Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du 17 décembre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales, CNES :

Je vous remercie de vos propos, auxquels je suis particulièrement sensible et auxquels le seront aussi tous nos collaborateurs.

La filière spatiale française – tout ce qui se fait en Europe dans ce domaine étant réalisé en grande partie à l'initiative de la France – est un motif de fierté, car elle place notre pays au meilleur niveau mondial depuis 50 ans.

Nous avons été confrontés depuis quelques années à une compétition très vive et peut-être un peu sournoise, car nous ne l'avions pas vu venir sous la forme qu'elle a prise aujourd'hui. Le discours le plus communément admis était que le secteur spatial européen ne se portait pas mal, mais qu'il avait tout à craindre de l'arrivée des pays émergents. Or, nous voyons, surtout depuis plus d'un an, les États-Unis portés par ce qu'on appelle « The New Space », qui est une nouvelle politique spatiale impulsée par le gouvernement américain. Cette politique est soutenue par de nouveaux venus que sont les industriels de ce qu'on dénomme la nébuleuse GAFA – Google, Apple, Facebook et Amazon –, qui ont investi le secteur avec des méthodes nouvelles ayant donné lieu à des projets très innovants, le plus connu étant SpaceX avec ses lanceurs. On pourrait aussi évoquer les projets de Google dans le domaine des satellites, des ballons – nous avons signé un accord de coopération avec lui en la matière –, des drones et, de façon plus générale, dans l'appel aux techniques spatiales pour relever le défi de connecter à internet les 6 milliards d'individus peuplant la planète, alors que 500 millions sont actuellement connectés à l'internet rapide.

Ce dernier besoin sous-tend les développements réalisés aux États-Unis, avec pour objectif d'y parvenir à des coûts très bas. SpaceX a à cet effet développé le nouveau lanceur Falcon, qui a commencé à inquiéter la filière Ariane il y a deux ou trois ans et est monté en puissance de façon spectaculaire ces derniers mois. Face à ce nouveau venu particulièrement agressif, qui a conduit Ariane à baisser ses prix, l'Europe s'est organisée pour apporter une réponse et garantir la pérennité de notre activité spatiale.

Beaucoup de travail a été réalisé au cours des deux dernières années. On a parlé pour la première fois d'Ariane 6 à la conférence de Naples en novembre 2012. Il faut à cet égard rendre hommage à notre ministre, Mme Fioraso, pour avoir très tôt défendu ce dossier et mis un coin dans la pensée unique européenne consistant à se dire qu'on était les meilleurs pour longtemps : à l'époque, en France, elle faisait partie du petit nombre de personnes ayant compris l'enjeu. Ensuite, pendant les deux années qui se sont écoulées jusqu'à la conférence de Luxembourg du 2 décembre dernier, elle s'est appliquée avec succès à fédérer les énergies françaises – c'est tout le sens du comité de concertation État-industrie sur l'espace (Cospace) qu'elle a mis en place, associant pour la première fois représentants étatiques et représentants industriels sous sa haute présidence ainsi que celle de ses collègues de la défense et de l'économie –, puis à faire partager cette approche commune à nos partenaires européens. Cela a nécessité de nombreuses réunions : depuis mon audition devant votre commission en avril 2013, lors de ma nomination au CNES, j'ai rendu de nombreuses visites à tous nos partenaires européens – la voix de chaque État ayant son importance.

Nous avons pris à Luxembourg plusieurs décisions majeures. La plus importante porte sur Ariane 6, qui répond à trois critères, lesquels font aussi le succès du lanceur de SpaceX : un design technique simplifié par rapport à Ariane 5 ; une organisation industrielle resserrée – nous avons incité les deux grands industriels du secteur, Airbus et Safran, à se rapprocher, ce qui les a conduits à créer une joint-venture appelée « Airbus Safran lanceurs », permettant d'accroître l'efficacité et d'abaisser les coûts – ; et la mise en place d'un soutien des États européens à la filière. Les États se sont accordés sur un montant total d'environ 4 milliards d'euros pour ce programme, avec trois acteurs principaux : l'Agence spatiale européenne (ESA), qui sera maître d'ouvrage, la joint-venture Airbus Safran, qui développera le lanceur, et le CNES, qui construira un nouveau pas de tir en Guyane et participera aux travaux de maîtrise d'ouvrage de l'ESA, ce programme étant financé à hauteur de 52 % par la France et la direction des lanceurs du CNES ayant une compétence unique en matière de développement des lanceurs. Un accord a d'ailleurs été mis en place entre l'ESA et le CNES.

Si tout va bien, nous devrions avoir un premier lancement d'Ariane 6 en 2020. Le lanceur existera en deux versions : une version appelée Ariane 62 pour le lancement des satellites gouvernementaux, et une version Ariane 64 pour celui des satellites commerciaux.

Nous avons à cet égard réussi à ce que l'Allemagne partage notre vision de réaliser Ariane 6 le plus rapidement possible, sans s'entêter à développer une version améliorée d'Ariane 5. Il convient de rendre hommage à l'ensemble du Gouvernement, qui s'est mobilisé, qu'il s'agisse de Mme Fioraso, mais aussi de M. Macron ou du Premier ministre, ainsi qu'au Président de la République.

Dès demain, nous signerons un premier protocole entre l'ESA, la joint-venture Airbus Safran et le CNES pour permettre de démarrer le travail.

Au-delà d'Ariane 6, la conférence de Luxembourg a confirmé la participation de l'Europe à la station spatiale internationale (ISS) pour les trois années à venir à un taux de 27 %, ce qui est un signal très positif donné à nos amis allemands. L'ensemble des États européens a par ailleurs redéfini les relations entre l'ESA et l'Union européenne dans le sens d'une gouvernance simplifiée, notamment pour éviter des doublons. Si on avait pu entendre ces dernières années que l'ESA n'avait pas vocation à être l'agence spatiale de l'Europe, cette formule provocatrice est désormais oubliée : l'ESA sera l'agence de l'Union européenne, car c'est l'intérêt de tout le monde, notamment en termes d'optimisation des efforts.

Parallèlement à ce qui est fait au niveau européen, le CNES a une politique de niche au niveau international, qui nous permet de faire voler à relativement moindre coût des instruments français sur des satellites que nous développons en coopération avec d'autres partenaires. À cet égard, l'année 2014 a été particulièrement brillante puisque nous avons engagé de nouveaux programmes de développement avec les États-Unis pour l'exploration de Mars – je pense à INSIGHT, que nous lancerons en 2016, ou à Mars 2020, que nous lancerons en 2020 – et un programme d'océanographie majeur avec la NASA, qui nous permettra de nous intéresser à l'océan mais aussi à l'eau douce, au travers des fleuves ou des marais – nous signerons le contrat d'approvisionnement du satellite le 6 janvier avec l'industrie française. Nous avons aussi mis en place une coopération importante avec la Chine en matière d'océanographie et d'astrophysique, ainsi que d'autres coopérations moins importantes, mais toujours en appui de notre industrie.

Quant à Galileo, il a connu un échec au lancement le 22 août. Mais je rappelle qu'il y a eu depuis le début de l'année dix lancements au Centre spatial guyanais (CSG) et qu'un onzième est prévu demain. Nous travaillons pour voir comment reprendre les lancements au plus tôt en 2015, avec deux options : soit continuer avec Soyouz – sachant qu'il a conduit à mettre les satellites Galieo sur une mauvaise orbite –, soit passer directement sur Ariane. Des décisions seront prises au début de l'année.

Il est vrai qu'on a pu lire dans la presse qu'un satellite de l'ESA, EDRS, pourrait, dans le cadre d'un contrat complexe, dans lequel d'autres industriels européens jouent un rôle, être confié à SpaceX. Mais je vous rassure : l'ESA ne fait rien sans l'avis de la délégation française, et jamais celle-ci ne laissera faire cela. Nous avons les moyens de nous opposer à des décisions qui pourraient être malvenues.

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