Intervention de Marie Mongin

Réunion du 3 juillet 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Marie Mongin :

En ce qui concerne le régime de responsabilité de l'hébergeur, l'équilibre n'est sans doute pas si mauvais que cela, même s'il n'est pas facile d'apprécier ce qui est manifestement illicite, en particulier pour des contenus qui relèvent de l'opinion. Il n'est pas toujours aisé de distinguer une opinion d'un propos diffamatoire, a fortiori dans le cas des lanceurs d'alerte puisque le caractère diffamatoire de l'alerte est le plus souvent évident. Il y a aujourd'hui des réflexions sur cette question et je renvoie notamment sur ce sujet aux travaux de Maître William Bourdon. Ce n'est d'ailleurs pas un problème propre à internet.

Le juge reçoit des plaintes de personnes qui se sentent blessées, diffamées, attaquées par une publication et qui estiment que l'on a porté atteinte à un certain nombre de leurs droits (respect de la vie privée, droit à l'image, présomption d'innocence, droit de réponse). Il rend une décision en faisant une balance des intérêts : celui de la personne qui s'est exprimée et celui de la personne qui s'en plaint.

La loi sur la presse est ancienne mais s'est toujours adaptée. Avec internet, elle s'adapte avec quelques aménagements, apportés notamment par la LCEN. Mais c'est fondamentalement le même droit qui est appliqué. On représente le droit comme très attaché à la tradition mais en même temps, il est l'école de l'imagination. Les gens qui se retrouvent poursuivis devant un tribunal pour des propos tenus sur un forum sont souvent très surpris car ils pensaient s'exprimer entre amis ou dans un cercle intime. Il y a l'impression d'un décalage entre la facilité de communication que permet d'internet et l'application des règles et limites de la liberté d'expression.

Ces nouvelles technologies ont un effet sur le droit applicable. Face à la mémoire qu'offre internet et qui dépasse les capacités humaines, se pose par exemple de manière croissante la question du droit à l'oubli. Jacques Fauvet disait que l'oubli est le fruit de la faiblesse humaine. Or, avec internet, il n'y a plus la faiblesse humaine pour permettre cet oubli. Pour faire face à une mémoire qui n'a plus de faille et qui est éternelle, pour faire face à des moteurs de recherche qui permettent de retrouver toute information, toujours et en tout lieu, le droit est en train d'inventer cette notion, qui vient apporter des limites à la liberté d'expression.

Le numérique pose la question de l'adaptation des délais de prescription des infractions de presse. Puisque la mise en ligne constitue une publication, une mise à disposition au public, pourquoi devrait-on faire une différence entre des propos mis en ligne et des propos édités sur un journal papier ou proférés sur une radio, une télévision ou des affiches ? À un moment, on a considéré que les publications sur internet, dans la mesure où elles restaient sous la maîtrise de la personne qui les a mises en ligne, à la différence des publications papier, constituaient une infraction continue et que le point de départ des délais de prescription ne courrait qu'à compter de la cessation de cette mise en ligne. Or la prescription de trois mois est considérée comme une garantie de la liberté d'expression. Cette question a été tranchée par le Conseil constitutionnel qui a censuré, dans la LCEN, une disposition introduite par le législateur reprenant cette création jurisprudentielle. Le Conseil a jugé la différence de régime disproportionnée. Cependant, cette question des délais de prescription ressurgit aujourd'hui dans la pratique et les arguments invoqués devant les tribunaux notamment sur la question des liens hypertexte et de l'effet qu'on doit leur donner. L'inclusion dans un texte d'un lien hypertexte renvoyant à un texte mis à disposition depuis plus de trois mois est-elle une nouvelle mise à disposition ayant pour effet de faire à nouveau courir le point de départ du délai de prescription ? Les tribunaux sont un peu hésitants et ont saisi la Cour de cassation d'une demande d'avis sur cette question de fait : à quel moment y a-t-il une mise à disposition au public ? Les délais de prescription et les règles de procédure sont des règles protectrices de la liberté d'expression. Or on s'aperçoit qu'internet conduit à modifier ce droit en portant atteinte à des principes anciens.

Doit-on évoluer vers un modèle de liberté d'expression calqué sur le premier amendement de la Constitution américaine ? Peut-être y arrivera-t-on : internet vient des États-Unis et c'est un mode de communication qui est peut-être fait pour une liberté totale. Toujours est-il que notre droit permet de s'adapter relativement bien. La LCEN a prévu des règles spécifiques à internet sur les hébergeurs, les éditeurs et la responsabilité en cascade. Nous appliquons des règles anciennes avec des adaptations qui sont faites soit par le législateur, soit par le juge qui prend en considération le support et qui tient compte des éléments de fait qui sont propres à internet, qui regarde si le propos qui lui est soumis a été tenu dans un forum de discussion très animé ou sur un blog d'expression de sentiments et pas de journalisme. Ce n'est d'ailleurs pas propre à Internet : les tribunaux ont l'habitude d'apprécier les circonstances de fait qui leur sont soumises et tiennent compte de ce qu'un propos a été tenu dans un article de journal ou un tract syndical…

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion