Intervention de Patrick Lagadec

Réunion du 24 novembre 2014 à 16h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Patrick Lagadec, docteur d'Etat en sciences politiques, analyste :

Merci monsieur le président. Comme le disait Dominique Dormont, la première responsabilité de l'expert est de situer les limites de son expertise. Je ne suis expert ni des drones, ni du nucléaire, ni du terrorisme. Mon travail est de réfléchir sur la façon de prendre en charge ces crises non conventionnelles qui sortent de nos cadres de référence. Je voudrais examiner le problème des drones sous cet angle.

Première question : de quoi s'agit-il ? J'aperçois l'exigence de sortir d'un champ de vision fixe et déterminé. J'ai entendu beaucoup de choses sur l'explosif et le béton. Il faut élargir, même si les spécialistes doivent traiter de cette question très spécifique. Il y a les réseaux, l'atteinte à la confiance des personnes, ce que j'appellerais les « soft targets » – les cibles plutôt molles de l'humain –, où la crédibilité et la confiance peuvent être atteintes. Et puis il y a une chose à laquelle on ne songe pas beaucoup mais qui émerge de plus en plus : l'alimentation d'un certain chaotique. On ne l'aime pas du tout, car on ne sait pas le traiter ni tirer parti de réactions inappropriées, car nous tendons à appliquer des réponses valables dans une situation à peu près stable, dans une situation développée en mode chaotique.

Un dernier élément permet d'élargir le champ de vision, celui de toujours garder la question ouverte. Et si c'était autre chose, seulement un travail pour saper un développement économique, sans lien avec le nucléaire, mais qui y prendrait appui pour en faire un levier ? Il y a plusieurs pistes de réponse à la question : de quoi s'agit-il ? Sur ces mouvements complètement émergents, il est essentiel de garder la cartographie tout à fait ouverte.

Deuxième question : quels sont les pièges ? C'est une question cruciale dès que l'on sort des risques conventionnels. Si l'on agit sans trop réfléchir avec des paradigmes et des logiques fondamentales, on les appliquera et elles se révèleront inadaptées à un champ chaotique. Ici, l'erreur serait de ne regarder qu'une seule famille de risques, de chercher la solution technique définitive ou le bon schéma d'organisation de structures qui donnerait toutes les réponses.

Évidemment, une communication totalement fermée ne correspondrait plus aux enjeux d'aujourd'hui, avec les réseaux sociaux et les attentes sociétales en matière de communication. Ce sujet extrêmement complexe est hybride, avec ce qui est sensible et ce qui doit être dit.

Troisième question : quelles pistes de réponses ? Ce qui est à mettre au centre, comme dans toutes les crises d'aujourd'hui, qu'il s'agisse d'Ebola ou autre chose, c'est le pilotage, et non pas le plan. On est loin du déroulé des plans. L'important dans ce genre de problème est la capacité à inventer en temps réel, sur cartographie le plus souvent inconnue, illisible et mutante. On commence par un bout et on finit par autre chose ; en fonction des développements, il peut y avoir une mutation du problème. Cela s'adresse d'abord au plus haut niveau : il doit être capable d'inventer en situation non cartographiée, ni stable. Pour l'aide au pilotage, il n'y a pas lieu d'avoir un déroulé de réponses, mais plutôt une capacité de questionnement. C'est ce que j'ai essayé de plaider avec mon idée de « force de réflexion rapide », où des personnes s'interrogent en permanence sur les questions suivantes : de quoi s'agit-il ? Quels sont les pièges et les acteurs ? Quelles seraient les une ou deux initiatives qui feraient sens ? Tout cela est très loin de nos habitudes où nous avons déjà les réponses, où nous entrainons les personnes à répondre rapidement à des questions préprogrammées.

En préparation à ce genre de situation il faut non pas avoir des outils pour ne jamais être surpris, mais s'entrainer à être surpris, ne pas être défensif mais être créatif, avec des exercices, comme disent les américains, de « red teams » : si j'étais de l'autre côté, que ferais-je pour surprendre ? En matière de communication, le message ne doit pas être « ne paniquez pas, il n'y a pas de problème », mais « nous allons avoir besoin de vous ».

En conclusion, il s'agit de se préparer à piloter un univers mutant, ne pas être seulement sur la défensive, mais être soi-même capable d'introduire de l'imprévisibilité, car, en la matière, la prévisibilité est créatrice de vulnérabilité. Il s'agit également d'être capable d'introduire soi-même des nouvelles donnes, ce qui suppose des préparations extrêmement approfondies avec des pilotes, et pas seulement la mise en batterie des schémas de structure. Nous sommes très forts pour mettre en place ces schémas de réponse et de structure, mais la vraie question est : comment entraine-t-on les uns et les autres, en situation inattendue et inconnue, à réagir collectivement et avec beaucoup de créativité, en gardant le lien avec la société ?

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