Intervention de Edwy Plenel

Réunion du 4 décembre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Edwy Plenel :

Je l'ai bien compris. Mais s'agit-il d'une question de règles ou de principes fondamentaux ?

Vous évoquiez l'invention de l'internet par les Américains. Vous savez aussi que le World Wide Web, qui a engendré ce « réseau des réseaux » dont profitent aujourd'hui les opérateurs économiques, a été conçu par des chercheurs à la frontière franco-suisse à partir de 1989. Il a basculé dans le domaine public il y a vingt et un an seulement, en 1993.

Nous sommes donc face à une innovation qui vient de la société. Plutôt que de la comparer aux autoroutes, je préfère la rattacher à la question de l'accès au savoir et de la circulation de l'information quelle qu'elle soit. Alors que l'automobile ne permet que le déplacement d'individus, il s'agit là de ce que partage toute une société : l'accès à des cours en ligne, l'accès aux débats de notre commission, l'accès à l'information en général.

Il serait paradoxal que l'Europe et le régulateur français soient en retrait par rapport aux demandes de la société, voire au débat qui a lieu aux États-Unis. Faut-il rappeler que le président Obama, s'adressant à la Commission fédérale des communications (FCC) – votre équivalent américain –, a fermement pris position pour un internet libre et ouvert, et contre un internet à deux vitesses, excluant donc le développement d'un espace de services spécialisés ? Vous avez vous-même souligné le risque que ce développement en vienne à menacer l'accès général à l'internet.

Ce que nous refusons, au fond, c'est que les FAI puissent décider de qui peut avoir accès ou non à l'internet, et de l'existence de voies rapides et de voies lentes.

Vous n'ignorez pas que, du fait de la crise qui touche les milieux de l'information, des fournisseurs d'accès contrôlent également la production de contenus. En d'autres termes, ils ont à la fois les tuyaux et les contenus à faire passer par ces tuyaux, ce qui signifie qu'ils sont juge et partie. Si on les autorise à établir un service spécialisé, les contenus auxquels ils donneront la priorité seront les leurs puisqu'ils sont propriétaires de journaux, voire de chaînes de télévision. L'inégalité est donc au coeur du problème.

Ma question est simple. Êtes-vous d'accord, en tant que régulateur, avec la définition de la neutralité du réseau adoptée cette année par le Parlement européen : « L'ensemble du trafic internet est traité de façon égale, sans discrimination, limitation, ni interférence, indépendamment de l'expéditeur, du destinataire, du type du contenu, de l'appareil, du service ou de l'application » ? Il s'agit bien d'une question de principe et non d'une question technique, même si je comprends votre souci de vérifier ce qui se passe « sous le capot ». Les arguments techniques doivent se plier face à cet enjeu démocratique et politique. Ce sont les usages sociaux, ce que nous déciderons collectivement en tant que société, qui détermineront l'avenir du réseau.

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