Intervention de Edwy Plenel

Réunion du 3 juillet 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Edwy Plenel :

Dans la mesure où les questions posées par l'expérience de Dailymotion sont celles de tout site d'information participatif sur internet, je souhaite, dans l'esprit de doctrine qui guide nos travaux, souligner quelques points. Le participatif pose une question fondamentale par rapport à la tradition française, notamment juridique : c'est la question du free speech, de la culture du premier amendement de la Constitution américaine et pas celle du « sauf » de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. La jurisprudence est en cours de consolidation pour bien distinguer ce qu'est être directeur de publication ou responsable de contenus d'une part, et ce qu'est être hébergeur d'autre part. Nous sommes responsables des contenus publiés à titre professionnel mais si nous sommes hébergeurs, c'est l'auteur qui en est responsable. Il est important de renforcer cette distinction car, à l'avenir, tout média ou journal sera participatif et comportera ces deux dimensions, à la fois ce qu'il produit professionnellement et ce qu'il accueille autour, le bouillonnement du débat public.

Notre expérience et notre doctrine pourraient être résumées en cinq points.

Premièrement, défendre le principe d'un contrôle a posteriori. C'est un défi de doctrine car nous avons mis des décennies à obtenir que le droit de diffuser un tract, d'organiser une manifestation ou de tenir une réunion n'ait pas à être autorisé a priori. Il doit en être de même pour le numérique : c'est a posteriori que le délit doit être jugé. Cela a des conséquences sur le développement économique du secteur et car les médias traditionnels qui sont passés au numérique ont choisi, à l'inverse, le contrôle a priori en ne contrôlant pas eux-mêmes mais en déléguant cette tâche à des prestataires de service parfois éloignés d'eux.

Deuxièmement, rappeler le principe élémentaire de la charte, corollaire de la transparence de l'information. Tout lieu d'information participatif doit avoir une charte qui rappelle les lois dans lesquelles doivent s'inscrire les contributions et que tout utilisateur s'engage à respecter. Ces chartes sont améliorées, soumises aux utilisateurs et discutées mais certains sites d'information ne mettent pas assez en évidence ce code de la route.

Troisièmement, l'alerte, qui est importante au regard du respect du contradictoire. Le numérique permet l'alerte en temps et en heure et pour tous, y compris le journal payant sur internet : tout utilisateur peut alerter, même s'il n'est pas abonné au site payant en ligne. L'alerte oblige à faire de la modération si les contenus violent explicitement la loi (racisme, appels à la haine ou à la violence, etc.).

Quatrièmement, la question plus compliquée du débat d'opinion. Nous sommes concrètement saisis sur des billets de blogs d'opinion par les personnes qui sont visées par ces opinions et qui en demandent la dépublication. Dans l'état actuel de la jurisprudence, nous devons, après avoir prévenu l'auteur, dépublier la contribution, à défaut de quoi nous devenons solidaires du contenu et sommes poursuivis en tant que responsables de sa diffusion. Nous le faisons à condition naturellement que la demande de dépublication soit formulée dans les formes, qu'elle ne soit pas automatique ou qu'elle ne requiert pas la censure pure et simple. Mais nous sommes de facto amenés à faire nous-mêmes la censure d'une opinion qui ne devrait se jouer que devant le juge. Quel est donc l'espace du free speech ?

Enfin, la question de l'identification. Pour les policiers, les règles sont simples : ils agissent par commissions rogatoires en requérant des adresses IP, n'en demandent pas plus et il n'y a pas d'abus, en tout cas de la part de la police visible. Mais cette identification pose problème lorsque ces policiers sont saisis à la suite d'une plainte avec constitution de partie civile sans que la dépublication ait été préalablement demandée. Le juge va vouloir identifier l'auteur et requérir la police. Pourtant, il peut s'agir d'un billet de blog d'un lanceur d'alerte, de quelqu'un qui, ayant à sa disposition des informations importantes, essaie de les diffuser, après avoir épuisé d'autres recours internes à son entreprise ou à son lieu de travail. Il faut donc avoir un débat sur la protection spécifique à lui apporter, comme l'a lancé par exemple William Bourdon, afin de ne pas être amenés à dépublier ce qui était une alerte légitime.

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