En effet, la question se pose. Les données provenant de citoyens européens ne sont plus protégées par le droit européen lorsqu'elles ont pour support des serveurs situés outre-Atlantique et les citoyens européens ne peuvent être protégés par le droit américain. Autrement dit, ces données échappent à tout contrôle et à tout droit.
La première chose à établir est la localisation des serveurs, de fait et de droit. Il faudrait poser le principe selon lequel les données relèvent du tribunal du lieu où elles sont collectées. De la même manière, en matière fiscale, l'imposition devrait dépendre du lieu de collecte.
Aujourd'hui nos données circulent sur le réseau comme si toute notre correspondance s'étalait à la vue de tous sous forme de cartes postales et était dupliquée par la poste. Le cryptage constituerait une première solution qui permettrait de mettre nos échanges sous enveloppe. À mon sens, la création d'une agence de données est impérative : elle établirait les critères, les normes, les protocoles et les niveaux du cryptage. Prenons l'exemple des données captées par un musée : il y aurait un premier niveau, d'accès public, concernant le nombre de visiteurs ; un deuxième niveau, d'accès plus restreint, concernant le nombre de visiteurs classés selon des profils ; un troisième niveau, d'accès limité aux services du ministère de la justice, concernant l'identité des visiteurs.
Ces données chiffrées seraient ensuite associées à des métadonnées, s'apparentant à des bitcoins, qui indiqueraient comment les données sont utilisées.
Ces propositions, que j'ai eu l'occasion de formuler à plusieurs reprises, se heurtent aux résistances des acteurs d'Internet qui les considèrent comme une atteinte à l'innovation et à la fluidité des données. Traduisons : par innovation, il faut entendre la capacité à utiliser vos données sans que vous puissiez en avoir le contrôle et par fluidité, le pillage.
Nous voyons l'effet réseau à l'oeuvre. La loi de Metcalfe, selon laquelle la valeur d'une machine est proportionnelle au carré du nombre de machines auxquelles elle est connectée, s'applique aussi aux données. Autrement dit, la valeur d'une donnée est proportionnelle aux nombres de données auxquelles elle s'agrège. Le plus gros détenteur de données est le plus susceptible d'acquérir d'autres données jusqu'à constituer un monopole. Et c'est à la constitution de tels monopoles que nous assistons aujourd'hui.
Face à ces évolutions, une autorité publique doit venir garantir le cryptage des données, la localisation des serveurs et les droits individuels. Ces droits individuels recouvrent le droit au mystère que peut revendiquer chaque individu en tant qu'être en devenir défini par sa liberté de choix et par sa liberté d'évoluer. Chacun a le droit de préserver son intimité du regard d'autrui et de choisir l'image qu'il veut donner de lui-même. Chacun a le droit aussi à la neutralité du monde.
Les informations collectées sur les individus servent à orienter leurs choix et donc à restreindre leurs libertés. Si une personne accède à un site commercial à partir d'un Mac récent, les prix qui lui seront proposés seront plus élevés que s'il y accède avec un vieux PC pourri, tout simplement parce que votre équipement sera considéré comme un indicateur de votre niveau de vie. Il en va de même pour les moteurs de recherche : en fonction de vos requêtes précédentes, ils orienteront le choix des résultats. Il a été constaté que les résultats des recherches Internet que les enfants faisaient pour élaborer leurs exposés sur l'Affaire Dreyfus variaient en fonction des requêtes passées de leurs parents et donc de leurs orientations politiques.
Le droit à la neutralité du monde implique d'avoir accès à une version standard, non paramétrée en fonction de vos préférences.
De nombreux droits restent à construire, mais, chose positive, tout est possible en la matière.