Intervention de Edwy Plenel

Réunion du 9 juillet 2014 à 17h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Edwy Plenel :

Pour avoir demandé au conseil général des Bouches-du-Rhône des informations concernant des subventions à un syndicat de la police et à une fédération de chasseurs, je puis témoigner qu'après une absence de réponse, l'avis de la CADA a été suivi d'effet, contrairement à ce qui se passe avec les administrations centrales. Je comprends bien que la CADA place l'« effectivité » au coeur de son action, qui se veut avant tout pragmatique, mais ce que ce principe recouvre, c'est la différence entre un droit conditionné, conditionnel, indirect, et un droit fondamental qui tend à faire prévaloir une nouvelle culture démocratique dans l'administration, en substituant au mutisme des agents et au secret des papiers une démarche consistant à rendre les informations publiques avant même qu'on en fasse la demande.

La décision, mentionnée par M. Verdier, de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique de mettre en ligne différentes données est venue d'un séisme, d'une bataille journalistique où nous nous sommes heurtés à ce mutisme et à ce secret – de la part du ministère des finances, dans l'affaire Cahuzac. De la même manière, la réflexion du Conseil d'État sur les conflits d'intérêts est née de l'affaire Bettencourt.

En tant que citoyen, je me dois de vous alerter : nous ne pourrons suivre éternellement cette voie du pragmatisme, sur laquelle des gens de bonne volonté essaient de faire bouger le coeur d'un système qui, fondamentalement et de manière transpartisane, baigne dans la culture du secret. Il n'est que de saisir « archives DGSE » sur Google et, à l'inverse, « FOIA CIA » ! Même s'il y a aussi des menteurs et des secrets cachés aux États-Unis – voir l'affaire Snowden –, il y existe ce conflit démocratique qui permet à une société de s'emparer de ces sujets.

Chez nous, il n'y a rien de cet ordre, sinon des révélations journalistiques qui, de temps en temps, provoquent un accident et ébranlent un peu le système du secret. Ce qui en résulte, c'est le développement de la culture du complot chez les citoyens, de ce sentiment que toute information est a priori un mensonge et qu'il faut une révélation journalistique pour que les choses bougent. Je pourrais me féliciter que ma profession ait autant de pain sur la planche si je n'étais convaincu que tout cela mine la confiance dans la démocratie et qu'il faut donc adopter une loi établissant un droit fondamental à l'information : le droit, pour les citoyens, de savoir tout ce qui est d'intérêt public. Il ne s'agit plus seulement d'accéder aux documents administratifs : tout ce qui est d'intérêt public doit être public, pour que les citoyens puissent se faire juges, pour qu'ils délibèrent, discutent et forment leur opinion. Pour reprendre l'exemple du nucléaire, le conflit démocratique sur le sujet est lié à la culture du secret. La délibération sur le nucléaire n'est pas accessible.

La CADA dit ce qu'elle fait et fait ce qu'elle dit, certes, mais les administrations ne suivent pas, même quand il s'agit, dans le cas des comptes de campagne, d'autorités administratives dites indépendantes. C'est qu'en réalité ces autorités ne sont pas indépendantes et qu'il est nécessaire de repenser leur conception et le mode de désignation de leurs membres. Si l'on ne fait rien, on aura toujours ces scandales journalistiques qui ont une incidence sur la réflexion parlementaire, mais qui, selon moi, minent la confiance dans notre démocratie.

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