Intervention de Pierre Bellanger

Réunion du 18 décembre 2014 à 8h00
Commission de réflexion sur le droit et les libertés à l’âge du numérique

Pierre Bellanger, président-directeur-général du groupe Skyrock :

Pour cette intervention liminaire, je m'appuierai sur la contribution que j'ai faite à l'étude du Conseil d'État sur le numérique et les droits fondamentaux.

Les données personnelles sont le plus souvent considérées comme des entités autonomes à la manière des fiches individuelles cartonnées des fichiers du XXe siècle. Cette conception ne correspond pas à la réalité. Il faut se les représenter non plus comme des billes dans un sac de billes mais comme une pelote de laine. Elles ne sont pas isolables en pratique. Intriquées les unes aux autres, elles forment un tout indissociable. Elles ne renseignent pas sur un seul individu mais sur un réseau d'individus. Ainsi lorsqu'en souscrivant à une application, vous donnez l'autorisation d'accéder à votre carnet d'adresses, vous donnez accès aux données personnelles d'autrui. De plus, les algorithmes permettent, à partir des données des uns, de prédire les données des autres.

Nous sommes face à un nouvel objet juridique : les données personnelles ne sont plus granulaires mais réticulaires. Toute la question est de savoir comment traiter ce réseau de données car elles peuvent donner lieu tant à des droits individuels – droit de modification, droit de retrait, droit de consultation – qu'à des droits collectifs. Leur organisation en réseau en fait un bien collectif : elles appartiennent à tous tout en appartenant à chacun, ce que l'on pourrait comparer, d'un point de vue juridique, à l'indivision. Ces caractéristiques appellent une nécessaire intervention de la puissance publique.

Prenons l'exemple des données relatives à la circulation automobile et au stationnement, dont on sait l'importance étant donné qu'un tiers de la consommation d'essence est consacré à la recherche d'une place disponible. À qui appartiennent ces données ? À celui qui les collecte ou à tous, sachant qu'elles ont une utilité collective ?

C'est un piège de raisonner en termes de données personnelles individuelles. Celles-ci ne sont qu'un cas rare faisant partie d'un ensemble plus vaste, comme l'espace newtonien est un cas de figure de l'espace einsteinien. L'un des principes directeurs de notre réflexion est de garder toujours à l'esprit que les données personnelles sont organisées en réseau, notamment dans nos échanges avec les grandes entreprises du numérique. Si nous continuons à réfléchir en termes de données granulaires, nous perdrons notre souveraineté : grain de sable par grain de sable, toute la plage disparaîtra. En revanche, si nous réfléchissons en termes de réseau global, il sera plus difficile de faire disparaître une plage entière d'un coup.

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