Intervention de Marc Robert

Réunion du 26 novembre 2014 à 17h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Marc Robert, procureur général près la cour d'appel de Versailles, auteur du rapport Protéger les internautes relatif à la cybercriminalité :

S'agissant de l'interdiction d'accès, je crois que la France a été traumatisée par les débats sur la loi HADOPI. Nous n'avons pas eu de chance que ce problème du droit d'accès soit uniquement envisagé sous l'angle du droit d'auteur. Il nous a semblé que pour les atteintes les plus graves aux mineurs, commises via Internet, il n'était pas choquant d'interdire à la personne concernée d'avoir accès à Internet pendant une période déterminée. Le système pénologique est très large et comporte des sanctions bien plus graves que celle-là. Pourquoi sanctuariser pour ce type de crime ce qui constituerait une peine judiciaire et non pas administrative ? Il faut raisonner aussi par rapport à la nature des crimes et aux intérêts supérieurs de protection des enfants.

S'agissant des mesures de responsabilisation des intermédiaires, nous avons beaucoup réfléchi au rôle des prestataires et avons fait deux constats.

Premièrement, les quinze dernières années ont été marquées par des valses-hésitations dans la politique de l'État à leur égard : dans un premier temps, on a cherché à appuyer la police du net sur l'autodiscipline des professionnels ; ensuite, on a tenté la corégulation ; puis, on a mis en oeuvre des dispositifs de contrôle-sanction relevant d'autorités administratives indépendantes ou pas ; enfin, cerise sur le gâteau, on a instauré une réponse judiciaire, tantôt civile, tantôt pénale, sans que le partage soit extrêmement net.

Deuxièmement, nous avons fait figure de pionnier avec la loi de 2004 sur l'économie numérique, qui a connu quelques aménagements sans que l'architecture des sacro-saints articles 6 et 7 n'en soit affectée – je dis « sacro-saints » car dès que j'évoquais devant les représentants du ministère de l'économie numérique l'éventualité d'une réécriture, je sentais se manifester une sensibilité à fleur de peau, un peu comme pour la loi sur la presse. Lorsque l'on fait le bilan de ces articles, on se rend compte qu'ils ne peuvent s'adapter ni à l'évolution des techniques ni à la diversification des prestataires. De surcroît, une bonne partie de leurs dispositions, qui prévoient des obligations à la charge des prestataires, n'est ni contrôlée ni respectée. Bref, en forçant le trait, je dirai que la loi de 2004 est en partie une coque vide. Demandez aux juges des référés, demandez à certaines victimes ce qu'ils pensent de l'effectivité de ses normes.

Bien sûr, il était hors de question pour nous de remettre en cause le principe de l'irresponsabilité des prestataires, gravé dans le marbre européen. Il n'était pas non plus envisageable de mettre en cause le principe de partenariat avec ces mêmes prestataires. Il doit être au contraire activement recherché. Nous appelons toutefois de nos voeux une clarification.

Nous souhaitons, tout d'abord, que leurs obligations sur le plan normatif soient précisées. Que peut-on leur demander ? La question se pose car la loi de 2004 est souvent relativement sibylline. Il nous paraît possible de charger fournisseurs et hébergeurs de détecter certaines infractions graves lorsqu'elles s'y prêtent. Certains d'entre eux s'y livrent déjà. Cependant, les mécanismes d'information de l'autorité publique ne sont pas toujours pertinents et quand je vois les chiffres qu'annoncent les intéressés, je pense que sommes assez loin de couvrir l'ensemble des infractions graves concernées.

Quant à la procédure de notification-action sur laquelle l'Europe fonde beaucoup d'espoir, je crois que si nous voulons la rendre effective, il faut renforcer les obligations qu'elle impose aux fournisseurs comme aux hébergeurs, notamment lorsque les signalements viennent des personnes lésées. Celles-ci ne font pas le poids vis-à-vis de ces prestataires, lesquels n'hésitent pas à les renvoyer d'un revers de main tout simplement parce qu'ils ont le pouvoir : face à eux, les individus sont des fétus de paille.

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