Intervention de Jean-Ludovic Silicani

Réunion du 4 décembre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Jean-Ludovic Silicani, président de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes :

Il nous a été difficile d'exploiter les premiers résultats de notre enquête de qualité de service. De par l'insuffisance de nos moyens, nous étions insuffisamment autonomes par rapport à certains prestataires ou certains acteurs. Si des moyens nous sont accordés dans le budget de 2015, comme nous l'espérons, ou en tout cas dans le budget de 2016, nous pourrons poursuivre nos travaux et publier des résultats tous les six mois.

Après des discussions internes autour de l'imperfection du dispositif, nous sommes tombés d'accord pour nous lancer à l'eau et pour publier les résultats du travail important que nous avions effectué avec les opérateurs, les experts et les associations de consommateurs. Il aurait été frustrant de ne rien publier au motif que l'étude n'était pas complète ! Nous nous sommes néanmoins entourés de toutes sortes de précautions pour mettre en garde contre des interprétations trop hâtives. À l'avenir, nous en sommes d'accord, il faudra faire mieux et plus.

Cela dit, nous sommes un des rares régulateurs européens à nous engager dans cette voie. C'était une nécessité malgré la complexité de la question. Nous devons évidemment être à l'écoute de la façon dont les choses sont ressenties, mais arrive un moment où nous devons les examiner de manière rationnelle. Les résultats donnés par des échantillons non représentatifs d'internautes sur la qualité de l'accès à l'internet sont intéressants mais ne traduisent que ce que ces échantillons ont collecté. Qui étaient les acteurs qui ont procédé aux mesures ? Étaient-ils représentatifs de la population française ? Sur quels terminaux et dans quelles conditions techniques ont-ils procédé ? À quel moment ? Ces initiatives sont utiles parce que stimulantes, mais elles ne peuvent se substituer aux mesures rigoureuses que nous nous efforçons de faire. La démarche est compliquée et donne lieu à des débats techniques qui se poursuivront, mais nous la mènerons. Nous parviendrons à établir une mesure fiable permettant à la fois de comparer les opérateurs et de poser une appréciation globale de la qualité du marché. Si cette qualité fixée par les textes n'est pas atteinte, nous avons la possibilité de sanctionner les acteurs suivant des modalités que nous définirons et qui pourraient être l'interdiction de se présenter comme fournisseur d'accès à l'internet. Il s'agirait, en l'occurrence, d'un mélange du droit des télécommunications et du droit de la consommation.

Pour en revenir au caractère plus ou moins payant de l'interconnexion, je reprendrai la formule que j'ai souvent répétée devant le Parlement : pour nous, l'internet est un bien stratégique d'intérêt général. J'espère ne pas avoir donné l'impression de contredire ce principe aujourd'hui ! Le fait qu'un bien ou un service soit d'intérêt général ne signifie pas forcément qu'il est gratuit. L'entrée des musées est payante, on achète son journal, etc. Encore faut-il que le prix soit abordable. Or, si l'on a critiqué l'action de l'ARCEP ces dernières années, c'est plutôt pour lui reprocher d'avoir trop fait baisser le prix de l'accès aux services de communication électronique. Pour ma part, je pense que nous les avons amenés à un niveau abordable, conformément à l'objectif fixé par la loi.

S'agissant des relations entre professionnels, c'est-à-dire entre les commerçants que sont les FAI et les acteurs de l'internet, la question est toute différente. Il s'agit de rapports avec de grandes entreprises mondiales dont on se demande pourquoi il faudrait leur interdire de payer l'accès à un réseau. Notre position n'a pas varié : pour nous, ce n'est ni interdit ni obligatoire. Les choses doivent être examinées au cas par cas. Bien entendu, nous préciserons notre approche en fonction du souhait des parlementaires.

Enfin, l'ARCEP a engagé une nouvelle phase de travaux pour mieux connaître les nouveaux usages et les nouveaux acteurs de l'internet : machine to machine, internet des données ou big data, cloud computing, mais aussi services d'intérêt général en ligne tels que la télé-éducation ou la télémédecine. Dans ces deux derniers cas, lorsque des entreprises publiques ou privées investies de mission d'intérêt général se trouvent sur des marchés concurrentiels, on pourrait envisager de rendre l'accès à ces services et à ces contenus soit gratuit, soit payant à un prix inférieur à celui du marché. Une telle différenciation ne serait pas une discrimination : entre un service qui vise à assurer de la médecine en ligne dans des zones rurales pour améliorer la qualité de vie des personnes âgées ou handicapées et un service simplement commercial, la différence de situation est manifeste. Or, en cas de contentieux entre acteurs de contenus et acteurs de réseau sur le prix de l'interconnexion, nous examinerions si la différence de prix est fondée ou non sur une différence de situation.

Ces exemples concrets montrent comment l'on pourrait mettre en oeuvre les principes forts que nous avons fixés depuis 2010 et qui ne sont nullement remis en cause. L'internet général doit rester libre et ouvert. Nous en surveillons la qualité grâce aux outils dont nous disposons et que nous améliorerons dans le futur. En matière d'interconnexions et de services spécialisés, des marges plus importantes existent pour s'ouvrir à une dimension économique plus classique. En la matière, notre position, reprise dans le rapport du Conseil d'État, est de ne pas définir par avance ce que doit être un service pour avoir le statut de service spécialisé. L'innovation étant permanente dans ce domaine, ce que nous écrivons aujourd'hui risque d'être démenti demain. Mieux vaut fixer de grands principes, des valeurs, des caps, tout en restant pragmatique dans leur mise en oeuvre. Oui à un cadre législatif général, mais en laissant des marges de manoeuvre au régulateur dont c'est là une des raisons d'être.

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