif d'assurer un financement clair et soutenable de cette dépense de solidarité par un relèvement des ressources affectées au fonds de solidarité vieillesse, qui la finance aujourd'hui par la dette. Malgré la persistance de situations individuelles préoccupantes, il reste que, contrairement à une idée reçue, les retraités se placent, sous l'angle financier, dans une situation globale moyenne légèrement plus favorable que celle des actifs, notamment des plus jeunes. Cette situation résulte pour une part de l'existence de nombreux dispositifs fiscaux et sociaux dérogatoires créés au fil du temps en leur faveur avec, à l'origine, un objectif d'égalisation de leur niveau de vie et de celui des actifs.
Ce travail s'inscrit dans le cadre des travaux de la Cour sur les niches sociales et fiscales, qui l'ont conduite à examiner chaque année de nouveaux dispositifs : l'an dernier, le rapport sur la sécurité sociale a évalué ceux en faveur de l'acquisition d'une couverture complémentaire santé collective pour les salariés. Cette année, la Cour a examiné certains dispositifs fiscaux dérogatoires en faveur des personnes retraitées, qui représentent un coût total de près de 12 milliards d'euros. Alors que la contrainte exercée sur les comptes publics exige une évaluation systématique de ces dispositifs dérogatoires pour s'assurer qu'ils apportent bien un soutien à ceux qui en ont le plus besoin, il convient de réexaminer cette accumulation de mécanismes dont l'objectif – la réduction de l'écart de niveau de vie entre actifs et retraités – semble désormais atteint. La Cour ne propose nullement des suppressions brutales et aveugles de tous les dispositifs fiscaux et sociaux pris en faveur des retraités. Au contraire, elle recommande une démarche progressive et attentive à la situation des pensionnés les plus fragiles. Si elle dresse un inventaire des options possibles, dans le prolongement direct de plusieurs de ses rapports antérieurs, celles-ci n'ont aucunement vocation à être mises en oeuvre de façon cumulative.
Mais il convient, par exemple, de se pencher sur le taux de CSG auquel les retraités sont soumis, bénéficiant en fonction du montant de leur retraite de trois taux s'échelonnant entre 0 et 6,6 % alors que le taux applicable aux actifs est de 7,5 %. Avec toujours le souci de ne pas fragiliser les retraités les plus modestes, la Cour estime qu'on pourrait amener progressivement le taux de CSG applicable aux seuls retraités les plus aisés au niveau du taux de CSG appliqué aux actifs. Les autres retraités continueraient d'en être exonérés ou d'acquitter un taux réduit.
Autre exemple, les retraités soumis à l'impôt sur le revenu bénéficient, comme les salariés, d'un abattement de 10 % pour frais professionnels, qui profite surtout aux pensions les plus élevées. Or, par définition, les retraités ne supportent plus de tels frais. La recommandation de la Cour, consistant à supprimer progressivement l'abattement de 10 % sur les pensions dans le calcul de l'impôt sur le revenu, préserve les retraités aux pensions les plus faibles puisqu'ils ne sont pas imposables.
Dernier exemple, les retraités qui ont élevé au moins trois enfants bénéficient d'une majoration de 10 % de leur pension, contrepartie légitime des conséquences que cela a eu sur leur déroulement de carrière. Or cette majoration, qui augmente avec le montant des retraites lui-même et bénéficie donc davantage à ceux qui touchent déjà les retraites les plus élevées, n'est pas soumise à l'impôt sur le revenu, ce qui constitue un avantage supplémentaire injustifié. Mais la Cour ne propose nullement la suppression de ces majorations en tant que telles.
Elle évoque, dans le même esprit, une mise sous condition de ressources de l'exonération de cotisations patronales accordées à tous les particuliers employeurs de plus de 70 ans, quel que soit leur niveau de revenu.
Ce réexamen nécessaire de dispositifs anciens ayant largement perdu leur justification initiale doit être mené en préservant, je le répète, les retraités les plus fragiles. Il s'inscrit aussi dans une démarche de redéploiement de moyens vers le financement de besoins sociaux accrus qui se font jour en certains domaines comme, au premier chef, la prise en charge de la perte d'autonomie des plus âgés, sans préjudice, le cas échéant, d'une contribution à l'effort de retour à l'équilibre des comptes publics.
L'analyse de la Cour se veut donc équilibrée, autant fondée sur des préoccupations financières que de justice et de solidarité. Votre Commission a d'ailleurs travaillé, dans un esprit comparable, sur la question des niches sociales.
La politique familiale est souvent citée en exemple de notre modèle social. Nous avons cherché à savoir dans quelle mesure les prestations familiales sous condition de ressources, représentant 13,3 milliards d'euros en 2010, contribuent à réduire effectivement les inégalités de revenus entre les familles. Leurs effets redistributifs sont moins marqués que ceux des prestations dites universelles, comme les allocations familiales, ce qui s'explique notamment par des plafonds de ressources trop élevés pour la prestation d'accueil du jeune enfant et par des modalités trop larges d'attribution du complément du mode de garde pour son financement à domicile. Celui-ci n'est en effet soumis à aucune condition de ressources et peut se cumuler avec des aides fiscales importantes. Les dispositions actuelles conduisent ainsi à verser un même montant de 171 euros par mois pour un enfant, que la famille dispose de 20 000 ou de 4 000 euros de revenus mensuels. Les montants en cause sont conséquents puisque les 20 % de familles bénéficiant des niveaux de vie les plus élevés reçoivent plus de 2 milliards d'euros au titre du seul complément de mode de garde. C'est pourquoi la Cour recommande que cette prestation soit soumise à une stricte condition de ressources.
Une évolution vers davantage de justice et de solidarité apparaît d'autant plus nécessaire que les récentes données sur la pauvreté rendues publiques par l'INSEE montrent que l'augmentation globale du taux de pauvreté, de 13,5 % en 2009 à 14,1 % en 2010, se concentre sur les enfants, dont le taux de pauvreté progresse de près de deux points en une seule année, passant de 17,7 % à 19,6 %, alors que celui des retraités a le moins augmenté, de 9,9 % à 10,2 %.
Ce rapport au champ très large aboutit à un total de 72 recommandations. La lecture de l'annexe consacrée au suivi de celles des trois derniers rapports sur la sécurité sociale montre que 65 % d'entre elles ont été suivies d'effet, intégralement ou partiellement.
Selon la Cour, « ce qui est déficitaire est précaire ». Si le retour à l'équilibre des comptes ne pourra se faire sans l'apport de ressources nouvelles, le redressement ne produira d'effets durables que s'il s'accompagne de progrès substantiels à tous les niveaux dans l'efficience des dépenses sociales. Cela exige une démarche volontaire, méthodique, rigoureuse et attentive au juste partage des efforts entre tous les acteurs. Plus fortement elle sera engagée, plus vite sera rétabli l'équilibre des comptes sociaux, mieux et plus durablement sera confortée notre sécurité sociale, non seulement en termes financiers mais au regard des valeurs essentielles de solidarité qui sont les siennes.