Pour le Conseil constitutionnel, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le préambule de la Constitution de 1946 sont de force égale, comme toute autre composante du bloc de constitutionnalité. Cela ne fait aucun doute. Par ailleurs, chacun, peut-être même au sein du Conseil, et en tout cas au dehors, peut avoir ses affinités historiques, ses préférences – qui pour l'esprit libéral exprimé dans la Déclaration de 1789, qui en faveur de l'évolution que représentait le préambule de 1946, avec l'affirmation des droits sociaux, de certains droits économiques, des droits de la puissance collective à l'égard de l'activité économique du pays.
Pour ma part, quand je relis la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen – comme je l'ai évidemment fait avant de vous retrouver –, je suis de nouveau frappé par ce texte magnifique, sa force, sa densité, son caractère novateur. En même temps, les droits nouveaux affirmés dans le préambule de la Constitution de 1946, directement issus d'une réflexion sur la tragédie de la Seconde Guerre mondiale, sur l'expérience du totalitarisme, sur les souvenirs de la crise des années trente, sont essentiels à mes yeux. Quoi qu'il en soit, je le répète, du point de vue du droit et de l'appréciation du Conseil constitutionnel, ces deux textes fondamentaux ont exactement la même force.
Quant à la présence d'anciens responsables politiques au sein du Conseil constitutionnel, il me semble qu'elle est, aux yeux du Conseil lui-même comme des constitutionnalistes, une bonne chose. L'existence d'un certain équilibre, non prédéfini, entre les praticiens du droit, qu'ils soient universitaires, appartiennent à l'ordre judiciaire ou à la juridiction administrative, et des hommes ou des femmes qui, sans ignorer le droit, ont une expérience différente de l'État pour avoir eu à le conduire ou pour avoir été des législateurs, est certainement utile au travail du Conseil.
Pour le reste, chacun est garant de sa propre indépendance. Le fait d'avoir été longuement engagé dans la vie politique de son pays n'empêche pas l'indépendance, y compris vis-à-vis des formations politiques auxquelles on a pu appartenir, et n'interdit pas d'avoir à l'avenir, dans une situation et une mission différentes, une vision différente des choses, laquelle n'implique pas de renoncer à ses conceptions.
Vous avez donc, monsieur le député, à former votre opinion avant de donner votre avis, y compris sur ce point, en considérant l'homme que j'ai été et celui que je suis aujourd'hui. À cette fin, on pourrait trouver une indication – même s'il n'y avait pas là la moindre anticipation de ma part – dans le fait que je n'ai pas été disert lorsqu'il s'agissait de commenter la vie politique française au cours des toutes dernières années, et que je me suis, en règle générale, gardé d'y intervenir de manière partisane comme de polémiquer avec ceux qui n'appartenaient pas à mon univers politique, n'intervenant guère que pour corriger des propos liés à mon action comme Premier ministre lorsque je les estimais inexacts.
Venons-en à la question des membres de droit. Je l'ai rappelé, j'ai présidé une commission qui avait préconisé qu'il soit mis fin à ce statut. Dans l'esprit de la commission à l'époque, me semble-t-il, et, indéniablement, dans le mien, hier comme aujourd'hui, cette proposition n'avait aucun rapport avec la qualité individuelle des membres de droit du Conseil constitutionnel. De l'unique ancien Président qui, à ma connaissance, prend aujourd'hui part aux activités du Conseil, chacun connaît l'exceptionnelle intelligence et la très grande expérience ; je crois d'ailleurs, sans avoir encore eu l'occasion de me renseigner beaucoup, que sa participation aux travaux du Conseil est tout à fait active.
Je partage à titre personnel la position de la Commission de rénovation et de déontologie de la vie publique. Il me semble que, dans l'exercice des missions publiques, on doit relever soit de l'élection, soit de la nomination par une autorité qui a le pouvoir de nommer. La référence à une sorte d'antériorité automatique ne me paraît pas tout à fait conforme à notre esprit républicain. On peut d'ailleurs se demander si cette disposition ne trouve pas son origine dans la conjoncture politique de l'époque et dans la volonté de traiter avec respect celui qui était devenu un ancien président de la République.
Toutefois, ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui décide de sa propre composition ni de son statut, mais le pouvoir constituant, le législateur. Dès lors, quoi que j'en aie pensé et quoi que j'en dise devant vous, ce débat doit avoir lieu hors du Conseil : il relève de votre responsabilité de parlementaires – et, bien sûr, de celle du pouvoir exécutif par l'intermédiaire de projets de loi.