Intervention de Guillaume Larrivé

Réunion du 17 décembre 2014 à 9h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuillaume Larrivé, rapporteur :

Vous avez bien voulu, monsieur le Premier ministre, vous soumettre à cette audition, en acceptant la proposition qui vous a été présentée par le Président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, qui souhaite vous nommer au Conseil constitutionnel afin d'achever le mandat, trop tôt interrompu, du regretté Jacques Barrot, qui avait été nommé en 2010 par le Président de l'Assemblée nationale Bernard Accoyer.

Votre mandat courrait, par conséquent, jusqu'en février 2019. Je précise que, à l'expiration de ce mandat, vous ne pourriez être à nouveau nommé membre du Conseil constitutionnel, l'article 12 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel n'autorisant une nouvelle nomination que si le membre du Conseil constitutionnel a occupé des fonctions de remplacement depuis moins de trois ans.

Qu'il me soit permis de rappeler, à titre liminaire, ce qui fonde l'avis que notre commission est aujourd'hui invitée à exprimer. La commission des Lois a compétence pour donner un avis sur les nominations des membres du Conseil constitutionnel, en vertu des articles 13 et 56 de la Constitution, dans leur rédaction issue de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, et des lois organique et ordinaire du 23 juillet 2010 prises pour son application.

S'agissant d'une nomination proposée par le Président de l'Assemblée nationale, notre commission est seule compétente. Elle a la faculté, le cas échéant, de s'opposer – par un vote secret, acquis à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés au sein de la commission – à une nomination qui ne paraîtrait pas conforme à l'intérêt de notre pays. C'est là un important progrès des droits du Parlement, souhaité et organisé par la révision constitutionnelle conduite sur l'initiative du Président de la République Nicolas Sarkozy, malgré les réticences et les doutes de l'opposition de l'époque. Chacun peut désormais, sur tous les bancs, se féliciter de cette avancée démocratique majeure, qui donne aux représentants de la Nation le pouvoir d'exprimer un avis sur la composition du Conseil constitutionnel. Dans cet esprit, je remercie le Président Jean-Jacques Urvoas d'avoir choisi un rapporteur issu des rangs de l'opposition, alors qu'il n'y était pas tenu par les textes.

Votre rapporteur ne croit pas opportun de présenter ici le parcours de M. Lionel Jospin, que chacun connaît pour ce qu'il est, celui d'un homme public éminent, engagé dans la vie politique de notre pays, au service de l'État, ayant assumé pendant cinq années la direction du gouvernement de notre République.

Si votre nomination est confirmée, vous serez, à ce stade, le seul ancien Premier ministre de la Ve République à avoir été nommé au Conseil constitutionnel. Georges Pompidou y avait siégé entre 1959 et 1962, avant de devenir chef du Gouvernement, et Jacques Chirac en est membre de droit en sa qualité d'ancien Président de la République.

Je suis, pour ma part, favorable au fait que des personnalités qui ont occupé les fonctions les plus éminentes au coeur de l'État puissent faire bénéficier le Conseil constitutionnel de leur expérience, qu'il s'agisse des anciens chefs de l'État, membres de droit, ou, le cas échéant, d'anciens Premiers ministres nommés au Conseil constitutionnel, dès lors qu'ils ont quitté la vie politique. Il s'agit là peut-être d'un point de nuance, voire de désaccord avec vous, monsieur le Premier ministre, puisque la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, que vous avez présidée en 2012, avait estimé que « l'appartenance [...] au Conseil constitutionnel, de ceux qui ont été les plus hauts responsables politiques du pays introduit [...] par elle-même, une forme de confusion entre fonctions juridictionnelles et fonctions politiques qui ne [...] paraît pas souhaitable ». Je ne partage cet argument de principe ni pour les anciens Présidents de la République ni pour les anciens Premiers ministres, dès lors qu'ils ont fait le choix de quitter la vie politique. Et je suis certain que vous aurez à coeur, si vous rejoignez le Conseil constitutionnel, d'éviter toute confusion entre la fonction juridictionnelle et la fonction politique.

Je terminerai cette introduction en vous priant, monsieur le Premier ministre, de nous faire part de votre analyse sur les missions du Conseil constitutionnel et la manière dont vous entendez y contribuer. De quelque manière qu'on le regarde, du point de vue du législateur, de la doctrine ou du justiciable, le Conseil constitutionnel a connu, au fil de la Ve République, une profonde mutation. Le général de Gaulle avait créé le Conseil comme un organe de régulation des relations entre les différentes institutions. Dès 1971, celui-ci a heureusement choisi, de manière assez prétorienne, de contrôler la constitutionnalité des lois, en étudiant leur conformité non plus seulement à la lettre de la Constitution, mais aussi aux principes, droits et libertés énoncés et garantis par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et par les autres éléments du « bloc de constitutionnalité ». Valéry Giscard d'Estaing a ensuite profondément transformé l'institution, avec la révision de 1974 qui a permis la saisine du Conseil par soixante parlementaires, autrement dit par l'opposition. Le Conseil constitutionnel est enfin entré dans un nouvel âge avec la révision de 2008, voulue par le Président Nicolas Sarkozy et créant la question prioritaire de constitutionnalité, qui donne à tous les justiciables le droit de provoquer la saisine du Conseil constitutionnel pour faire valoir leurs droits fondamentaux. C'est une avancée majeure de l'État de droit : tout l'édifice des lois est désormais susceptible d'être contrôlé par le Conseil constitutionnel au regard des droits et libertés garantis par le bloc de constitutionnalité.

Si la mise en oeuvre de la question prioritaire de constitutionnalité s'est traduite, dans un premier temps, par un important accroissement de l'activité du Conseil, le nombre de QPC semble s'être stabilisé ces dernières années – 74 décisions en 2012 et 66 en 2013. Néanmoins, les statistiques témoignent de l'activité intense du Conseil constitutionnel : en 2013, celui-ci a rendu 357 décisions, dont 89 dans le cadre du contrôle de constitutionnalité – dont 66 QPC –, 257 en matière d'élections et 11 dans le cadre de ses autres compétences – déclassements, incompatibilités et décisions d'organisation interne.

Cela représente, en moyenne, près de sept décisions par semaine. Dès lors, une partie de la doctrine s'interroge sur d'éventuelles évolutions de la composition, des procédures et de l'organisation du Conseil constitutionnel, de plus en plus « juridictionnalisé ». C'est dans cet esprit, monsieur le Premier ministre, que je vous ai adressé la semaine dernière un questionnaire auquel vous avez bien voulu apporter des réponses écrites, transmises à chacun des commissaires aux lois et rendues publiques sur le site de l'Assemblée nationale. Je précise que je n'ai pas estimé souhaitable de vous soumettre des questions de droit constitutionnel matériel, qui vous auraient amené à anticiper sur les positions que vous pourriez prendre en tant que membre du Conseil constitutionnel, les décisions étant soumises au secret des délibérés.

Vos réponses écrites traduisent votre fidélité à une conception du contrôle de constitutionnalité que je qualifierais de classique, c'est-à-dire de conforme à l'esprit de la Ve République. Les chemins escarpés et incertains qui conduiraient à publier les opinions dissidentes des membres du Conseil constitutionnel, à envisager que celui-ci soit saisi pour avis par le pouvoir exécutif ou le pouvoir législatif ou, plus révolutionnaire encore, à envisager une évolution vers une Cour suprême unique, n'ont pas votre préférence. Cette prudence me semble empreinte de sagesse.

Vous avez exprimé, de même, votre attachement au fait que le juge constitutionnel n'exerce pas de contrôle de conventionnalité, conformément à sa décision de 1975. Vous avez cependant estimé que, dans ce cadre, il importait que le Conseil constitutionnel, le Conseil d'État et la Cour de cassation veillent à maintenir un vrai « dialogue des juges », favorisant une certaine cohérence des contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité.

Qu'il me soit permis à cet égard de former un voeu : le Conseil constitutionnel ne doit pas craindre, demain, de s'écarter de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, si cela lui apparaît conforme à l'intérêt national. Le Conseil constitutionnel n'est pas et n'a pas vocation à devenir une chambre subordonnée à la Cour de Strasbourg ; il est le juge constitutionnel suprême d'un pays, le nôtre, qui a été l'un des premiers à énoncer une Déclaration des droits de l'homme et qui sait faire respecter les droits fondamentaux, en s'assurant toujours de préserver un juste équilibre entre les droits des personnes et le droit de l'État. Le Conseil constitutionnel doit à la fois rester indépendant de toute autre institution et savoir dialoguer raisonnablement avec le Gouvernement et le Parlement de la République, sans faiblesse ni dogmatisme, en gardant à l'esprit l'avertissement de Montesquieu : « Il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

C'est en restant fidèle à cette conception française de la séparation des pouvoirs que nous aurons maintenant le plaisir, monsieur le Premier ministre, de vous écouter.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion