– Je suis particulièrement honoré d'intervenir aujourd'hui devant l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et je remercie son président M. Jean Yves Le Déaut, député, ainsi que M. Bruno Sido, sénateur son vice-président de m'avoir invité à m'exprimer devant votre assemblée. Votre office, né en 1983, éclaire indiscutablement la représentation parlementaire dans les domaines scientifiques et technologiques. Mais, au-delà du parlement, votre travail contribue à guider les politiques et projets gouvernementaux dans les domaines techniques. Dans le périmètre de mes responsabilités je salue à ce titre les nombreux rapports produits dont celui consacré au partage des cultures scientifiques, techniques et industrielles de 2014, celui consacré au risque numérique de 2013, ou encore celui sur la politique spatiale européenne de 2012.
Mais aujourd'hui c'est la sécurité nucléaire de notre pays qui me conduit à m'exprimer devant vous. Depuis le 10 septembre dernier, 19 sites sensibles abritant des activités nucléaires ont été survolés sans autorisation par des drones non identifiés, ce qui représente un total de 40 événements distincts. Parmi ces 19 sites, 14 sont des centres nationaux de production d'électricité (CNPE) d'EDF qui ont été concernés par ces incidents. Les 5 autres sites sont des centres traitant du nucléaire mais à vocation recherche et un réacteur en cours de démantèlement (Creys Malville).
Médiatisés depuis les annonces des dépôts de plainte par EDF, les mouvements de drones ont connu un pic d'activité le 31 octobre avec le survol simultané de 6 CNPE, qui implique coordination et organisation de ce que l'on peut appeler une manoeuvre de harcèlement. Depuis, les incidents se sont poursuivis à un rythme moyen d'un survol par jour.
Cette augmentation des incidents nous alerte. Dans le débat public et du côté des responsables, on mesure ce que ces incidents peuvent susciter, soit par imitation, et c'est un risque de cause accidentelle sur d'autres installations ou à l'occasion de manifestations, soit par diversion, cette multiplication pouvant entraîner un amoindrissement de la vigilance qui pourrait être exploité – c'est le point que vous avez évoqué à l'instant.
Pour avoir rencontré nos homologues britanniques la semaine passée, et allemands demain, je constate que cette question est désormais posée partout. Nos moyens de surveillance aérienne et le maillage de notre réseau radar ne permettent de détecter aisément ce type d'engins en raison de leur altitude de survol et de leur faible signature. Par ailleurs, les drones sont difficilement neutralisables par des moyens de contrainte à distance.
Dès le moment où les incidents ont été détectés, le Gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour réduire les vulnérabilités : déploiement d'une capacité d'intervention d'urgence à base d'hélicoptères prépositionnés à proximité des sites nucléaires, pour pouvoir intervenir ou participer au travail d'enquête ; renforcement des capacités de guet statique, pour les personnels de sécurité (gendarmes ou sociétés de sécurité sous contrat des opérateurs), avec le déploiement de dispositifs techniques supplémentaires pour identifier ou localiser ces engins (jumelles de vision nocturne, goniomètres...) ; renforcement de la protection interne et externe des sites par des moyens régaliens.
S'agissant du cadre règlementaire, la protection des sites sensibles, quelle que soit leur nature, est assurée conformément au dispositif de sécurité des activités d'importance vitale (SAIV) qui vise à assurer la protection des installations indispensables.
Dans ce cadre, 12 secteurs d'activités d'importance vitale (SAIV) ont été identifiés qui se répartissent selon quatre dominantes dont une dominante économique qui comprend la filière nucléaire. Le décret SAIV est entré en vigueur en 2006. Aujourd'hui nous avons pour ces 12 secteurs d'activités, 8 ministres coordonnateurs, 233 opérateurs d'importance vitale et 1 367 points d'importance vitale répartis sur notre territoire national, avec notamment les sites nucléaires.
Pour chaque secteur d'activités d'importance vitale, une directive nationale de sécurité (DNS) définit les enjeux, les menaces, les vulnérabilités et les responsables qui doivent être prises en compte, et fixent les objectifs de sécurité du secteur. Approuvées par arrêté du Premier ministre, ces DNS constituent le document classifié de référence des opérateurs pour élaborer leur politique de sécurité, avec des mesures de prévention et de réaction.
La notion de classification de ces directives est importante car elle répond à une réglementation internationale. En effet, un amendement – de bon sens – à la Convention internationale de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) sur la protection physique des matières nucléaires du 26 octobre 1979 impose, parmi les principes fondamentaux que les États doivent respecter dans le domaine de la sécurité nucléaire, la confidentialité des informations.
La France a totalement revu entre septembre 2010 et octobre 2011 son corpus législatif et réglementaire spécifique au nucléaire civil. Elle en a déduit une série de mesures d'amélioration ou de renforcement, qui ont notamment débouché sur un plan à cinq ans, conduit par le ministère chargé de l'énergie, de mise en conformité du parc avec les nouvelles exigences et prescriptions, plan qui doit aboutir en 2016.
La révision de la DNS du secteur nucléaire portait essentiellement sur le développement de la sécurité des systèmes d'information contre les cyber-attaques, nouveau sujet sur lequel, depuis un an, des travaux d'approfondissement ont été menés. Vous avez auditionné l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI) et vous savez comment elle peut contribuer au renforcement de la lutte contre les cyber-attaques. Le risque cyber est important, il existe dans bien d'autres secteurs où la sécurité est en cause.
Le SGDSN n'a pas attendu les survols de drones pour coordonner, sur mandat du directeur du cabinet du Premier ministre, des travaux interministériels (essentiellement défense, intérieur et environnement), notamment par la planification dans l'aide à la gestion de crise, l'amélioration de la règlementation et le suivi des préconisations.
Sur le renforcement du cadre juridique de la protection des installations nucléaires, plusieurs propositions ont été évoquées, dont certaines ont été validées et d'autres restent en cours d'examen, notamment :
– la possibilité pour les préfets de département de réglementer la circulation et le stationnement des véhicules dans un rayon de cinq kilomètres autour des installations nucléaires, telle qu'introduite par l'ordonnance n° 2014-792 du 10 juillet 2014 ;
– la création possible (en cours d'examen) d'un délit d'intrusion dans l'enceinte d'une installation nucléaire civile ;
– la possibilité (en cours d'examen) de contraindre les opérateurs d'installer des dispositifs de protection particuliers.
La dernière proposition de renforcement du cadre juridique porte sur les formations locales de sécurité du CEA et d'Areva.
À la suite des survols, et en complément des mesures additionnelles de surveillance et d'intervention déjà évoquées, le Premier ministre a décidé le lancement d'une démarche interministérielle sur la protection contre les actes de malveillance de drones aériens. La démarche est pilotée par le SGDSN dans trois directions :
– le champ juridique, sous le pilotage du ministère de l'intérieur, en raison du problème de tuilage entre la sécurité aérienne incombant à l'armée de l'air, la gendarmerie et les services de police. Un vide résulte de la difficulté évoquée plus haut de la couverture aérienne. Sont en outre examinées la mobilisation des forces chargées d'assurer l'ordre public et la défense de ces sites et l'articulation des forces dans et à l'extérieur des installations nucléaires (gendarmerie et forces locales de sécurité). Le renforcement de certaines dispositions pénales est à l'étude ;
– un chantier sur l'évaluation des risques et menaces, piloté par le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Le SGDSN croisera ses information et son regard avec ses grands partenaires étrangers, confrontés aux mêmes difficultés ;
– enfin, une réponse capacitaire, piloté par le ministère de la défense. Certaines technologies (détection, brouillage) sont d'ores et déjà sur la table, il faut les tester, les expérimenter. On pourrait par exemple penser à un système de drones stationnaires permettant de renforcer la couverture radar dans des couches interstitielles.
Le SGDSN vient d'engager, sur ses crédits, un programme de recherche et de développement d'un million d'euros, dans le cadre d'un appel à projets spécifique (« programme flash ») opéré par l'Agence nationale de la recherche (ANR). Ce programme permettra de développer un ou plusieurs projets de démonstration de systèmes de détection et d'interception de drones aériens de petites dimensions.