Intervention de Tammam Salam

Réunion du 10 décembre 2014 à 16h00
Commission des affaires étrangères

Tammam Salam, Président du Conseil des ministres de la République libanaise :

Vos nombreuses questions révèlent beaucoup d'inquiétudes au sujet du Liban.

S'agissant de la situation interne du pays, nous avons connu des moments difficiles, entre onze mois de paralysie pour constituer un gouvernement et la formation d'un gouvernement de coalition, conçu comme un filet de sécurité pour une période critique.

Mais nous avons rétabli l'ordre et la sécurité dans le pays en deux à trois mois et renforcé l'administration en nommant 45 directeurs généraux, ce qui a créé un climat positif. Puis nous avons eu la vacance de la présidence de la République et la situation a traîné à nouveau. Notre Parlement a été encore une fois presque paralysé et, alors que le Gouvernement allait connaître le même sort, nous avons trouvé un modus vivendi entre les factions politiques – qui sont presque toutes représentées dans le gouvernement de coalition.

Le Gouvernement travaille de son mieux, mais reste confronté à une crise politique, qui empêche d'élire un nouveau Président de la République. Cette question très importante se pose à nous chaque semaine. À cet égard, l'aide internationale et régionale reste toujours très importante.

Si les Libanais ont parfois échoué, nous avons un système démocratique qui, malgré quelques faiblesses, a plusieurs fois sauvé le pays. Nous tenons à notre démocratie et l'accord de Taëf est toujours de rigueur. Nous n'avons pas d'autre alternative pour le moment que de le maintenir.

Je pense que nous arriverons prochainement à élire un nouveau Président de la République, car les factions politiques sentent combien cette vacance constitue un danger.

Même nos amis, notamment la France, ont commencé à bouger dans le cadre régional et international pour favoriser une situation de nature à nous aider.

De façon traditionnelle, notre pays a d'ailleurs profité de l'aide internationale et régionale en la matière. Sur les douze présidents de la République depuis notre indépendance en 1943, une majorité a été appuyée et influencée par des forces étrangères – le dernier Président a été élu à Doha, au Qatar, dans le cadre d'une conférence d'aide au Liban. Nous avons donc besoin d'une aide extérieure à cet égard.

Je ne crains ni pour notre souveraineté ni pour notre indépendance. Nous ne sommes pas dans la situation que nous avons connue il y a une vingtaine ou une trentaine d'années, où le Liban était au bord de l'implosion. Une coexistence forte demeure malgré les problèmes politiques.

Il est vrai que les réfugiés syriens pèsent lourd sur notre pays. Les Libanais les ont accueillis librement dans leurs maisons, leurs quartiers, leurs villages ou leurs villes. Je pense que lorsque la guerre aura cessé en Syrie, ils retourneront chez eux. Mais, en attendant, nous avons besoin d'un soutien régional et international.

Un groupe de soutien pour le Liban – auquel la France a participé – a été formé en septembre 2013 à New York et un fonds a été constitué pour soutenir le pays. J'ai appris aujourd'hui que celui-ci a reçu hier 21 millions de livres de la Grande-Bretagne. Mais si ce fonds bénéficie aujourd'hui de 60 à 70 millions de dollars, selon la Banque mondiale, la perte pour le Liban liée aux réfugiés syriens est estimée à 7,5 milliards de dollars. Nous sommes donc encore très loin de couvrir les besoins : si ce fonds était doté de 500 millions à 1 milliard de dollars, on pourrait avancer dans la résorption de la situation.

Concernant les extrémismes, je puis vous dire que l'ordre est assuré dans toutes les régions du pays. Il y a deux mois, une opération militaire a permis de mettre fin au terrorisme à Tripoli et, maintenant, tous les Libanais sont unis contre l'extrémisme et le terrorisme.

Reste que nous avons des attentats de Daech et Al-Nosra à nos frontières est, ainsi que des prises d'otages. Nous avons besoin d'armes et d'aides militaires pour lutter contre ces attaques terroristes. Si l'accord avec la France et l'Arabie saoudite a pris du temps à être mis en oeuvre – conçu au début de 2014, il a été signé il y a seulement un mois environ –, il devrait nous permettre de recevoir des armes. Nous aimerions en tout cas qu'elles nous soient livrées très vite. Il nous manque notamment des hélicoptères munis de missiles, même si les Américains nous ont déjà livré des missiles. Pour l'instant, nous n'avons que deux hélicoptères.

Si nous avons une armée de 80 000 hommes prêts à remplir leurs missions, leur combat n'est pas pour demain, mais pour maintenant. Les terroristes nous attaquent chaque semaine, chaque jour presque. Ils ont récemment tué un otage et nous lancent chaque semaine des ultimatums en menaçant d'en tuer un autre si nous ne leur restituons pas des prisonniers : ils en veulent cinq pour chaque otage, ont des exigences extrêmes, manipulent les familles de leurs détenus et essaient de prendre tout le pays en otage.

Vous avez réussi à régler la question de vos otages avec discrétion et professionnalisme, tandis que chez nous la liberté de la presse et la crise politique ne favorisent pas les négociations avec Daech et Al-Nosra – ce qui ne nous empêche pas d'essayer de trouver des solutions.

Je précise que nous n'avons pas fermé nos frontières. Mais face à l'afflux de migrants économiques, nous les avons régulées en cherchant à distinguer les véritables réfugiés. D'ailleurs, les Turcs et les Jordaniens ont instauré des contrôles depuis un ou deux ans, sans que personne ne leur demande pourquoi.

Jusqu'ici, la participation de la communauté internationale et de la France a été limitée dans ce domaine. La semaine dernière, le programme d'aide alimentaire international pour les réfugiés a été interrompu, ce qui a créé immédiatement une situation sécuritaire difficile. Heureusement, des démarches ont été mises en oeuvre pour relancer ce programme.

S'agissant de la situation en Syrie, pour mettre fin à l'extrémisme, il faut encourager les modérés dans la région, ce qui suppose de rétablir la paix. Sans celle-ci, notamment entre les Palestiniens et les Israéliens, les extrémistes continueront à jouer un rôle important.

Mais on ne peut mettre fin à Daech et à Al-Nosra seulement par des attaques aériennes : il faut une intervention sur le terrain, avec une concertation entre la coalition et tous les pays de la région pour trouver une solution à la violence. À cet égard, le conflit entre Américains et Russes n'aide pas, que ce soit en Ukraine ou en Syrie. Si les Nations unies proposent des solutions, tant qu'Américains et Russes ne se mettront pas d'accord, on ne règlera pas la situation, malgré tous nos efforts. La France essaie à cet égard de jouer un rôle de médiation, qui n'est pas facile.

Quant au Hezbollah, il est toujours en Syrie, ce qui n'aide pas le Liban. Nous avons essayé au début – ce mouvement participant à notre gouvernement – d'adopter une politique de dissociation vis-à-vis de la guerre en Syrie, mais on n'est pas parvenu jusqu'ici à l'appliquer complètement – ce qui ne nous empêche pas de poursuivre l'effort.

Je confirme que Saad Hariri est un des principaux acteurs de la politique libanaise, même s'il est hors du pays. Il représente une faction confessionnelle à presque 90 % et le Courant du futur, qu'il préside, a récemment décidé d'engager un dialogue avec le Hezbollah pour apaiser le climat confessionnel, notamment entre les chiites et les sunnites. Cela peut aider dans la résorption des problèmes politiques.

Quant à la situation à nos frontières sud, grâce à la FINUL et à l'aide internationale, la situation tient bien et nous remercions la France pour son effort.

S'agissant du déminage, les Belges, qui nous ont apporté l'aide principale, se sont retirés de la FINUL, mais souhaitent continuer à nous soutenir dans d'autres domaines. La France nous apporte toujours de son côté son soutien dans le cadre de la FINUL et pour le déminage.

Concernant la question de l'eau, nous essayons d'avancer. Nous avons cette année connue une crise liée à une sécheresse, mais j'espère que ce problème ne se posera pas l'an prochain, d'autant qu'il a commencé à pleuvoir très tôt. Le code de l'eau est actuellement en débat au Parlement : je souhaite qu'il aboutisse et que nous puissions ainsi régler la question.

La question de l'abolition du confessionnalisme pourra être traitée plus tard, dans un climat politique plus favorable.

Si nous parvenons à rétablir la paix en Syrie, je pense que 90 % des réfugiés syriens rentreront chez eux. Je rappelle que ce pays est riche, quinze fois plus grand que le Liban et a des moyens plus importants : sa reconstruction nécessitera l'action non seulement des Syriens, mais aussi d'autres personnes. Je n'ai pas d'inquiétude à ce sujet.

Mais, pour le moment, un grand nombre de réfugiés restera au Liban, pour un, deux ou trois ans.

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