Intervention de Serge Daël

Réunion du 9 juillet 2014 à 17h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Serge Daël, président de la Commission d'accès aux documents administratifs, CADA :

Je ne vais pas vous faire un exposé sur la CADA que vous connaissez tous, mais vous donner mon analyse des évolutions passées et à venir dans son domaine de compétence. Lorsque la loi du 17 juillet 1978 a créé cette commission, il ne s'agissait que d'organiser un système d'accès à des documents qui étaient alors tous sur papier, cependant que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), instituée la même année, recevait pour mission de contrôler l'accès aux fichiers et l'interconnexion de ceux-ci. Depuis, nous avons vécu la révolution technologique de la dématérialisation : quasiment tous les documents papier sont désormais numérisés, nous avons tous des écrans sur nos bureaux et les courriers que nous écrivons, même d'abord rédigés à la main, finissent presque toujours dans la mémoire d'un ordinateur.

La première conséquence est déjà totalement intégrée par la loi du 12 avril 2000, qui a rompu le lien entre le document et le support papier. Pour la CADA, un document peut être un papier, mais aussi une bande magnétique, une base informatique, une photographie ou une image. Deuxième conséquence : les conditions techniques de la diffusion et de la réutilisation de ces documents ont été profondément modifiées. En 1978 et au cours des années suivantes, les documents étaient diffusés par le Journal officiel, dans les recueils des actes administratifs, dans les publications de la Documentation française, etc. Aujourd'hui, diffusion équivaut à mise en ligne sous forme numérique, ce qui a complètement transformé les conditions de la réutilisation de ces informations publiques, qui peuvent être retraitées, modifiées, formatées en produits dérivés.

Ces mutations ont donné naissance au concept d'ouverture des données publiques, qui est devenu une politique et un objectif. En fait, il s'agit d'une autre révolution qui consiste à passer de la demande d'un document à la proposition de l'information en ligne : l'usager n'a plus qu'à tendre la main. Ce format numérique a pris une telle extension qu'il est devenu nécessaire de bien définir les limites de la protection des données identifiantes. Interpréter de manière extrême cette notion reviendrait à mettre le couvercle sur la lessiveuse et à empêcher toute vie démocratique car il faudrait, par exemple, demander l'autorisation des hommes politiques avant de mentionner leur nom. S'il faut protéger les données à caractère personnel et la vie privée, il faut donc veiller à ne pas en donner une définition trop extensive.

La réutilisation des données publiques, notamment à des fins commerciales, suppose un modèle économique. Jusqu'où doit aller le principe de gratuité de ces informations, qui ont un coût ? Qui fait quoi ? Qui paie quoi ? Il y a toujours un payeur, en dernier ressort le contribuable. Autre arbitrage : faut-il d'abord légiférer ou bien se lancer dans la généralisation de l'ouverture des données d'une manière pragmatique, quitte à poser ensuite un cadre légal ?

Quoi qu'il en soit, l'ouverture des données publiques est une chance selon la CADA, car le système qui reposait sur la demande d'un document papier était extrêmement lourd et coûteux. Prenons l'exemple d'une collectivité qui ne met pas en ligne son plan d'occupation des sols : elle va devoir produire des photocopies à la demande, jour après jour, et y consacrer un agent. L'accès libre sur Internet est excellent pour la vie démocratique, il coûte moins cher – il ne suppose qu'une seule opération – et il permet une réutilisation des données profitable à l'économie. Nous avons donc intérêt à diffuser publiquement tout ce qui peut l'être.

Reste le problème de ce qui ne peut pas l'être ou de ce qui ne peut l'être qu'après anonymisation, comme les informations personnelles qui relèvent de l'article 6 de la loi de 1978. À l'avenir, nombre de ces cas pourront être réglés par la création d'espaces personnels dans les administrations. Chacun peut ainsi se créer un espace sur le site impôts.gouv.fr et y accéder sans avoir besoin de faire une demande, d'attendre un courriel d'acceptation, etc. L'accès individuel demeurera mais de façon plus réduite, ce qui permettra des économies, favorisera la réutilisation des données et fera progresser la vie démocratique.

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