Intervention de Alain Rémy

Réunion du 3 décembre 2014 à 9h00
Commission des affaires étrangères

Alain Rémy, ambassadeur de France en Ukraine :

Je ne saurais répondre aux questions relatives à la stratégie de la Russie, qu'il conviendrait de poser à notre Ambassadeur à Moscou.

Je reviens sur l'Ukraine et la question sur le gaz. La dette gazière – qui s'élève à 3,1 milliards de dollars – est en train d'être payée ; 1,5 milliard, a déjà été versé sur un compte de dépôt ; 1,6 milliard doit suivre en décembre. Ce sont les conditions de l'approvisionnement pour cet hiver qui posent question. La Russie et l'Ukraine ont continué à se parler. Plusieurs éléments sont à prendre en compte. D'abord – le Premier ministre ukrainien l'a confié la semaine dernière –, le prix du gaz étant indexé sur les cours du pétrole, les Ukrainiens souhaitent attendre que la baisse se poursuive pour acheter à meilleur prix. Ensuite, le pays a pris des mesures importantes d'économie d'énergie : ainsi, la fermeture des écoles et des universités cet hiver – les horaires du reste de l'année ayant été ajustés pour que les programmes soient respectés – évitera de les chauffer pendant les mois les plus froids de l'année. Par ailleurs, la situation économique du pays est mauvaise : le PIB devrait reculer de 6,5 % à 7,5 % en 2014, et sans doute encore l'année prochaine ; cette activité réduite suscite moins de consommation d'énergie de la part des entreprises. De plus, en dépit des pressions exercées sur certains pays fournisseurs le système de reverse flows fonctionne ; l'Ukraine est désormais partiellement alimentée en gaz venant de l'Ouest. Enfin, les stocks souterrains ukrainiens sont largement remplis. Au total, la situation en matière d'approvisionnement devrait se révéler meilleure que prévu et l'Ukraine ne devrait pas connaître cet hiver de crise sérieuse. Cela n'exonère en rien de la nécessité de réformer le secteur de l'énergie qui figure, avec le secteur bancaire, en tête des priorités ; le déficit de Naftogaz – le monopole gazier du pays –est considérable. Cette entreprise est souvent considérée comme un des vecteurs principaux de la corruption en Ukraine; il est urgent d'en changer profondément la culture.

S'agissant de l'OTAN, le Premier ministre – ou encore Ioulia Timochenko –affirment la volonté ukrainienne d'adhésion. Nous mettons nos amis ukrainiens en garde : cette tentation pourra conduire à exacerber les tensions. Le président Porochenko, lui, présente l'adhésion à l'OTAN comme une priorité, certes, mais à long terme seulement. Pour comprendre la position des partisans de l'adhésion, souvenons-nous qu'en 1993-1994 l'Ukraine avait accepté le démantèlement de son arsenal nucléaire hérité de l'époque soviétique. En échange, le mémorandum de Budapest – signé en 1994 par la Russie, l'Angleterre et les États-Unis, plus tard par les autres membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU, – prévoyait que la sécurité extérieure de l'Ukraine serait garantie par ces pays. La surprise a donc été grande quand l'agression, d'abord en Crimée, est venue de l'un des signataires de ce texte ; or, lorsque le pays s'est tourné vers les autres signataires, il n'a pas recueilli les réponses qu'il espérait. Beaucoup d'Ukrainiens nourrissent donc un sentiment d'abandon et de trahison, ayant l'impression d'avoir échangé leur arsenal nucléaire contre un chiffon de papier, et ils estiment que seul l'OTAN peut aujourd'hui les protéger.

Mme Timochenko, après l'élection présidentielle du 25 mai, a connu un nouveau revers aux élections législatives du 26 octobre ; elle comptait obtenir beaucoup plus de députés. Durant ses deux années de détention dans des conditions difficiles, Mme Timochenko était devenue une sorte d'icône. Mais, dès sa sortie de prison, on s'en souvient, l'accueil du Maïdan a été tiède. Elle conserve aujourd'hui un rôle personnel important, mais son étoile a pâli : elle paie aussi le prix de l'échec de la « révolution orange ». Plusieurs de ses lieutenants politiques –ont d'ailleurs quitté son parti, Batkivchtchina, pour constituer une liste séparée – le Front populaire.

Nous n'avons aucune nouvelle de Viktor Ianoukovitch, qui réside quelque part en Russie avec sa fortune et son clan. Après les trois conférences de presse qu'il avait tenues depuis son exil, il ne joue plus de rôle visible en Ukraine. Il conserve toutefois une capacité de nuisance par le biais de ses anciens lieutenants. Certains occupent des postes clés, notamment au sein du Bloc d'opposition – qui a obtenu un résultat raisonnable au dernier scrutin. Certains anciens membres du parti des Régions sont considérés comme particulièrement corrompus.

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