Intervention de Patrick Eveno

Réunion du 25 septembre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Patrick Eveno, spécialiste de l'histoire des médias :

Je suis professeur à l'Université Panthéon Sorbonne et président de l'Observatoire de la déontologie de l'information.

En tant qu'historien, je voudrais rappeler que pour savoir où l'on va, il faut savoir d'où l'on vient. L'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme consacre la liberté d'expression, mais le socle qui s'applique à la presse est la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Lors des débats préparatoires à la loi à la Chambre des députés, le président de la commission, Émile de Girardin, qui voulait une loi simple, déclarait : « La presse sans l'impunité, ce n'est pas la presse libre, c'est la presse tolérée ayant pour juge l'arbitraire ». Et comme le proclamait Georges Clemenceau, dans une péroraison célèbre : « La République vit de liberté ; elle pourrait mourir de répression, comme tous les gouvernements qui l'ont précédée » ; il terminait en disant : « Répudier l'héritage de répression qu'on vous offre et, fidèles à votre principe, confiez-vous courageusement à la liberté ».

Toutes les institutions républicaines démocratiques sont installées à cette époque, et l'on veut la plus grande liberté. Dans le cadre des débats sur la provocation à commettre des délits ou des crimes, les républicains refusent catégoriquement toute limitation, considérant l'incitation et la provocation comme une oeuvre de la pensée et que la loi ne doit punir que les actes. Cette position n'a pas été tenable très longtemps. Dès les années 1890, un certain nombre de restrictions sont instaurées face aux attentats anarchistes. En 1893-1894, sont votées les célèbres « lois scélérates » qui permettent de réprimer la provocation à la commission d'attentats, de meurtres, etc.

La loi sur la liberté de la presse a été amendée à de nombreuses reprises, souvent par des lois de circonstances. En 1951, une loi punit l'apologie de crime de guerre et le délit de collaboration, la loi Pleven de 1972 crée le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence, et la loi Gayssot de 1990 sanctionne le négationnisme.

Toutes ces lois visent à protéger la République. Il n'en demeure pas moins qu'il existe une tension entre république démocratique – qui ne peut vivre que de libertés – et volonté d'intervenir. La loi sur la liberté de la presse, qui s'applique peu ou prou à l'ensemble des médias, pose problème au regard des moyens technologiques modernes. Auparavant, il était aisé de délimiter quelques exceptions et de contrôler la presse car il y avait un imprimeur, un directeur de la publication, etc. Depuis la révolution numérique, les choses ont changé, on peut créer des sites miroirs, etc. Par conséquent, il me paraît évident de repenser l'arsenal législatif. Pour autant, la liberté est fondamentale, elle doit être la règle, c'est elle qui fonde nos sociétés démocratiques.

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