Nous abordons aujourd'hui deux communications faites par la Commission européenne le 28 novembre dernier : son examen annuel de croissance, qui lance le semestre européen 2015 et dans lequel elle dresse un bilan de la situation économique et sociale et formule ses propositions d'orientation économique pour l'année à venir ; son avis sur les projets de budgets nationaux des États de la zone euro.
Dans son examen annuel de croissance pour 2015, la Commission européenne estime que, si l'Union a surmonté le pic de la crise et que les déséquilibres macroéconomiques y diminuent, la reprise demeure faible et marquée par une inflation très basse, notamment au sein de la zone euro.
Elle propose, en conséquence, de retenir trois axes de politique économique pour 2015 : accroître les investissements, poursuivre les réformes structurelles et mener des politiques budgétaires « responsables et propices à la croissance ».
La Commission européenne présidée par Jean-Claude Juncker semble ainsi vouloir se démarquer de la précédente, en mettant davantage l'accent sur le soutien à la croissance. Cette question est aujourd'hui centrale dans les réflexions de la Commission, comme en témoignent la hiérarchie des priorités retenues, qui met l'accent sur l'investissement avec une implication forte du niveau européen au travers du programme d'investissement, mais également l'insistance de la Commission à appeler les États enregistrant des excédents courants à stimuler leur demande intérieure et son soutien plus appuyé à un ralentissement de la consolidation budgétaire.
Toutefois, une lecture attentive de l'examen annuel de croissance conduit à s'interroger sur la volonté réelle de « changement » de la Commission européenne. Ainsi, on retrouve dans l'examen annuel de croissance pour 2015 les mêmes items que ceux de la précédente Commission européenne.
Il revient donc à la Commission de confirmer sa volonté de donner, comme elle l'affirme, « un nouvel élan » à l'Union et non pas une simple inflexion.
Afin de soutenir l'investissement, la Commission européenne propose de lancer un plan spécifique de 315 milliards d'euros et demande aux États qui disposent d'une marge budgétaire d'investir davantage et à l'ensemble des États de privilégier dans leur budget les dépenses consacrées à la croissance. Ce qui va dans le sens des préconisations de notre commission.
Si on ne peut que se féliciter du lancement d'un plan d'investissement européen, il y a encore, s'agissant de ses modalités de mise en oeuvre, beaucoup de questions qui se posent et plusieurs écueils à éviter, comme cela a été évoqué lors de notre audition de ce matin. Se pose tout d'abord la question du montant et du financement du plan, notamment la faiblesse des moyens publics, l'absence de mobilisation financière nouvelle et l'ampleur des effets de levier annoncés. Il est également nécessaire de préciser les conditions de participation des États membres à ce programme. Le schéma retenu serait le suivant, mais demande confirmation : les co-financements ne devraient pas bénéficier de traitement particulier, mais les contributions au capital du Fonds pourraient faire l'objet d'un traitement spécifique dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance : elles seraient comptabilisées dans la dette et le solde publics, mais pourraient être prises en compte au titre des facteurs pertinents (comme pour le Mécanisme européen de stabilité). La gouvernance du Fonds doit enfin être clarifiée. Il convient en particulier de préciser la place des États, en particulier lorsqu'ils participent au capital du Fonds. Certains États plaident pour une logique de juste retour, mais nous pensons qu'il faut garantir une certaine autonomie de décision par rapport aux projets retenus.
La Commission européenne s'est par ailleurs penchée, pour la deuxième fois, sur les projets de budgets des États de la zone euro, en application du two-pack.
Sur les seize États examinés, cinq voient leurs projets de budget jugés conformes au pacte de stabilité et de croissance (Allemagne, Irlande, Luxembourg, Pays-Bas, Slovaquie) et quatre sont considérés comme « globalement conformes » (Estonie, Finlande, Lettonie et Slovénie), tandis que sept présentent un risque de non-conformité : France, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Malte et Portugal.
Pour trois États (la France s'agissant de son déficit public et l'Italie et la Belgique pour leur endettement public) présentant un risque élevé de ne pas respecter les règles posées par le pacte dès 2014, ce qui implique de prendre des mesures dans le cadre de la procédure pour déficit excessif, la Commission européenne a annoncé qu'elle procéderait à un nouvel examen en mars 2015, afin de pouvoir tenir compte des budgets adoptés et des progrès accomplis dans la mise en oeuvre de réformes structurelles. C'est une décision plutôt sage, mais qui a fait débat au sein du collège des commissaires.
S'agissant plus particulièrement de la France, la Commission estime que les déficits nominaux et l'ajustement du solde structurel ne sont pas satisfaisants. Ainsi, en tenant compte des mesures supplémentaires présentées le 27 octobre, l'ajustement du solde structurel pour 2015 devrait s'élever, selon la Commission, à 0,3 % du PIB, alors que le Conseil a demandé un ajustement de 0,8 point et que le règlement sur la procédure de déficit excessif prévoit que l'ajustement minimal est de 0,5 point. Le Gouvernement s'est, pour sa part, fermement engagé sur un objectif d'ajustement structurel de 0,5 point. Un amendement a d'ailleurs été déposé par le Gouvernement hier lors de la nouvelle lecture du projet de loi de programmation des finances publiques, précisant que, si l'on neutralise le changement de comptabilisation des crédits d'impôt introduit par le règlement européen du 21 mai 2013, l'ajustement structurel prévu en 2015 s'établit à 0,5 % du produit intérieur brut potentiel. Ce point sera l'objet des discussions avec la Commission européenne jusqu'au mois de mars.
L'Eurogroupe, qui s'est réuni le 8 décembre, a confirmé cette analyse et a jugé, non sans ambiguïté, que « des mesures supplémentaires étaient nécessaires ». Il pourrait y avoir une différence d'appréciation entre l'Eurogroupe et la France, qui considère que ces mesures supplémentaires sont celles annoncées le 27 octobre dernier.
Il apparaît qu'à ce stade, la France voit son analyse de la situation économique en Europe et la nécessité de tout mettre en oeuvre pour lutter contre le risque de déflation partagée par les grandes institutions qui ont une vision d'ensemble de l'économie (comme le FMI, l'OCDE, la BCE et la Commission européenne) – on l'a constaté lors de notre déplacement à Bruxelles. Mais, elle souffre, à l'égard de ses partenaires européens, d'un problème de crédibilité qui résulte du fait qu'elle n'a pas respecté le pacte dans le passé, alors qu'elle pouvait le faire. Beaucoup de pays considèrent ainsi que nous sommes des « récidivistes ».
Par conséquent, la France dispose, à ce stade, de peu d'appuis au Conseil. L'Allemagne, les États baltes et du Nord de l'Europe sont traditionnellement partisans de l'orthodoxie budgétaire et les pays du Sud de l'Europe, comme l'Espagne, qui ont été ou sont encore soumis à des programmes d'ajustement, ne comprendraient pas qu'il y ait « deux poids, deux mesures ».
Bref, la position qui sera adoptée en mars est loin d'être stabilisée, comme nos échanges à Bruxelles l'ont montré.
L'approche de la Commission est marquée du sceau du bon sens. Il aurait en effet été risqué de se prononcer dès à présent, sans disposer de tous les éléments nécessaires à l'analyse de la situation française, en particulier le contenu du collectif de fin d'année et de la loi de finances pour 2015, les premières données sur l'exécution 2014 et les mesures pour dynamiser la croissance et l'activité.
J'estime enfin que le contexte très inquiétant de risque de déflation auquel la France doit faire face ainsi que les mesures budgétaires supplémentaires inscrites dans les PLF pour 2014 et 2015 et les réformes engagées par le Gouvernement plaident en faveur d'une adaptation du rythme d'ajustement budgétaire, dans le respect des flexibilités prévues dans le pacte de croissance et de solidarité. Cela pourrait amener la Commission à proposer de reporter les échéances fixées à la France.