Intervention de Claude Revel

Réunion du 16 décembre 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Claude Revel, déléguée interministérielle à l'intelligence économique :

Rattachée au Premier ministre depuis août 2013, la délégation interministérielle à l'intelligence économique (D2IE) remplit quatre missions : veille, anticipation, alerte, compréhension de l'environnement extérieur et analyse stratégique ; protection et sécurité économique ; présence influente dans tous les lieux de prise de décisions stratégiques pour la France en matière de normes internationales ; sensibilisation et formation des acteurs économiques aux questions d'intelligence économique, qui doivent devenir des réflexes de gouvernance.

Si la délégation est désormais rattachée au Premier ministre, elle est aussi organisée sur le plan territorial via les préfectures et les divers services régionaux des ministères. Avec les services déconcentrés de l'État et les élus, nous travaillons d'ailleurs à rendre ce système territorial plus simple et plus lisible, car, pour être efficace, l'intelligence économique doit être partagée. Nous devons conseiller l'État, mais aussi accompagner les entreprises, notamment les PME. Il existe en France un système qui favorise la naissance de nombreuses start-up, mais celles-ci rencontrent des difficultés de financement dès qu'elles veulent passer à la taille supérieure, exporter et s'équiper. Une meilleure intelligence économique permettrait d'anticiper et de traiter au moins la moitié des problèmes de ce type, puis de trouver des financements avec les régions, les directions régionales de Bpifrance, etc.

Nos entreprises et nos administrations sont-elles suffisamment sensibilisées à la nécessaire protection de leurs informations stratégiques ? Pour notre part, nous préférons parler de « sécurité économique active » plutôt que de « protection », un terme qui évoque l'immobilisme et de repli sur soi. La protection d'informations stratégiques s'exerce de diverses manières dans le cadre de dispositifs existants qui dépendent du secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN), de la protection du patrimoine scientifique et technique (PPST) ou de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI). Il existe des dispositifs d'exception comme les licences obligatoires et les réquisitions de brevet, et des textes légaux visant, par exemple, à lutter contre la contrefaçon.

Le président de la commission des lois, Jean-Jacques Urvoas, a déposé une proposition de loi relative à la protection du secret des affaires à laquelle nous avons largement contribué. Ce texte permettra de mieux protéger l'information stratégique en amont, avant qu'elle ne soit protégeable par les autres dispositifs.

Certains pays, comme la Suède et les États-Unis, ont pris des mesures depuis longtemps. Une loi, dite « de blocage », permet aux entreprises françaises de saisir l'État et la coopération judiciaire internationale quand on leur demande des informations par trop stratégiques dans le cadre de procédures judiciaires à l'étranger. On soupçonne souvent certains pays – que je ne nommerai pas – d'ingérence et d'espionnage, mais on oublie les captations légales : le fait d'identifier et de racheter de petites entreprises qui possèdent des pépites, futures sources d'emplois ; les procédures de discovery à l'américaine où, à l'occasion d'un procès, une partie peut demander la communication de documents confidentiels. Pour contrer ces méthodes intrusives, les entreprises françaises peuvent donc utiliser cette loi de blocage, adoptée en 1968 et modifiée en 1980, dont le renforcement est prévu dans la proposition de loi sur le secret des affaires qui, si j'ai bien compris, pourrait devenir un amendement à la loi Macron.

L'intelligence économique ne se décrète pas ; les acteurs économiques doivent se l'approprier. Nous travaillons à la rédaction d'un guide des meilleures pratiques pour les pôles de compétitivité, qui va bientôt sortir. Nous sommes en train de finaliser l'élaboration de principes directeurs pour les chercheurs en mobilité internationale. Nous rédigeons aussi un référentiel d'intelligence économique, afin de clarifier les concepts. Qu'est-ce que l'intelligence économique et comment l'utiliser ? Qu'est-ce que la veille en sources ouvertes, qui ne doit pas être confondue avec les – très utiles – services de renseignement ?

L'intelligence économique est un mode de management, une gouvernance que tout le monde doit pouvoir utiliser : c'est l'exploitation de l'information, qui se mue en valeur ajoutée et qui permet de prendre de meilleures décisions. Cela peut se faire sur sources ouvertes, de manière aussi légale qu'efficace, à condition d'avoir le réflexe permanent de regarder, d'analyser, de se comparer à son environnement extérieur, d'être présent dans les processus d'élaboration de normes. La standardisation et la création de nouvelles normes mondiales privées sont très importantes, notamment dans le domaine du numérique. L'État ne pouvant tout faire, nos entreprises doivent s'y intéresser. Pour certaines d'entre elles, ce n'est pas encore un réflexe. Pour notre part, nous avions commencé à travailler avec le Commissariat général à l'investissement pour utiliser les marchés publics comme vecteur de sensibilisation : les PME comme l'État doivent être conscients de la nécessité de protéger les informations qui sont échangées. Lors de mes déplacements, je constate que certaines PME de haute technologie hésitent à donner des informations très pointues, car elles ne sont pas sûres que celles-ci seront traitées avec la confidentialité nécessaire.

Pour conclure, je voudrais insister sur la nécessité d'influence. Nous devons être non seulement présents mais actifs, et apprendre la coopération opérationnelle en réseau pour défendre nos positions, ce que savent très bien faire les Américains et certains de nos concurrents européens. En 2015, il nous faudra poursuivre nos efforts en ce sens, en collaboration avec le secrétariat général des affaires européennes à Bruxelles et les acteurs compétents dans les organisations internationales. Nous devons exercer notre influence dans les nombreux dossiers qui se présentent : la directive sur le secret des affaires, la protection des données numériques, la recherche de règles internationales en matière de cybersécurité. Lors d'un déplacement à Washington, le mois dernier, j'ai pu constater que les Américains sont très intéressés par la création de règles de droit internationales dans le domaine de la cybersécurité.

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