Monsieur le rapporteur général, la mise en place de l'ARAFER aura lieu à la fin de l'année 2015. Il conviendra donc de prévoir les moyens dans la loi de finances pour 2016. Elle sera un régulateur de taille modeste. Des redéploiements au sein des administrations sont envisageables, puisqu'aujourd'hui c'est la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) qui est en charge du suivi des contrats de concession. Tout dépend de l'étendue des missions que nous déciderons in fine de confier à l'ARAFER. Si lui étaient confiées des missions comparables à celles de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), à savoir la vérification de l'équilibre des contrats et leur rentabilité, il faudrait alors prévoir des moyens en conséquence.
En ce qui concerne l'avocat en entreprise, je suis sensible aux arguments qui ont été avancés ; je comprends, notamment, le problème de la compatibilité avec la liberté de l'avocat. La question est celle du secret des informations, la Cour de justice de l'Union européenne ne reconnaissant pas le droit au secret des juristes. Il faut donc, pour assurer le secret, imposer une déontologie, surveillée par un ordre disciplinaire, et faire en sorte que cette déontologie permette l'indépendance. Aujourd'hui, plus d'une dizaine d'entreprises du CAC 40 ont choisi d'employer des avocats d'entreprise étrangers. La situation est donc problématique.
Je n'en fais toutefois pas un point dur. Nous pourrons essayer, dans le débat, de trouver une limite qui corresponde aux besoins des grands groupes internationaux ayant recours à ces professionnels étrangers, soit en définissant le statut tout en en limitant l'objet, ce qui permettra de rassurer certains avocats qui pensent que l'avocat en entreprise se substituera à eux, soit, si nous n'y parvenons pas, en traitant le problème de la confidentialité pour ces grands groupes. Pour ma part, je ne pense pas qu'en lui-même le salariat empêche l'indépendance et le respect de la déontologie ; certaines professions maintiennent une indépendance déontologique tout en étant sous régime de salariat.
Sur l'épargne salariale, M. le rapporteur général l'a rappelé, une discussion est en cours entre les partenaires sociaux sur la base du rapport du COPIESAS. Plusieurs propositions intéressantes devraient aboutir, parmi lesquelles la prime de partage du profit – débattue dans le cadre du PLFSS –, la modulation à la baisse du forfait social, en particulier pour les premiers contrats dans les PME, le fléchage par défaut de l'intéressement dans les plans d'épargne d'entreprise ou l'alignement des modalités techniques de l'intéressement et de la participation.
Comment rendre l'épargne salariale plus attractive ? Le taux du forfait social est passé de 8 à 20 %, et il n'est guère envisageable de le ramener à son niveau initial ; de nos travaux, du rapport du COPIESAS et des négociations entre les partenaires sociaux, il ressort que la modulation doit être proportionnée aux objectifs poursuivis afin d'éviter les risques juridiques. On peut revoir le taux légèrement à la baisse ou cibler le dispositif vers les premiers contrats ou vers des produits qui financent davantage l'économie : investissements dans les PME ou dans les projets sociaux responsables, par exemple. Le cadre des finances publiques est contraint mais, sur de tels sujets, nous devons avoir une approche dynamique : en favorisant l'accès à cet outil, on accroîtra aussi la base taxable. Je suis donc ouvert à un geste fort en ce domaine.
La réforme des tribunaux consulaires et le maillage territorial seront traités dans le cadre du projet sur la justice du XXIe siècle défendu par Christiane Taubira : je veux lever toute ambiguïté sur ce point. Le projet de loi dont nous discutons aujourd'hui ne supprime aucune juridiction : il tend seulement à créer neuf juridictions spécialisées pour les 150 affaires par an qui sont les plus importantes. Pour certaines restructurations lourdes, le fait que plusieurs tribunaux soient saisis, parfois le même jour, et rendent des décisions différentes est un facteur de déstabilisation – je pense, par exemple, à une affaire touchant à la nutrition animale, il y a quelques mois.
Pour ce qui concerne les entrepreneurs individuels, je suis favorable à un enrichissement du texte sur la base d'un consensus interministériel qui conviendrait aux professionnels. Laurent Grandguillaume a effectué un travail sur ce sujet et les parties prenantes attendent des résultats concrets, en particulier sur la simplification, conformément à l'engagement du Président de la République il y a quelques mois. La suggestion de M. Alain Tourret d'ouvrir le régime aux fonctionnaires – par exemple à des chercheurs – doit être regardée de près, notamment au regard des facilités accordées à ces derniers de quitter leur statut ou de l'aménager. Cette proposition est, en tout cas, conforme à l'esprit du projet de loi.
La question de la compensation pour le travail le dimanche est particulièrement sensible. Nous avions initialement envisagé le doublement des salaires dans les entreprises de plus de vingt salariés, mais ce mécanisme posait des problèmes d'effets de seuil, alors même que nous cherchons à y remédier par ailleurs. De plus, les enseignes s'arrangent toujours pour contourner le dispositif et rester en deçà des vingt salariés, y compris dans les grands magasins avec les corners. Il se trouve aussi que de nombreux commerces de centre-ville ne sont pas en mesure de doubler les salaires en cas d'activité dominicale, si bien que le risque est de fragiliser ces commerces par rapport aux grandes enseignes. Les accords de branche dans les professions accoutumées au travail le dimanche montrent d'ailleurs que la rémunération moyenne, pour ce travail, s'établit à 1,3 fois le salaire de base. Aussi avons-nous choisi de ne pas fixer de seuil, mais de renvoyer à des accords de branche et de territoire, accords auxquels sera conditionnée l'ouverture dominicale. De fait, l'hétérogénéité des situations rend difficile l'établissement d'un critère de compensation univoque.
Quant au nombre de dimanches décidés par les maires, nous proposons de passer de cinq à douze, dont cinq obligatoires : le rapport Bailly en préconisait sept à la main du maire et cinq sur décision des associations de commerçants, ce qui était, à nos yeux, susceptible de générer des tensions. La question se pose néanmoins du partage de la décision entre les maires et les présidents des intercommunalités.
Le Gouvernement a souhaité mettre en oeuvre une réforme globale de l'inspection du travail, contenant deux volets : la mise en place, dès le 1er janvier 2015, d'une organisation plus collégiale qui permettra de mieux lutter contre la concurrence déloyale et le travail illégal ; l'efficience des sanctions, avec davantage de procédures administratives et moins de procédures pénales. À ce sujet, un projet de loi a été défendu par Michel Sapin et adopté par votre assemblée ; nous proposons de le reprendre par voie d'ordonnance, les partenaires sociaux ayant émis le souhait d'engager des discussions sur le sujet.
Quant aux procédures prud'homales, l'objectif est de réduire les délais et de donner davantage de lisibilité, en aucun cas de remettre en question le caractère paritaire de l'institution : en témoigne le rôle central accordé aux bureaux de conciliation et de jugement. La conciliation pourrait d'ailleurs faire l'objet de contraintes renforcées ; quant à la formation restreinte du bureau de jugement – un plus un –, c'est une novation qui permettra d'accélérer la procédure lorsque les parties le souhaitent ; dès lors le juge départiteur et ses assesseurs prud'homaux pourront être saisis à titre seulement complémentaire. Le texte repose néanmoins sur le pari que l'efficacité des bureaux de conciliation et de jugement permettra de limiter la saisine du juge départiteur et l'obstruction dilatoire.
Je remercie M. Jean-Yves Caullet pour son encouragement au pragmatisme. M. Jean-Frédéric Poisson, pour sa part, a prétendu que le texte ne contenait pas de réforme d'ampleur. Je récuse cette idée avec force. Le texte ne contient rien, nous objecte-t-on, sur le coût du travail, les retraites ou la puissance publique ; mais, que je sache, il ne s'agit pas d'une déclaration de politique générale : ces sujets sont traités par le crédit d'impôt sur la compétitivité et l'emploi (CICE) et le pacte de responsabilité, la réforme des retraite et les 50 milliards d'économies réalisées loi de finances après loi de finances. On se fait donc plaisir avec de tels arguments. Les juridictions prud'homales et les professions réglementées n'ont jamais été réformées depuis plusieurs décennies pour les premières et depuis certaines ordonnances royales pour les secondes : si la présente réforme, comme d'autres que nous présentons en matière économique, ne sont pas des réformes d'ampleur, que n'ont-elles été engagées plus tôt ? Beaucoup ont échoué à le faire.
On a invoqué des impératifs bruxellois. Je ne défends aucune des présentes mesures pour complaire à qui que ce soit, mais parce qu'elles sont bonnes pour l'économie française, dont nous voyons bien qu'elle n'est pas en situation de force. L'idée d'un troc « pétrole contre nourriture » – en l'espèce, laxisme budgétaire contre réformes structurelles – avec Bruxelles n'a guère de sens au regard des traités. Il existe, sur le plan budgétaire, des procédures spécifiques qui interdisent ce genre d'approche. En prenant notre destin en main et en renforçant notre économie, nous devenons cependant plus crédibles à l'égard de nos partenaires ; nous pouvons nous montrer plus exigeants, demander davantage d'investissements et réorienter la politique européenne. Se recroqueviller sur soi et refuser les réformes n'est pas la meilleure façon de demander à l'Allemagne d'évoluer et à Bruxelles d'être plus ambitieux. Le projet de loi, en nous renforçant, a vocation à enrichir ce débat.
Nous ajouterons tous les éléments utiles en matière d'étude d'impact. De fait, nous devons, bien entendu, éviter tout effet négatif pour les territoires ou la vie des salariés. La liberté d'installation des notaires, par exemple, ne déstabilisera pas le maillage territorial puisqu'elle ne s'appliquera pas dans les zones saturées mais seulement dans celles où le manque est objectivement identifié. Bref, la réforme proposée est bien plutôt une réponse aux déserts territoriaux. La vie des salariés est également prise en compte, puisque le texte prévoit un dispositif de compensation qui n'existe pas aujourd'hui.
Je remercie le groupe UDI de sa volonté d'enrichir le texte. Pour ce qui concerne les tarifs des notaires, nous proposons en premier lieu un mécanisme d'appréciation des coûts réels, ce qui est normal pour tout secteur d'activité. Les systèmes de péréquation existants seront préservés, beaucoup d'actes étant tarifés en dessous de leur coût réel, notamment dans les territoires ruraux, et d'autres très au-dessus. Sauf à considérer que les notaires ont mis en place un dispositif caché pour assurer un équilibre entre les offices du boulevard Saint-Germain et ceux de la Lozère, les mécanismes de péréquation gagneront à la transparence ; d'où l'idée d'un corridor tarifaire, incluant un plafond et un plancher.
L'université forme beaucoup de notaires, et des dispositifs d'indemnisation sont prévus par le texte ; ils ne devraient cependant pas être nécessaires puisque l'équilibre de la profession sera préservé. En 2009, les notaires français s'étaient engagés à créer plusieurs centaines de postes ; ils ne l'ont pas fait. Il y a aujourd'hui, je le rappelle, 600 offices de moins qu'en 1980. La liberté d'installation est donc à la fois compatible avec la sécurité juridique, le maillage territorial et l'équilibre de la profession.
S'agissant des transports, la multimodalité est devenue la règle dans tous les pays. Je doute néanmoins que le texte conduise les usagers à se détourner massivement du train au profit des autocars : ceux qui en ont les moyens continueront de prendre le train ; les autres, le développement du covoiturage l'atteste, aspirent à se déplacer à moindres frais. L'ouverture du secteur des autocars leur donnera de nouvelles opportunités, y compris sur des trajets non couverts par le rail. Cela permettra également, sur les territoires, d'arbitrer entre le maintien d'une ligne de chemin de fer non rentable et l'autocar. C'est pourquoi nous avons proposé que l'autorité de régulation puisse se prononcer pour les transports infrarégionaux, quitte à refuser une ligne d'autocar quand la région a décidé d'investir dans le train ; à l'inverse, elle pourra aussi décider d'en ouvrir ou d'en compenser certaines. Moyennant cette régulation, le potentiel d'activité en ce domaine me semble important ; et si l'autocar doit se substituer à un autre mode de transport, ce sera bien plutôt au covoiturage qu'au train.
Aucune obligation ne sera levée s'agissant des installations classées : c'est la manière d'exercer ces obligations qui sera facilitée, afin de limiter les dépenses.
Quant aux relations entre locataires et bailleurs, le régime de la fin d'occupation de logements doit être clarifié dans certains cas particuliers, pour protéger les locataires. Afin de développer la mixité sociale, nous avons décidé de lever certains verrous. Dans beaucoup de zones tendues, le marché de logements intermédiaires est inexistant et le marché libre inaccessible pour beaucoup de ménages dont les ressources dépassent largement les plafonds d'éligibilité au logement social. Les investissements dans le logement social seront maintenus : la philosophie du texte est seulement d'améliorer la mobilité au sein de ce parc en développant le logement intermédiaire.
La simplification n'est pas forcément la dérégulation, au contraire : à chaque fois que l'on a simplifié, on a trouvé de nouveaux instruments de régulation.
Je remercie M. Alain Tourret d'être un avocat plus talentueux que je ne l'ai été du projet que je porte. Il a compris mon ouverture d'esprit sur les avocats d'entreprise ; quant à l'entreprenariat individuel dans la fonction publique, c'est une idée intéressante à verser au débat.
Plusieurs orateurs, parmi lesquels Mme Jacqueline Fraysse, ont évoqué les ordonnances. Il en existe de différentes sortes. La plupart de celles qui ont trait aux professions juridiques peuvent être intégrées telles quelles dans le texte : c'est d'ailleurs la solution que je proposerai – nous les avions seulement retranchées du projet de loi présenté au Conseil d'État pour raccourcir les délais. Le Parlement doit donner une direction, même si certaines de ces ordonnances nécessitent encore une concertation ; d'où l'habilitation sollicitée sur le permis de construire et l'aménagement, l'autorisation unique pour les installations classées, la carte d'identité virtuelle et l'inspection du travail. D'autres ordonnances, enfin, sont des transpositions de directives européennes, pour la communication à haut débit, les concessions et les commandes publiques. Certaines dispositions étant purement rédactionnelles, l'habilitation n'a d'autre but que d'alléger vos travaux dans le contexte des délais réduits que vous avez évoqué – je transmettrai d'ailleurs votre message à mon collègue chargé des relations avec le Parlement. Parmi les dispositions rédactionnelles, on peut citer la recodification suite à la création de l'ARAFER ou la recodification de l'ordonnance relative aux participations de l'État.
Le logement intermédiaire, madame Fraysse, s'inscrira dans les programmes de logements sociaux, à hauteur de 25 %, conformément au dispositif expérimental mis en oeuvre avec la Caisse des dépôts et consignations. Tournant le dos au pragmatisme, vous avez attaqué ce texte avec une certaine violence, en utilisant des arguments déjà bien connus. J'espère que l'examen du texte sur le travail dominical vous convaincra qu'il n'y a pas de recul social, surtout au vu des compensations prévues, dont certains salariés sont aujourd'hui privés. Si le recul d'une civilisation s'apprécie au nombre de dimanches travaillés, à l'ouverture d'aéroports de proximité ou des transports par autocar, alors notre civilisation tient à peu de choses. Mais je ne partage évidemment pas ce point de vue. Quant à l'« hyperconcurrence » dont pâtiraient les professions réglementées, je m'étonne de vous voir embrasser, dans une alliance baroque, la cause d'un nouveau genre de prolétariat ; mais le débat permettra sans doute d'aller plus loin. J'ai, pour ma part, reçu beaucoup de jeunes salariés de ces professions ; nous n'avons pas fait les réformes qu'ils ne demandaient pas, mais beaucoup d'entre eux soutiennent celles que nous vous présentons. Les Français attendent qu'on les traite comme des citoyens capables de choisir leur vie et leur modèle de société, sans qu'on leur impose des vues du XXe, sinon du XIXe siècle.