Intervention de Émilienne Poumirol

Réunion du 16 décembre 2014 à 17h00
Commission de la défense nationale et des forces armées

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉmilienne Poumirol, rapporteure :

Ceci nous offre une transition toute trouvée pour aborder le thème de la blessure invisible, du syndrome post-traumatique auquel nous consacrons une partie de notre rapport. Nous tenons en premier lieu à répondre à des objections ou des réserves que nous avons pu entendre formuler ici ou là quant à la gravité, voire à la réalité de ce trouble. Nous avons rencontré plusieurs blessés, nous leur avons parlé, ils nous ont raconté leur histoire et nous sommes en mesure de vous affirmer que leur souffrance est bien réelle et que cette blessure les empêche de mener une vie normale et retentit sur leur entourage, qui souvent s'écarte d'eux. Reconnu comme blessure de guerre seulement depuis 1992, mais identifié depuis l'antiquité, le syndrome post-traumatique s'est imposé comme une problématique à considérer à la suite du durcissement du conflit en Afghanistan. Le ministère de la Défense a élaboré deux plans successifs traitant des « troubles psychiques post-traumatiques dans les forces armées », en 2011 et 2013 afin d'en améliorer la prévention et de renforcer le soutien médical et psychosocial des militaires et de leur famille. Confrontation à l'irreprésentable, l'état de stress post-traumatique se caractérise par les symptômes que sont les cauchemars, les reviviscences diurnes, les flashs, les conduites d'évitement et de sursaut. Il s'accompagne de troubles du comportement tels qu'un sentiment d'insécurité permanente, l'hypervigilance, l'agressivité, le repli sur soi. Les addictions sont fréquentes.

L'apparition des troubles semble en relation avec l'intensité des combats, à leur répétition – un élément particulièrement important puisque nos soldats sont engagés dans des OPEX qui se succèdent - et au nombre de blessures physiques et de décès dans l'unité. Le service de santé a mis en place un recueil épidémiologique hebdomadaire de ces troubles : 136 cas ont été enregistrés en 2010, 298 en 2011, 282 en 2012 et 359 en 2013. Une étude du centre d'épidémiologie et de santé publique des armées indique toutefois, que si le délai de latence peut atteindre dix ans, 50 % des troubles apparaissent un mois après l'événement déclencheur, 65 % dans les trois mois et 95 % un an plus tard. Des visites systématiques ont été instaurées trois mois après le retour d'opération extérieure et sont à l'origine de 27 % des demandes de soins. Mais le mur le plus difficile à vaincre est celui du silence. Il est donc important d'informer les militaires car la honte n'est pas la seule raison de ce silence, il y a également la méconnaissance des symptômes et la crainte de perdre son aptitude. La prévention s'articule autour de la mise en condition opérationnelle qui vise à améliorer la résistance, autour de l'information sur les troubles et autour du rappel de l'importance de la parole.

Sur le terrain le soldat ne se trouve pas isolé et un dispositif d'accompagnement est organisé par les psychologues et les médecins d'unité afin d'intervenir rapidement en cas d'événement potentiellement traumatisant. Les psychologues et les psychiatres du service de santé agissent en coordination avec les services de psychologie dont dispose chaque armée. Le plus important est celui de la marine qui compte quarante psychologues, qui interviennent notamment auprès des forces spéciales. Le commandement a, de son côté, mis en place un dispositif reposant sur des conseillers facteur humain et des référents sections, en relation directe avec les auxiliaires sanitaires. L'aumônier joue également un rôle important car il se situe hors de tout lien hiérarchique ou médical.

Les soldats en souffrance peuvent s'adresser anonymement à un psychologue en appelant le numéro Écoute défense, qui a reçu 330 appels en un an lesquels ont permis de détecter 176 cas de syndrome post-traumatique. Les différents hôpitaux militaires et les centres médicaux des armées proposent divers traitements parmi lesquels on trouve la psychanalyse, les thérapies cognitivo-comportementales, l'hypnose, selon l'orientation du praticien. Un réseau de psychologues et de psychiatres civils labellisés est en cours de constitution afin de couvrir les territoires dans lesquels l'armée n'est pas présente. Nous souhaitons que la prise en charge financière de ces consultations soit assurée pour les ressortissants de toutes les armées car seule l'armée de terre en bénéficie aujourd'hui grâce à l'intervention de l'association Terre et Fraternité.

Au-delà des soins, au-delà des aides financières, les militaires ont besoin de reconnaissance, qui est un élément essentiel de la reconstruction. La reconnaissance exprimée par la hiérarchie et la reconnaissance exprimée par la Nation qui prend la forme d'une décoration, l'insigne des blessés. Or si la dernière loi de programmation militaire indique clairement qu'« un effort particulier de reconnaissance doit être entrepris à l'égard des militaires blessés au service de notre pays. », il semble que cet effort se heurte à des résistances et nous estimons, tous deux, que rien ne s'oppose à la remise de l'insigne des blessés à l'ensemble des blessés physiques ou psychiques à partir du moment où le service de santé a reconnu leur état. Nous espérons que cette question sera résolue rapidement.

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