Intervention de Edwy Plenel

Réunion du 25 septembre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Edwy Plenel :

L'apport de maître Bourdon à nos débats me paraît essentiel ; il prolonge nos discussions sur la question du droit de l'information et vient confirmer que la révolution numérique doit devenir un levier pour rehausser notre culture démocratique. Nous vivons dans une société à la fois ouverte et sécuritaire ; plus qu'un simple dilemme entre sécurité et liberté, la révolution numérique crée une nouvelle horizontalité sans frontières où l'information circule en temps immédiat et, simultanément, démultiplie les moyens de surveillance, d'espionnage et d'accumulation de données. Dans ce contexte, l'enjeu se résume à la question suivante : qui surveillera les gardiens ? Qui garantira que ceux-ci ne feront pas à la fois les questions et les réponses, se transformant en juges hors de la justice ? Plutôt que de nous fier au seul pouvoir judiciaire ou policier, il nous faut aller vers un système démocratique plus complexe dans lequel la société elle-même disposerait de moyens de contrôle renforcés.

L'article 40 est sous-utilisé parce que la fonction publique de notre pays est gangrenée par la culture du secret, du silence et de l'opacité. Si le commandant Pichon gagne aujourd'hui devant la CEDH, il a commencé par perdre devant son administration qui l'a stigmatisé, exclu, brimé, qui a brisé sa carrière. Nous journalistes connaissons mille exemples de ce genre de drames humains. Loin de se résumer au seul droit de savoir, le problème renvoie à la culture démocratique de notre pays. En tant que citoyen, je suis marri de constater que les journalistes constituent le seul recours des lanceurs d'alerte, un recours bien fragile tant que les mesures réclamées par maître Bourdon ne sont pas mises en oeuvre. La fragilité du contre-pouvoir que représente la presse tient à deux évolutions qui ont accompagné la révolution numérique, génératrice de peurs et de bouleversements économiques : d'une part, nous avons assisté à une extension permanente du domaine du secret, le secret défense se voyant notamment étendu dans le cadre de la lutte contre le terrorisme alors que la promesse de revoir la loi qui prévoit une exception permettant de porter atteinte au secret des sources n'a toujours pas été tenue ; d'autre part, le système médiatique, toujours moins autonome, a de plus en plus de mal à résister aux pressions. Tout plaide donc en faveur d'une loi fondamentale qui fasse de la France un modèle en matière d'accélération des libertés sans mettre en cause les préoccupations légitimes de sécurité.

Je terminerai par une anecdote révélatrice. L'un des quatre ex-otages français en Syrie, le photographe free-lance Pierre Torres, a publiquement dénoncé la façon dont leur témoignage sur leur gardien, Mehdi Nemmouche – auteur présumé des crimes antisémites de Bruxelles –, a été utilisé dans l'agenda politique alors qu'il était couvert par le secret défense. Le même Pierre Torres, parti au Royaume-Uni pour réaliser un reportage sur le référendum écossais, a découvert, à l'occasion d'une demande de renouvellement du passeport auprès du consulat français, qu'il était inscrit dans les fichiers de police parce que son frère faisait partie des personnes qui avaient été indûment espionnées dans le cadre de l'affaire de Tarnac. À côté du journaliste et de ses sources, le lanceur d'alerte relève d'une nouvelle catégorie d'acteurs qui doit démultiplier notre droit de regard sur ce qui se fait en notre nom.

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