Intervention de Claude Revel

Réunion du 16 décembre 2014 à 17h00
Commission des affaires économiques

Claude Revel, déléguée interministérielle à l'intelligence économique :

La D2IE ne travaille pas directement avec les entreprises, mais, en réfléchissant à la question de la compétitivité hors coûts, elle met en place un environnement qui leur est favorable.

En France, les expertises sur les sujets stratégiques ne manquent pas – par exemple sur le secret des affaires ou sur les investissements étrangers –, mais nous avons du mal à les mobiliser, chaque administration travaillant un peu en tuyau d'orgue. Nous veillons donc à ce que les engagements pris par des investisseurs étrangers soient mieux suivis, notamment en matière de création d'emplois, ou à mieux organiser en amont l'expertise par rapport à l'offre d'exportation. Il s'agit de mettre en place une chaîne vertueuse reliant les experts et les entreprises, pour faciliter l'accès aux marchés extérieurs. Enfin, nous essayons de sensibiliser les entreprises en amont pour qu'elles soient plus présentes lors de l'élaboration des standards qui les concernent.

Pour ma part, je me méfie beaucoup des approches quantitatives. On peut commettre beaucoup d'erreurs lorsque, ayant décidé d'aider 600 entreprises par an, on s'aperçoit, au mois de novembre, qu'on n'en a sélectionné que 400 et qu'il faut en trouver 200 de plus avant la fin de l'année.

Nous avons également un rôle interministériel à jouer. Les différents ministères ont parfois, sur d'importants dossiers, des avis divergents. Notre rôle est de parvenir à définir une position française compétitive.

Vous demandez en quoi la future loi Macron participera à l'intelligence économique. Elle aura un effet important en matière de publication des comptes des entreprises. Les obligations qui pèsent aujourd'hui sur elles – notamment les PME – sont trop contraignantes et offrent des avantages indus à leurs concurrents anglais ou allemands, qui se contentent de respecter la directive européenne fixant des conditions de publication de base. En organisant l'ouverture et le partage gratuit des données du registre national du commerce et des sociétés, le projet de loi devrait accélérer la réflexion en cours à la direction du Trésor sur la simplification de la publication des comptes des entreprises.

Le texte prévoit également d'autoriser certains hôpitaux à créer des filiales pour mieux valoriser leur expertise à l'international dans le champ de l'innovation. On est bien là au coeur de l'intelligence économique, puisqu'on lie l'expertise, c'est-à-dire l'amont, et la filiale, c'est-à-dire l'aval.

En matière de gouvernance des opérations sur le capital des sociétés à participation publique, la future loi Macron comporte un volet sur les mécanismes d'actions spécifiques – ou golden share –, avec un dispositif spécifique pour ce qui concerne la sécurité d'approvisionnement en énergie, la disponibilité du réseau de télécommunications et la défense. Plusieurs articles vont donc dans le sens d'une meilleure prise en compte des questions relatives à l'intelligence économique. Évidemment, il reste encore beaucoup à faire.

Vous nous avez interrogés sur le nombre d'investissements réalisés. Je pourrai vous communiquer dès demain les chiffres dont dispose l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Notre rôle est de travailler sur la mobilisation interministérielle afin de mieux traiter certains sujets concrets, comme les décisions à prendre sur des opérations actuelles, et de faire en sorte que les pôles de compétitivité soient mieux armés, par exemple pour protéger le secret des affaires. L'intelligence économique est une action de long terme, discrète, dont les effets ne se voient pas immédiatement, mais qui, pour autant, ne doit plus être négligée.

J'en viens maintenant à la cybersécurité. Si la D2IE n'est pas un organisme technique, mais de gouvernance et d'analyse stratégique, elle oeuvre en étroite collaboration avec l'ANSSI et le SGDSN, qui publient des guides d'hygiène informatique et aident directement les grands opérateurs en cas de besoin. Pour notre part, nous avons travaillé à la vulgarisation de ces méthodes en élaborant vingt-deux fiches de sécurité économique disponibles sur notre site internet. Plusieurs d'entre elles, consacrées à la cybersécurité, sont très concrètes, expliquant comment protéger un ordinateur ou un téléphone portable. Nous sommes également en train de mettre en place, à la demande du Premier ministre, un cahier des charges – qui devrait être prêt à la fin du mois – et une opération test de formation à la cybersécurité pour les PME. Les outils mis à leur disposition ne doivent pas leur faire perdre de temps, mais les sensibiliser aux moyens qu'elles peuvent mettre en place à moindre coût. Par ailleurs, un « cyber-préfet » vient d'être nommé au ministère de l'intérieur. Son rôle sera de participer à une meilleure coordination des efforts entrepris en matière de cybersécurité.

Je n'ai peut-être pas assez insisté sur les investissements immatériels que sont le savoir-faire, les données, l'image, la réputation ou l'état de la recherche – tout ce qui n'est pas tangible, mais qui a beaucoup de valeur. Notre pays doit davantage prendre en considération ces aspects. Nous poursuivons chaque jour une oeuvre de sensibilisation et proposons aux entreprises des outils pour se protéger. Il existe également une Agence du patrimoine immatériel de l'État, qui ne dispose peut-être pas de moyens suffisants.

Je crois beaucoup aux bonnes pratiques, aux guidelines, aux vade-mecum, qui sont très importants pour modifier les comportements. Les outils juridiques – comme les dispositifs sur le secret des affaires, les lois de blocage et la récente loi renforçant la lutte contre la contrefaçon – ne sont pas moins utiles. Il faut également agir au niveau européen pour que les impératifs de sécurité économique soient pris en compte. Nous devons répéter que la sécurité économique, ce n'est pas le protectionnisme, mais la promotion des échanges commerciaux parallèlement à la préservation de l'emploi dans notre pays.

Vous avez parlé des problèmes que rencontrent les start-up pour passer au stade de PME puis d'ETI, et vous avez évoqué les normes. Il existe deux types de normes, les bonnes et les mauvaises. Il faut essayer de se battre en amont pour les bonnes normes, qui ouvrent des marchés à nos entreprises tout en fermant les marchés aux concurrents. L'État peut aider les petites entreprises innovantes, et nous y travaillons avec le ministère de l'économie. Il est nécessaire qu'elles connaissent mieux les dispositifs qui leur permettent d'être aidées. Il faut aussi être présent dans les enceintes internationales pour empêcher que de mauvaises normes voient le jour. En effet, on ne peut pas se plaindre que des normes apparaissent si l'on n'a pas été présent pour les arrêter quand il était encore temps.

Vous faisiez allusion aux certifications à l'international. La plupart des droits de douane ont disparu, mais nous nous heurtons aujourd'hui aux barrières non tarifaires, c'est-à-dire à des normes indues. Il faut absolument travailler au niveau européen et participer à toutes les procédures de certification. Certes, ces dossiers peuvent paraître ennuyeux et très abstraits, mais ils sont stratégiques, car ils peuvent créer, à terme, de graves problèmes à nos PME. La certification qui peut être faite dans un pays européen n'est peut-être pas de même qualité que celle qui est faite dans d'autres États que je ne nommerai pas. Il existe aujourd'hui deux ou trois grands certificateurs dans le monde : nous avons la chance que l'un d'eux soit Français.

Il faut essayer de se positionner très en amont sur la gouvernance de la cybersécurité. D'ores et déjà, nous travaillons sur de bonnes pratiques avec les pays de l'OCDE. Peut-être faut-il aller plus loin. Contrairement à ce que l'on peut penser, les Chinois ne sont pas nécessairement hostiles à l'élaboration de standards communs, car ils commencent à être confortés à des problèmes de propriété intellectuelle, leurs propres marques étant copiées par des pays plus pauvres. C'est donc le moment de les inclure dans la formation de standards internationaux.

Vous m'avez interrogée sur le positionnement des petites entreprises par rapport aux grandes. Il y a beaucoup plus de PME sous-traitantes dans les grands secteurs industriels allemands que dans les français. Peut-être aussi y a-t-il eu moins de délocalisations. Mais la situation est en train d'évoluer en France, où il existe désormais des systèmes de parrainage. Les conseillers du commerce extérieur de la France, nommés par le Premier ministre et présents dans une centaine de pays, conseillent à titre bénévole les pouvoirs publics et les petites entreprises. Ce sont en général des responsables de grands groupes français à l'international. L'un de leurs rôles consiste à donner des informations aux missions économiques, mais aussi à ouvrir des réseaux aux PME qui voudraient entrer dans le pays. Peut-être faut-il profiter de la nomination récente d'un nouveau président qui, je crois, souhaite dynamiser ce réseau.

Dans le passé, de grandes entreprises ont parrainé des PME, mais cela n'a pas vraiment marché. En fait, on ne peut pas obliger une grande entreprise à le faire. Peut-être faut-il plutôt sensibiliser les grandes organisations professionnelles d'employeurs.

Enfin, sans enfreindre les règles de la concurrence, peut-être pourrait-on favoriser les toutes petites entreprises dans l'attribution de marchés avec les collectivités locales en ce qui concerne les nouveaux secteurs du numérique. En matière d'utilisation des données, on voit de grands opérateurs internationaux, tel Google, approcher les collectivités et les opérateurs français. Or il existe en France des petites entreprises qui ont ces compétences, mais qui n'ont pas la taille suffisante pour faire du marketing. Pourquoi ne pas s'inspirer du Small Business Act ou de la Small Business Administration ? Ce n'est pas parce que cela n'a jamais marché en Europe jusqu'à présent que cela ne réussira pas un jour. Je le répète, pour y parvenir, il faut réunir plusieurs administrations et des opérateurs.

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