Intervention de Patrick Oswald

Réunion du 24 novembre 2014 à 14h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Patrick Oswald, directeur commercial France « air et sécurité », Airbus Defence & Space :

– Il s'agit d'un débat qui intéresse l'ensemble de la communauté de défense et de sécurité. En tant qu'industriel, je vais essayer de donner notre éclairage de la menace. La première question qui se pose est : pourquoi utiliser des drones contre des sites sensibles ? Un individu ou un organisme cherche à attaquer un site sensible pour mener trois types d'action : du sabotage, de l'espionnage et – ce qui est un peu plus récent et qu'on ne retrouve pas forcément dans le domaine militaire – un effet psychologique ou médiatique. Pour assurer ses missions, l'attaquant trouve dans un drone toutes les qualités qu'il recherche, et c'est pour cela que les militaires s'en sont dotés. Un drone est un camion volant qui permet d'apporter une charge utile sans mettre en danger le pilote, la plupart du temps ils sont commandés à grande distance, avec une certaine discrétion – on l'a vu avec les épisodes récents sur les centrales –, et pour des coûts qui peuvent être beaucoup plus faibles qu'avec des vecteurs pilotés.

Pour la communauté des fabricants de drones, ce n'est pas une surprise que de voir le développement du marché des drones civils s'accompagner d'une augmentation de leur utilisation à des fins illicites. Notre analyse d'industriel montre que nous pouvons être confrontés à deux grandes classes de menaces, qui sont assez différentes : les drones militaires et les drones civils « hors la loi ». Pour la problématique d'aujourd'hui, je pense que nous avons affaire avec cette deuxième catégorie. Pourquoi les drones militaires correspondent-ils à une autre problématique que celle du survol des centrales ? Ils sont extrêmement performants. Leur masse va aujourd'hui de quelques kilogrammes à plusieurs tonnes. Ils peuvent voler entre une heure et plus de trente heures pour certains, sur des distances qui peuvent aller de 10 kilomètres à plusieurs milliers de kilomètres. Le drone DRAC de l'armée de terre ou le drone Harfang de l'armée de l'air sont dans cette catégorie.

Ces drones sont majoritairement dédiés à la surveillance, car les militaires disposent de vecteurs bien plus efficaces pour les charges utiles qui pourraient aujourd'hui être emportés par les drones. Ces drones ont des caractéristiques spécifiques aux besoins militaires, avec des modes de guidage complexes, des liaisons sécurisées, de la discrétion. Les drones militaires demandent des investissements très importants, un niveau technique élevé, ainsi que souvent des infrastructures et une chaine logistique complexe.

Enfin, ces systèmes sont détenus par des gouvernements ou des agences internationales, et non vendus à des particuliers. Ils sont soumis à des règles drastiques sur les systèmes ou leurs composants, car pour la plupart ils sont considérés en France comme des matériels de guerre. Pour les plus gros, le régime anti-prolifération impose une contrainte encore plus forte avec la nécessité d'un accord supplémentaire, le « MTCR » (missile technology control regime), qui en limite l'acquisition, même pour les États.

Pour toutes ces raisons, il est très peu probable de voir des survols de drones militaires hostiles sur le territoire national. Ils rentrent dans un cadre plus classique que les forces armées ont l'habitude de rencontrer. Nous pensons que, par rapport aux missions que j'ai citées que pourraient se donner certains intervenants, les drones civils disponibles sont largement suffisants pour arriver à ces fins.

Que peuvent donc être ces drones ? Pour nous, ces drones sont aujourd'hui ce que je qualifierais de drones civils « hors la loi » : ils sont à usage civil, ils peuvent être achetés librement sur internet par exemple, ils sont utilisés en dehors du cadre légal. Ainsi, on peut trouver en vente libre un drone hélicoptère qui coûte entre 800 et 2 000 euros, pèse 1 kilogramme, vole 30 minutes, parcourt une distance de 1 kilomètre, avance à une vitesse de 10 mètres par seconde et embarque une caméra vidéo. Ses modes de guidage sont évolués car il peut être commandé en direct ou avoir des points de passage sans nécessiter de liaison, ce qui suppose une grande progression dans la technicité. Enfin, on trouve des systèmes d'aéromodélisme qui font plus de 50 kilogrammes.

Un « menaçant », peut donc, avec un minimum de compétences et de moyens financiers, modifier ces drones et en adapter les charges utiles. Nous avons fait un portrait-robot de ce drone : il pèserait entre un et plusieurs kilogrammes, il aurait une charge utile moyenne d'environ 5 à 10 % de sa masse au décollage, il aurait une portée d'au moins 1 000 mètres, car les enceintes des sites nucléaires ont souvent un rayon de cette longueur, en vue directe il aurait plusieurs kilomètres de portée, en pilotage sans point de contact on peut imaginer une portée de plusieurs dizaines de kilomètres.

Pourquoi ces drones sont-ils hors la loi ? Aujourd'hui deux types d'usage sont autorisés pour les drones civils : le loisir et le domaine professionnel. Ils sont très encadrés. Nous allons créer un conseil des drones civils avec la direction générale de l'aviation civile (DGAC) et tous les participants de la profession : leur usage est limité dans l'espace aérien, en distance, en volume et en masse ; ils sont interdits dans les zones déclarées sensibles ou les zones peuplées ; les fréquences sont aussi très contrôlées ; le droit à l'image enfin doit être respecté.

En conclusion, pour toutes ces raisons, il nous parait aujourd'hui peu probable que nous ayons affaire à des drones militaires, du fait de leur contrôle et des organismes auxquels nous les vendons. Par contre, il est probable que nous ayons affaire à des drones civils achetés dans le commerce, détournés et utilisés sans respect des règles fixées par la DGAC à l'ensemble de la profession.

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