Intervention de Serge Daël

Réunion du 9 juillet 2014 à 17h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Serge Daël, président de la Commission d'accès aux documents administratifs, CADA :

Le rapport Trojette vous donnera la répartition entre le payant et le non payant. Pour résumer, quelques organismes vivent de leurs redevances : l'Institut géographique national (IGN), le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), la Bibliothèque nationale... Ce sont surtout des établissements du secteur culturel qui ont besoin de ressources pour numériser leurs fonds, comme les bibliothèques ou les musées. Ils sont minoritaires car, même si la loi le permet, peu de redevances ont été instituées, en raison peut-être des lourdeurs de gestion. En cas de gratuité, il faudra leur trouver des recettes budgétaires.

La directive européenne n'impose pas la gratuité : elle autorise la facturation au coût marginal, c'est-à-dire au prix de la mise à disposition de la dernière unité produite, et elle permet à certains organismes qui doivent générer des recettes de faire payer des redevances d'un montant supérieur. En France, l'État a posé le principe de la gratuité et il n'a prévu le maintien d'une redevance que pour quelques organismes minoritaires. Cela ne résout pas tous les problèmes : la gratuité, c'est parfait pour le citoyen et pour le réutilisateur qui invente un nouveau système ; pour les opérateurs économiques qui demandent des données sous un certain format bien structuré avec les métadonnées, le produit brut de l'administration n'est pas forcément adapté. Qui réalise et finance la mise sous un certain format ouvert, dans ce cas ?

Le principe de la loi est la communication. La logique n'étant plus celle du traitement d'une demande individuelle, mais celle de l'offre en ligne, pourrait-on envisager la suppression des exceptions prévues par l'article 6 et par l'article 2 ? Pour ce qui est de la notion de documents « internes », en dehors de certains barèmes de jury de concours, la CADA et le juge administratif l'ont vidée de toute portée juridique. En revanche, la loi dispose que les documents inachevés ne sont pas communicables et, de fait, on ne va pas publier des brouillons. Le cas du document dit préparatoire est plus délicat, car la catégorie est vaste. Il peut s'agir de l'avis d'un organisme – le Conseil supérieur de la fonction publique, par exemple – consulté avant la prise d'un décret. Cet avis préparatoire ne sera communicable qu'une fois la décision prise. Il peut aussi s'agir de rapports administratifs quand ceux-ci comportent des propositions qui pourraient être reprises par tel ou tel décideur. Cet audit sera communicable le jour où l'on en aura tiré les conséquences. Le sujet peut donner lieu à réflexion, voire à législation, car nous ne sommes plus en 1978. Certes, la prise de décision doit rester sereine et il ne s'agit pas de lâcher des informations préparatoires qui risqueraient d'ameuter ou d'affoler, mais on peut penser qu'il ne serait pas inintéressant de savoir que tel organisme, après analyse de telle situation, a mis en évidence des dysfonctionnements. Faut-il garder cela sous la table tant que la décision n'a pas été prise ? À titre personnel, je n'en suis pas convaincu et j'estime que la loi pourrait être revue sur ce point.

La CADA ne s'intéresse qu'à la réutilisation et à la diffusion publique des données identifiantes. Mais quand il s'agit de la communication d'un document à titre individuel, la notion de donnée à caractère personnel ou de donnée identifiante ne joue aucun rôle : on regarde seulement si l'on tombe sous le coup de l'article 6 et de la protection de la vie privée – notion la plus proche. La CADA – de longue date, sans être jamais démentie par le juge administratif et en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme – admet que certaines personnes se situent dans l'espace public en raison des fonctions qu'elles exercent : les hommes politiques, les fonctionnaires, certains responsables, etc. Elles ont une vie privée, mais les citoyens ont le droit d'en savoir plus sur elles que sur MM. Dupont ou Durand, car elles se sont mises volontairement dans l'espace public. La CADA est très attachée à sa doctrine sur ce point et elle s'y tiendra tant que le législateur ne lui aura pas demandé de faire autrement.

Le législateur pourrait intervenir sur la notion de donnée à caractère personnel, qui recouvre celle de donnée identifiante. Si à chaque fois qu'une information peut être rapportée à une personne, on considère qu'elle ne peut être diffusée sans le consentement de l'intéressé, la vie démocratique et les débats publics ne sont plus possibles. Il suffit de lire la presse et de se promener sur Internet pour constater que le Président de la République ou les ministres, pour ne citer qu'eux, font l'objet de débats publics tous les jours. Il serait utile de définir les limites de la protection dans l'espace public. Deux attitudes sont possibles : laisser les autorités administratives indépendantes, la CADA et surtout la CNIL, se débrouiller, ou estimer que c'est le rôle du législateur au niveau le plus élevé de fixer au moins de grandes lignes.

Dans le cas des services publics industriels et commerciaux, je plaiderais volontiers pour un élargissement de la catégorie des pièces communicables. Dès l'origine, le Conseil d'État a raisonné de la façon suivante : quand ces services agissent selon le droit privé, c'est parce que l'on a voulu qu'ils soient traités comme des entreprises et, soumis à la concurrence, ils ne peuvent supporter des obligations que n'a pas le secteur privé. Il n'empêche qu'ils restent des services publics. Dans l'état actuel des choses, leurs documents sont divisés en trois grandes catégories : ceux qui traitent de l'organisation du service public sont considérés comme des documents administratifs ; ceux qui se rapportent aux relations avec les agents et avec les clients relèvent du droit privé – ce qui se discute pour le conducteur de la rame de métro, qui a affaire à des usagers ; ceux qui concernent des marchés publics sont communicables ou non en fonction de leur rapport plus ou moins étroit avec le service public. Pour ma part, je pense qu'il y a un droit des citoyens à la transparence de tous les services publics, qu'ils soient administratifs ou industriels et commerciaux, mais qu'il serait déraisonnable d'ouvrir toute leur activité parce qu'ils sont sur un marché où le secret industriel et commercial existe, qu'ils emploient des agents selon les règles du droit privé, etc. Cela étant, il est parfois difficile de définir ce qui relève de l'organisation.

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