Intervention de Edwy Plenel

Réunion du 3 juillet 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Edwy Plenel :

J'ai apprécié les propos de Mme Mongin dont la philosophie est conforme à notre vision libérale du droit de la presse. Je n'aime pas l'expression « droit à l'anonymat » qui semble exclure toute responsabilité. Or, chacun demeure comptable de ses propos. Nous n'allons pas ériger un principe fondamental, la liberté d'expression, pour rajouter immédiatement plein de « saufs » qui la limiteraient. J'ai apprécié, dans vos propos, la réaffirmation du principe de neutralité selon lequel ce n'est pas le support qui importe : la tradition juridique construite autour de l'imprimé doit être défendue. Or, avec le numérique, ces principes anciens peuvent faire l'objet de régressions.

Sur la question de l'oubli, je pense qu'une réponse en termes d'invention serait préférable à l'instauration d'un droit à l'oubli qui remettrait en cause le droit à l'information. L'histoire des polémiques et des diffamations est nécessaire pour comprendre les affaires. Quand on fait l'histoire de l'affaire Dreyfus, il faut pouvoir lire les horreurs d'Edouard Drumont pour comprendre les réponses d'Emile Zola. Comment va se faire l'histoire du temps présent lorsque les horreurs des Drumont d'aujourd'hui auront été effacées ? La réponse est sous nos yeux : l'univers du numérique est l'univers de la relation, permise technologiquement par le lien hypertexte. Il faut construire des dispositions imposant que le droit de réponse, la rectification, la contradiction soient associés au contenu mis en cause, qui lui ne doit pas disparaître. Le contenu doit être rendu indissociable de ce qui le contredit, de ce qui le rectifie.

Sur la distinction espace privéespace public, nous n'allons pas définir les espaces privés et les espaces publics. Je rappelle qu'il a fallu l'ébranlement de mai 1968 pour qu'on considère que les entreprises ne sont pas des espaces fermés aux syndicats et qu'on ouvre un espace de contradiction au coeur de l'entreprise. Jusqu'en 1968, les locaux syndicaux étaient interdits au coeur de l'espace de l'entreprise.

Nous avons abordé aujourd'hui deux problèmes nouveaux : la question des hébergeurs et la question des nouveaux acteurs (citoyens, hébergeurs, lanceurs d'alerte). Je voudrais poser à présent la question du support. L'information aujourd'hui, ce n'est pas seulement du texte, c'est aussi de l'image et du son. Un débat a lieu actuellement au sein de la magistrature au sujet de dispositions de notre droit (les articles 226-1 et 226-2 du code pénal, issus d'une loi du 17 juillet 1970), qui précèdent le numérique mais qui donnent lieu aujourd'hui, sous l'effet du numérique, à une interprétation restrictive, limitant la liberté d'expression. Des décisions contradictoires ont été rendues par différents tribunaux. Le premier article sanctionne le fait de capter, d'enregistrer ou de transmettre sans le consentement de leur auteur des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel. Le deuxième article sanctionne des mêmes peines (un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende) le fait de porter ou de laisser porter à la connaissance du public ou d'un tiers ou d'utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l'aide de l'un des actes prévus par l'article 226-1. Quand ces dispositions ont été adoptées, à l'époque où les petits enregistreurs faisaient leur apparition, le garde des sceaux de l'époque avait affirmé qu'il ne s'agissait aucunement de porter atteinte à la liberté de la presse et que les juges seraient les garants de l'équilibre entre le droit à l'information et le droit au respect de l'intimité de la vie privée. Or, sous l'effet du numérique, avec les décisions concernant Atlantico dans une affaire, celles concernant Mediapart dans une autre affaire, se construit une jurisprudence que nous considérons avec certains juristes comme régressive car elle exclut l'appréciation qui est normalement celle du juge sur le contenu concerné : est-ce que le contenu dont la presse fait état et qui provient d'un enregistrement est légitime ? Les éléments de la bonne foi (légitimité du but poursuivi, respect du contradictoire, l'absence d'animosité personnelle, la modération dans l'expression) sont-ils réunis ? Les décisions dont il est question ont ignoré ces questions et celle du contenu et ont considéré, dans une interprétation restrictive liée à la prolifération de ces moyens d'enregistrement, que ces contenus n'auraient jamais dû être reproduits. Ces contenus sont considérés comme des éléments de preuve en justice et des magistrats enquêtent à partir de ces contenus mais les médias numériques qui les ont en partie reproduits sont censurés sur ces contenus. La contradiction est stupéfiante. Nous avons vainement tenté d'obtenir une QPC sur ce point. C'est pourquoi j'aurais aimé avoir votre point de vue. Il serait souhaitable que le législateur se saisisse de ce problème avant que la CEDH ne nous condamne.

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