Sur la question des bénéfices et du modèle économique à mettre en place, il me semble que nous devons garder trois choses à l'esprit.
Premièrement, il est apparu dans certains pays que l'ouverture des données publiques a permis au secteur concerné de faire progresser son chiffre d'affaires de manière significative – on parle de taux à deux chiffres – par rapport à d'autres pays où cette ouverture n'a pas eu lieu. Le cas du Royaume-Uni a été examiné en détail dans le cadre d'un rapport indépendant remis au Premier ministre britannique, qui mettait en évidence un bénéfice de huit milliards d'euros, dont deux milliards d'euros d'effets directs sur la société.
Deuxièmement, le montant de 35 millions d'euros de redevances concerne une vingtaine d'organismes, dont deux concentrent à eux seuls environ 20 millions d'euros.
Troisièmement, nous sommes dans un contexte de concurrence entre les plates-formes publiques et privées. Plus les utilisateurs de données vont vers les plates-formes privées, moins ils vont vers les publiques, dont les données ont tendance à se périmer rapidement. Dès lors, il importe d'établir des priorités, et de se demander quelles sont les urgences : à mon sens, la première est de faire en sorte que les utilisateurs les plus innovants continuent d'utiliser les données publiques, afin que les missions de service public continuent d'être exercées dans de bonnes conditions. Le premier principe qui doit nous guider dans le choix d'un modèle économique consiste donc à écarter les modèles portant atteinte au principe de gratuité affirmé depuis plusieurs années par les gouvernements successifs.
Le deuxième principe à poser en urgence, dans l'hypothèse de l'open data par défaut justifiant une commercialisation exceptionnelle pour certaines données, c'est que la tarification ne doit pas entraîner une impossibilité totale d'accéder gratuitement à la base de données brutes. L'idée – correspondant à celle de la redevance retenue dans le cadre de la LOLF – est que la tarification se justifie par la mise en place de services supplémentaires consistant en un traitement spécial administré au jeu de données, ou dans l'autorisation d'utiliser avec une intensité particulière les ressources obtenues de l'administration – il peut s'agir du nombre d'accès concurrents sur les bases de données, de la bande passante mobilisée, de la fréquence des mises à jour auxquelles il est procédé, ou encore de la mise en place d'une sorte d'embargo aux termes duquel les utilisateurs payants disposeraient des données quelques jours avant les autres, comme cela a été le cas avec la base de données des carburants mise à disposition sur data.gouv.fr par le ministère de l'économie et des finances.
En tout état de cause, certains modèles de tarification sont à proscrire. Je pense en particulier aux modèles basés sur le volume de données téléchargées, qui empêchent les acteurs incapables de payer d'accéder à l'ensemble de la base de données – alors que seul un accès total a une réelle valeur. Les modèles de tarification dégressive sont également à écarter, ainsi que ceux limitant la gratuité dans le temps et ceux basés, sans aucune nuance, sur l'existence d'une activité commerciale – si l'administration refuse parfois de mettre gratuitement des données à disposition de certaines sociétés, s'attendant à ce qu'elles en fassent une utilisation économique, une telle position ne peut se justifier dans la mesure où l'un des intérêts de la mise à disposition massive de jeux de données est précisément de permettre l'exercice d'activités économiques, a fortiori lorsque ces activités sont localisées en France et en Europe, où elles créent de l'emploi et améliorent le bien-être économique et social.
En ce qui concerne l'environnement juridique, je précise qu'à mon sens, l'article 15 de la loi CADA pose un problème dans la mesure où il introduit de l'ambiguïté par rapport au principe de gratuité et entretient une confusion quant aux motivations autorisées pour la mise en place et le maintien d'une redevance de réutilisation – le coût de collecte et de production des données ne pouvant, en tout état de cause, être couvert que par le budget de l'État. De plus, cet article met en place une véritable usine à gaz destinée à vérifier que le montant total des redevances perçues ne dépasse pas un certain plafond, dont la détermination donne lieu à des calculs très compliqués.