Intervention de Corinne Bouchoux

Réunion du 9 juillet 2014 à 17h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Corinne Bouchoux, sénatrice et rapporteure de la mission commune d'information sur l'accès aux documents administratifs et aux données publiques :

La France souffre en la matière d'un décalage entre la théorie et la pratique. En théorie, tout est accessible sauf ce qui a trait à la vie privée, à la défense nationale, au droit commercial et aux documents préparatoires. Pourtant, la CADA travaille de plus en plus et rend environ 5 000 arrêts par an, ce qui est forcément révélateur de problèmes. En fait, il existe une forme de résistance et d'inertie de la part d'administrations et de responsables politiques qui poussent à une interprétation extensive des exceptions prévues à l'article 6.

Dans le domaine de la défense nationale, que le secret s'applique aux documents relatifs à la fabrication des bombes est tout à fait normal, mais il couvre aussi des informations qui devraient être publiques. Pour avoir longtemps travaillé sur les essais nucléaires, j'ai pu constater qu'il était utilisé pour empêcher la communication du nom des personnes présentes sur certains sites lors des tirs. Je ne vois pas en quoi la divulgation de cette information menacerait la sécurité nationale. Pourtant, on s'est longtemps abrité derrière le secret défense pour ne pas communiquer ces listes et toute une série d'autres documents, qui restent d'ailleurs difficiles à obtenir.

Autre symptôme de résistance : l'invention par le Conseil d'État du concept de vie privée des entreprises – invention aussi géniale que passée totalement inaperçue pour des raisons qui m'échappent. Comme la CADA travaille très bien, que les journalistes sont de plus en plus inventifs, qu'Internet existe, que les demandes s'accroissent, et comme certains agents ne parvenaient plus à sécuriser telles ou telles informations, on a donc reconnu aux entreprises, dans un certain contexte, le même droit qu'à MM. Dupont ou Durand. Du même coup, on a rendu opaque ce que la législation devait rendre accessible. Nous sommes là dans une dialectique très française : tout progrès en matière d'ouverture et de transparence suscite une résistance, qui n'est d'ailleurs pas forcément organisée.

Dans le domaine industriel et commercial, des documents deviennent parfois accessibles à condition que certaines informations couvertes par le secret soient rendues illisibles. Encore faut-il que le document, lui, reste lisible.

Pour faire la distinction entre ce qui est payant et ce qui ne l'est pas, on peut se reporter au tome II de notre rapport, à la page 235, où M. Mohammed Adnène Trojette recense toutes les catégories de données soumises à redevance.

Après un an de travail, nous n'avons fait que seize propositions, ce qui est modeste, mais nous sommes tous tombés d'accord sur une mesure prioritaire qui permettrait d'accélérer la transmission des documents administratifs : la création d'un référé communication devant le juge administratif. Cette procédure permettrait de débloquer certaines situations où il y a refus de communiquer des documents malgré un avis favorable de la CADA. J'ai en tête un exemple qui concernait des comptes de campagne. Si nous empruntons la voie législative, nous devrons nous attaquer à ce paradoxe français : les droits reconnus se heurtent à une résistance de moins en moins acceptable à l'ère du numérique, d'autant que la transparence, vertu démocratique, peut aussi générer des opportunités économiques.

Cela étant, je ne suis pas sûre que le modèle norvégien soit transposable à la France. En Norvège, pour peu qu'il s'annonce, n'importe quel citoyen – a fortiori n'importe quel journaliste – peut aller dans n'importe quel ministère toutes les fins de semaine et demander à consulter l'intégralité des mails envoyés et reçus par le ministre ou son secrétariat. Ce modèle de transparence a été testé sur quelques collègues, mais je ne suis pas sûre que nous soyons prêts à l'adopter quand on sait que, pour avoir accès à certaines informations budgétaires, les députés sont encore obligés de se déplacer physiquement à Bercy. L'idée de transposer ce modèle a d'ailleurs suscité quelque émotion chez nos collègues.

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