Intervention de Jean-Yves le Gall

Réunion du 17 décembre 2014 à 9h00
Commission des affaires économiques

Jean-Yves le Gall, président du Centre national d'études spatiales, CNES :

Monsieur Pellois, les trois critères de réalisation d'Ariane 6 que j'ai rappelés devraient permettre de relever le défi de SpaceX. Les calculs que nous faisons, sur lesquels l'industrie va s'engager – c'est le sens de l'accord que nous allons signer demain –, montrent en effet que les coûts récurrents de l'exploitation d'Ariane 6 devraient être comparables à ceux de SpaceX.

Le CNES a de fait une mission d'information de la jeunesse, ainsi que celle de susciter des carrières. La meilleure façon de s'assurer que les jeunes s'intéressent aux sciences et à l'espace est de les associer à ce que nous faisons. Au-delà de notre site internet, nous conduisons bien d'autres opérations tout au long de l'année avec « Espace dans ma ville » notamment.

S'agissant des relations entre l'ESA et l'Union européenne, elles seront régies par des textes adoptés à la conférence de Luxembourg. On en a un premier exemple avec les programmes Galileo, pour le positionnement des satellites, et Copernicus, pour l'étude de l'environnement terrestre : deux accords spécifiques ont été signés entre elles pour que l'ESA puisse conduire ceux-ci de façon efficace pour les États membres.

Quant à Philae, il a défrayé la chronique internationale le 12 novembre avec son atterrissage sur le noyau de la comète Tchouri, à 521 millions de kilomètres de la terre : les ondes mettaient 30 minutes et demie pour nous parvenir à la vitesse de la lumière. Le Président de la République et deux ministres, Mmes Vallaud-Belkacem et Fioraso, ont assisté en direct à cet événement extraordinaire avec nous. Nous sommes à présent posés sur le noyau, dans une situation un peu inconfortable. Mais si la foreuse n'est pas encore totalement opérationnelle, nous prévoyons que dans le courant du mois de mars, l'éclairement des panneaux solaires du robot soit suffisant pour qu'il redémarre : nos spécialistes du Centre spatial de Toulouse sont l'arme au pied, en liaison permanente avec Rosetta, qui guette des signaux de Philae. D'ores et déjà, des résultats fabuleux ont été obtenus, concernant les molécules organiques probiotiques, qui ont conduit à la création de la vie, et l'eau, qui n'est pas la même que celle de la terre, ce qui est une découverte majeure. Le flux de données envoyé pendant 57 heures mettra des années à être exploité.

Nous aurons aussi le rendez-vous exceptionnel du 13 août prochain, avec le passage de la comète au point le plus proche du soleil, où on devrait voir en direct celle-ci entrer en effervescence pour créer la queue lui permettant d'être observée depuis la terre.

Un autre fil conducteur de 2015 est le climat : la France accueillera la COP21 en décembre prochain et toute la stratégie du CNES et notre action en matière de communication seront centrées sur ce thème. Il en sera de même du pavillon du CNES au salon du Bourget, que nous remonterons en décembre au centre de Paris, afin que les congressistes et les Parisiens puissent se rendre compte de l'apport des satellites dans ce domaine. En outre, nous lancerons au milieu de l'année Jason-3, qui est un nouveau satellite permettant de mesurer les mouvements à la hauteur des océans. Je rappelle que c'est la famille des satellites Jason qui a mis en évidence l'augmentation de 3 millimètres par an du niveau moyen des océans, soit 30 centimètres par siècle. Si le thème pour nous était cette année « 2014 : le CNES, une chance pour l'Europe », l'an prochain, ce sera : « 2015 : un espace pour le climat ». Je suis convaincu que le succès de la COP21 montrera que, là encore, nous avons eu raison.

Quant aux télécommunications, elles ne s'arrêtent pas à Galileo et nous avons des programmes très novateurs dans ce domaine. L'avenir en la matière repose d'abord, pour les plateformes, sur la propulsion électrique – il faut prévoir, sur un satellite, quelques dizaines de kilos pour celle-ci contre trois tonnes pour la propulsion chimique, ce qui implique un gain au lancement de 60 millions de dollars, à raison de 20 000 dollars par kilo. Nous avons donc investi dans ce nouveau mode de propulsion et continuerons de le faire avec, d'une part, l'un des 34 projets de la nouvelle France industrielle et, d'autre part, le programme Neosat, que nous conduisons dans le cadre de l'ESA en partenariat avec le Royaume-Uni. L'avenir repose aussi sur des charges utiles plus performantes avec le très haut débit notamment, qui sera utilisé pour la question des zones blanches.

Cette question préoccupe aussi la communauté internet : d'où l'idée de Google d'avoir recours à des ballons : il est venu nous voir en se demandant s'il y avait un risque que les choses ne se passent pas bien. Mais nous avons prévu tous les garde-fous réglementaires et juridiques. L'intérêt pour Google est de voir ce que fait le CNES, qui est le leader mondial en matière d'utilisation des ballons, de connaissance des technologies à cet égard ainsi que de connaissance de la stratosphère, et l'intérêt pour le CNES est d'observer comment fonctionne cette société. Je pense que nous avons eu raison car ce projet, que nous allons conduire ensemble, nous apportera beaucoup et, s'il devait conduire à une industrialisation, nous nous assurerons qu'elle se fasse au bénéfice de l'industrie française.

Celle-ci est par ailleurs très concernée par les programmes spatiaux militaires. Notre panoplie recouvre trois sujets principaux dans ce domaine : l'observation, avec des satellites comme Hélios ou Pléiades – nous travaillons déjà sur l'avenir des satellites en matière optique dans le cadre du programme CSO – ; l'écoute – avec le lancement, à l'occasion du deuxième lancement de Soyouz en Guyane le 16 décembre 2011, des quatre satellites du programme Élisa, qui auront comme successeur Ceres, que nous lancerons dans les années 2017-2018 – ; enfin, les télécommunications, dont le mode sécurisé est aujourd'hui assuré par les satellites Syracuse et pour lesquelles nous prévoyons de lancer vers la fin de la décennie le satellite de nouvelle génération COMSAT NG.

S'agissant de Virgin Galactic, ma première pensée va au pilote qui a laissé sa vie dans l'accident qui a eu lieu il y a quelques semaines, ainsi qu'à son compagnon blessé. Cela nous rappelle que l'espace est un métier difficile et que réaliser le genre de vols spatiaux proposé par cette société est très compliqué, car il faut aller à peu près à 100 kilomètres d'altitude avec un moteur fusée et retourner dans l'atmosphère avec des ailes, ce qui est une des figures les plus difficiles. Le CNES n'enverra donc pas de touristes dans l'espace, car cela est très risqué.

Je rappelle qu'Ariane 6 sera développé sous maîtrise d'ouvrage de l'ESA, assistée par le CNES : nous visons un lanceur constitué de deux étages, dérivés d'Ariane 5, mais simplifiés. Ceux-ci seront flanqués de deux ou quatre propulseurs d'appoint à poudre qui seront les premiers étages du lanceur Vega-C, qui est en train d'être développé à partir de ce qui existe sur Vega. Le lanceur repose donc sur des briques de base existantes et un concept de modularité, avec le passage de la version institutionnelle 62 à la version commerciale 64 en changeant le nombre de propulseurs. Le prix prévu, pour le lancement de la version 62, est de 70 millions d'euros – ce qui le rend comparable à Soyouz en Guyane aujourd'hui – et, pour la version 64, qui pourra lancer deux satellites à la fois, d'environ 85 millions d'euros, ce qui est cohérent avec les objectifs de SpaceX.

Par ailleurs, la maîtrise d'oeuvre sera assurée par Airbus Safran dans le cadre d'une simplification du tissu industriel : le nombre de sites sera réduit avec pour objectif de respecter les emplois. Ce sera le cas aussi s'agissant de l'évolution d'Arianespace. L'industrie a proposé de racheter les parts du CNES dans le capital de cette société et nous avons un débat avec elle pour voir si nous pouvons nous mettre d'accord sur un prix de cession. Dans tous les cas, il sera prévu un droit de regard des États sur ce qui se passe.

ExoMars est le programme d'exploration marsienne de l'ESA, dont le premier lancement est prévu en 2018, en coopération avec la Russie ; nous avons contribué à son financement à la conférence de Luxembourg.

Nous avons un modèle unique en Europe : comme nous avons relativement peu de satellites gouvernementaux à lancer, pour avoir la garantie de pouvoir le faire, nous nous appuyons sur le marché commercial. C'est la raison pour laquelle il faut que nos lanceurs soient compétitifs.

Quand on sait qu'un lancement d'Ariane 5 coûte entre 150 et 170 millions d'euros, il s'agit de diviser pratiquement ce coût par deux. Ce sera possible avec un lanceur simplifié, qui bénéficiera de l'expérience acquise avec Ariane 5 – il n'y aura pas notamment de nouveau moteur –, une organisation industrielle rationalisée et l'engagement des États européens d'utiliser ce lanceur.

S'agissant du PIA, 500 millions d'euros ont été en effet affectés à la ligne Espace. Il a permis de financer les premiers développements sur Ariane 6 et ce que nous faisons sur la propulsion électrique. Il faut se féliciter de l'existence de cette ligne budgétaire, qui est facile à mettre en oeuvre et cible les projets sur lesquels elle intervient – qui sont très concrets et donnent lieu à un retour sur investissement rapide.

La coopération avec la Russie autour de Soyouz en Guyane fonctionne bien. J'espère que le lancement prévu demain fera oublier l'échec de Galileo. Mais le contexte politique avec ce pays est plus difficile : nous respectons les règles et les sanctions tout en tenant compte des difficultés économiques de la Russie.

L'accès à l'espace est en effet un sujet de souveraineté, car si nous n'avions pas cet accès, nous ne pourrions pas mettre autant de satellites en orbite. En outre, il s'agit d'un enjeu stratégique pour la recherche, la technologie et l'industrie.

Nous avons davantage convaincu nos amis allemands que nous ne les avons vaincus. Ils se sont finalement ralliés à Ariane 6 à la suite des discussions politiques à très haut niveau entre les responsables de nos deux pays, qui ont montré que le discours que tenait la France a été compris par l'Allemagne, laquelle a reconnu qu'Ariane 5 ME était une impasse et accepté d'opter pour Ariane 6. D'ailleurs, alors que nous avions demandé une participation allemande entre 15 et 20 %, celle-ci a été supérieure à 20 %, avec en particulier des investissements massifs en Bavière.

Le PIA a permis, en attendant l'arrivée de Neosat, d'adapter les plateformes d'Airbus et de TAS, avec déjà des succès commerciaux, de développer un propulseur électrique de forte puissance chez Safran et de remettre l'industrie spatiale française européenne au niveau de ses concurrents américains.

Nous avons mis en place, dans le budget décidé à Luxembourg, une ligne de 400 millions d'euros de veille technologique et de recherche et technologie pour préparer d'autres évolutions, de sorte que, s'il y avait un bouleversement technologique dans les années qui viennent pendant que nous allons développer Ariane 6, nous soyons à même de réorienter le tir pour continuer à être au meilleur niveau.

Quant à l'Allemagne, si elle était le premier contributeur de l'ESA à la conférence de Naples, à Luxembourg, nous avons repris la première place.

Concernant Galileo, il est excessif de parler de fiasco. Il s'agit d'un programme compliqué connaissant des difficultés, mais nous travaillons d'arrache-pied pour éviter justement que ce soit un fiasco.

Pour ce qui est de la question d'envoyer un drapeau alsacien dans l'espace, je vais regarder si cela peut être fait à l'occasion du prochain lancement des satellites Galileo…

S'agissant de l'article de La Tribune, je confirme qu'il s'agissait de rumeurs et qu'il n'est pas prévu aujourd'hui que le satellite EDRS soit lancé par SpaceX. Je rappelle que cette décision est soumise à l'approbation du conseil de l'ESA et que la France s'y opposerait si elle était proposée. Airbus a d'ailleurs publié un démenti.

En ce qui concerne la Guyane, nous avons mis en place dans le budget du CNES la mission Guyane : il ne faut pas se trouver dans une situation où nous lancerions des satellites de la meilleure technologie depuis cette région sans que ses habitants ne puissent en bénéficier. Cette mission travaille notamment pour combler les zones blanches et il y a des projets de charges utiles dédiées aux télécommunications.

Par ailleurs, le plan THD est un des aspects du PIA. S'agissant de Loon, il s'agit d'un avant-projet de recherche et il est important d'y participer. Le prochain rendez-vous a lieu fin 2015 pour voir si nous avons vraiment avancé sur le premier ballon, sachant que si cela débouchait, nous nous attacherions à ce qu'il y ait des retombées industrielles très fortes en France.

Quant à l'ISU de Strasbourg, nous la soutenons fortement, car il est remarquable qu'elle se situe à cet endroit. Le gouvernement français avait d'ailleurs, à l'époque de son installation, tout fait pour qu'il en soit ainsi.

Je vous remercie de l'intérêt très vif que vous manifestez pour nos sujets et de la qualité de vos questions, témoignant d'une connaissance du secteur spatial qui vous fait honneur, comme il fait honneur au secteur spatial.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion