Intervention de Jacques Repussart

Réunion du 24 novembre 2014 à 16h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Jacques Repussart, directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire :

L'IRSN est chargé de la partie scientifique et technique des questions de sûreté nucléaire, de radioprotection, et de sécurité nucléaire. C'était probablement plus facile dans le contexte du début des années 2000, en mettant en oeuvre la réforme que vous avez initiée avec votre rapport, monsieur le président, de regrouper les aspects scientifiques, car il y avait moins de sujets politiques et administratifs. Cette initiative a été extrêmement heureuse et nous sommes fiers aujourd'hui de faire partie d'un organisme reconnu internationalement sur ces sujets, et qui offre à l'État et à ses différentes organisations une excellente capacité d'expertise. Nous sommes l'appui technique à la fois de l'ASN, de l'ASN défense, et de l'autorité chargée de la sécurité nucléaire.

Je voudrais souligner l'importance de ce que dit M. Pierre-Franck Chevet au sujet des sources. Il y a plusieurs années, l'IRSN a remis un rapport classé secret-défense au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour souligner la dangerosité des sources. Nous avons un « trou dans la raquette nationale ». Il n'est pas normal que ce sujet, après plusieurs années, ne soit pas traité.

Pour revenir à notre sujet, il s'agit d'intrusions de drones légers dans l'espace aérien des centrales nucléaires. Nous n'avons pas été saisis de ce sujet par l'autorité chargée de la sécurité nucléaire, donc nous n'avons pas d'analyse détaillée de cette problématique. Mais nos experts participent à des groupes de travail en place depuis bien longtemps avant les incidents récents et réfléchissent à ces menaces et aux manières de les contrer. Quels sont les risques associés à ces survols avec les technologies d'aujourd'hui ? Nous considérons, au vu des images diffusées à la télévision et sous bénéfices d'inventaire, qu'ils sont faibles.

Une autre préoccupation concerne la vulnérabilité globale du système de production nucléaire, que pourrait révéler la capacité d'acteurs inconnus à planifier et réaliser, sans être identifiés, des opérations de survol, avec éventuellement des intentions nuisibles. Ce second sujet se rapproche de ce qu'indiquait M. Patrick Lagadec tout à l'heure, il mérite à notre avis d'être pris en compte.

En ce qui concerne l'organisation nationale, M. Rol Tanguy l'a expliqué, elle fait partie de l'organisation globale de la sécurité du pays. Notre législation a été transformée de fond en comble entre 2009 et 2011, pour l'ensemble de la protection des points vitaux en France, en particulier nucléaires. Ceux-ci ont fait l'objet d'un article spécifique du code de la défense, pour protéger les installations, les matières et les transports nucléaires. Ce système est fondé, comme la sûreté nucléaire, sur une approche de défense en profondeur, avec une multiplication de lignes de défense plutôt indépendantes les unes des autres, qui offrent la flexibilité maximale. La caractérisation, contrairement à la sûreté nucléaire, est qu'une partie de ces lignes de défense relève de l'autorité de l'État lui-même, et ne sont pas de la responsabilité des exploitants.

Ces agressions potentielles, utilisant des drones comme vecteurs, n'auraient pas nécessairement l'objectif de créer les conditions propices à un accident nucléaire. Il peut y avoir d'autres intentions, comme par exemple de déstabiliser le système de production énergétique. On peut empêcher une centrale nucléaire de produire de l'électricité sans créer un accident nucléaire. D'autres objectifs pourraient être, par exemple, de préparer le vol de matières. La sûreté nucléaire n'est pas la seule cible de la sécurité nucléaire.

En première conclusion, les mesures de prévention imposées aux exploitants ne constituent qu'un des éléments de la politique de l'État en matière de sécurité nucléaire, et ces mesures ne peuvent être fondées que sur les seules préoccupations de sûreté nucléaire.

La nature des mesures imposées aux exploitants ne résulte pas que de leur bon vouloir. Elles tiennent compte aussi de la coordination liée aux lignes de défense qui relèvent de l'État. Par exemple, quand on dimensionne des clôtures pour le pourtour des installations, le calcul du temps de retard qu'elles imposent aux agresseur doit tenir compte du temps prévu pour l'intervention de l'État, de la force armée en particulier. Il ne s'agit pas simplement d'un objectif réglementaire, et d'un opérateur qui fait le maximum. C'est une chaine totale, comme il existe une chaine de la défense aérienne. La chaine de la sécurité nucléaire est un ensemble de mesures.

Enfin, cette efficacité d'ensemble de la sécurité ne porte pas seulement sur le nucléaire. Cet ensemble a sa propre cohérence, piloté par le SGDSN, les hauts fonctionnaires de défense des différents ministères et les forces armées. Cet ensemble a été rénové de fond en comble, et nous sommes actuellement, en appui des services du haut fonctionnaire, en train de regarder comment les exploitants nucléaires commencent à mettre en oeuvre cette réglementation rénovée.

Comment pourrait évoluer l'articulation de l'organisation de l'État ? Pourrait-on en regrouper certains aspects? Oui, on peut imaginer de le faire, cela simplifierait sans doute l'interface de l'administration avec les opérateurs pour les applications des deux réglementations combinées en matière de sécurité et de sûreté nucléaires. Mais il faut aussi considérer que l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), indépendante, se verrait imposer des contraintes inhérentes aux questions de défense et de sécurité, en termes de limitation de la transparence par exemple. Il y aurait également nécessité pour elle de travailler de manière extrêmement coordonnées avec les services de l'État, ce qui n'est pas son habitude car elle jouit d'une grande indépendance. Cela modifierait la « coloration » de cette autorité.

L'enjeu n'est donc pas seulement d'optimiser le couplage sûreté – sécurité dans le secteur nucléaire, il faut aussi veiller à ce qu'une éventuelle réorganisation de l'État ne conduise pas à isoler la sphère de la sécurité nucléaire de l'organisation générique de l'État pour la sécurité et la défense nationale, la cohésion de l'ensemble de ces dispositifs étant un atout essentiel pour son efficacité, y compris dans le secteur nucléaire.

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