Mon sentiment, certes encore imparfait, est que les motivations actuelles des décisions du Conseil sont assez détaillées. Je ne suis pas aujourd'hui en mesure de porter un jugement de valeur ni de formuler des suggestions pour, le cas échéant, améliorer leur qualité.
Je puis en revanche vous répondre, madame la députée, à propos des avis dissidents. Dans mes réponses écrites, j'ai fait part de ma réserve, voire de mon opposition. En effet, le secret des délibérés est un principe fondamental de notre droit, qui s'applique à l'ensemble des juridictions françaises ; à supposer que l'on veuille le modifier s'agissant du Conseil constitutionnel, il serait sans doute extrêmement difficile d'éviter que la question ne se pose pour les autres juridictions de l'ordre judiciaire et administratif. Or ce principe est, me semble-t-il, la meilleure garantie de l'indépendance des magistrats et de leur autorité morale lorsqu'ils jugent.
Considérons, même si je ne le connais pas encore d'expérience, ce qu'est le Conseil constitutionnel. Sauf à l'identifier à une instance politique – ce qui poserait problème du point de vue des nominations –, son travail, si je l'ai bien compris, consiste à s'appuyer sur le droit, sans porter des jugements de valeur ou d'opportunité, ce qui empiéterait sur le terrain du législateur, pour rechercher collectivement la meilleure solution à un contentieux électoral, à une QPC ou lors du contrôle de la constitutionnalité d'une loi. Au sein d'une instance aussi restreinte en nombre, dont certains membres sont aussi connus, notamment pour leur engagement politique passé, la possibilité d'opinions dissidentes – qui existent à la Cour européenne des droits de l'homme, mais pas à la Cour de justice de l'Union européenne – modifierait fondamentalement le travail en exposant au risque sinon de « postures », du moins de positions a priori.
Dans une société où tout tend à devenir une scène de théâtre, il n'est peut-être pas mauvais qu'il existe des instances qui travaillent dans la discrétion. La validité de leur travail sera reconnue dans la mesure où l'autorité même des décisions l'est. Le Conseil ne serait plus le même si ses membres exprimaient leurs opinions dissidentes, sans parler du risque de limiter leur liberté d'expression au cours de la discussion.
Que serait un Conseil constitutionnel idéal ? Je ne le sais pas et je n'oserais tenter devant vous, monsieur le député, de le définir, en contradiction avec la modestie de mon propos introductif. Quoi qu'il en soit, le Conseil est dès à présent une cour constitutionnelle, même s'il n'en porte pas le nom. Devrait-il devenir une Cour suprême, comme aux États-Unis ? Je ne le pense personnellement pas. Cela supposerait qu'il assume les fonctions de la Cour de cassation et du Conseil d'État. Nous avons un système organisé, coordonné et qui fonctionne, même s'il peut certainement être amélioré. Le modèle spécifiquement américain de la Cour suprême serait trop éloigné de la tradition constitutionnelle française.
L'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi est-il suffisamment respecté ? À cet égard, le Conseil d'État joue déjà, en amont, un rôle important, de même que le secrétariat général du Gouvernement – j'en ai fait l'expérience comme Premier ministre. D'après ce que j'ai commencé à comprendre, c'est surtout l'ambiguïté des lois que le Conseil constitutionnel veut éviter. Mais il ne doit pas, à mon sens, se risquer à empiéter sur le pouvoir du Parlement.
Enfin, si une QPC, ou une autre discussion d'ailleurs, concernait un texte de loi voté par le Parlement à l'époque où j'étais Premier ministre, il est évident que je me déporterais.