Monsieur le Premier ministre, j'aimerais connaître votre sentiment général – et non, bien sûr, votre position précise – quant au rapport qu'entretient le Conseil constitutionnel avec l'évolution du droit européen. On peut avoir l'impression que les très nombreuses réformes de la Constitution qui ont découlé des positions du Conseil constitutionnel sur les transferts de compétence voulus par les traités en viennent à défigurer la conduite même de la parcelle de souveraineté nationale détenue par le Parlement. En cette matière, le Conseil constitutionnel agit a priori : consulté, il ne contrôle pas à proprement parler les traités européens, mais se contente d'indiquer à l'exécutif et au Parlement s'il convient de modifier la Constitution pour les intégrer. Cette accumulation de révisions constitutionnelles nécessitées par les traités donne le sentiment que le Conseil constitutionnel français ne porte jamais de jugement général sur l'éventuelle atteinte à la souveraineté nationale qui pourrait en résulter.
Ma seconde question concerne le déferlement du droit dérivé issu des traités. La transposition des directives a fait l'objet en 2004 d'une importante décision dans laquelle le Conseil constitutionnel indiquait que cette transposition constitue une exigence constitutionnelle au regard de l'article 88-1 de la Constitution. Le Conseil a ensuite précisé qu'il pouvait, et pourrait désormais, contrôler la loi qui en résulte, afin de vérifier qu'elle ne heurtait pas des principes constitutionnels qu'il a limités à ce qu'il a appelé l'« identité constitutionnelle de la France ». Peut-être cette dernière demande-t-elle à être détaillée, ce qui n'a pas été fait depuis lors. Selon les commentateurs autorisés, elle se compose principalement de la forme républicaine du Gouvernement et de la laïcité. Ce qui donnerait au Conseil constitutionnel, en matière de contrôle a posteriori de la transposition du droit dérivé, une vision quelque peu étroite, surtout par comparaison avec la Cour de Karlsruhe qui pousse beaucoup plus loin le contrôle, y compris celui des pouvoirs du Parlement.
L'impression dont je fais état vous paraît-elle justifiée ? Dans son contrôle a posteriori, le Conseil constitutionnel pourrait-il selon vous appliquer le principe qu'il a lui-même dégagé en mettant en garde contre les lois qui heurteraient l'identité constitutionnelle de la France ?
La réponse à ma dernière question peut certainement se déduire de ce que vous avez dit de votre position personnelle quant à votre engagement dans la vie publique française : j'imagine que vous ne seriez jamais en situation de solliciter du Conseil constitutionnel un congé de quelques semaines pour mener une campagne électorale à la demande du Président de la République en exercice – dans le cas auquel je songe, il s'agissait de Jacques Chirac –, considérant qu'une telle attitude n'est guère conforme à la déontologie que l'on peut attendre des membres du Conseil constitutionnel.