Mesdames, messieurs les députés, je vous remercie de nous permettre de défendre notre position s'agissant de l'évolution des tarifs de l'électricité en France. FerroPem et Rio Tinto Alcan se qualifient d'industries « hyper électro-intensives » en raison de l'électricité qu'elles utilisent en très grande quantité et comme matière première non substituable par le gaz, le fioul ou toute autre énergie. L'électricité est historiquement l'élément majeur de leur compétitivité. Certaines de nos usines existent depuis plus de cent ans. Elles sont encore au sommet mondial de la compétitivité dans leur domaine : le silicium métal pour FerroPem, l'aluminium pour Rio Tinto Alcan.
Dans un marché de l'électricité qui a considérablement évolué, nos deux sociétés fonctionnent encore avec des tarifs publics régulés. Elles bénéficient de contrats historiques conclus il y a de nombreuses années avec l'opérateur national, en fait dès la loi de nationalisation des moyens hydroélectriques de 1946. Depuis soixante-cinq ans, nous avons toujours réussi à trouver les synergies, les complémentarités, les caractéristiques de consommation qui ont permis à l'opérateur de nous fournir de l'électricité et à nous de nous montrer compétitifs. Aujourd'hui, alors que nous sommes, j'y insiste, des sociétés compétitives, florissantes et saines, que nous gagnons de l'argent, nous allons être confrontés, FerroPem au premier chef, à un problème existentiel à l'horizon du 31 décembre 2015, date à laquelle les tarifs régulés disparaîtront. Parallèlement, notre complément de tarif, qui se fait sous forme de ristourne, est en train de diminuer en sifflet et prendra fin définitivement en 2022. En l'état actuel, nous n'avons pas trouvé de solution pour garantir notre approvisionnement en électricité, notre sang pour ainsi dire !
Le document qui vous a été distribué montre que FerroPem se situe dans le premier tiers de l'histogramme des coûts mondiaux de production de silicium. Le passage à l'ARENH, même en continuant à « saisonnaliser » notre activité, nous placerait au dernier rang des producteurs. Autrement dit, dès la première crise, nous serions sérieusement menacés et ne gagnerions plus d'argent.
Lors d'une audition précédente, ici même, il y a près d'un an, j'avais indiqué qu'il nous fallait, pour survivre, un prix de l'électricité rendue aux bornes de nos usines, donc transport compris, entre 20 et 30 euros du mégawattheure, sur une base de consommation de douze mois. Á 20 euros du mégawattheure, la France redeviendrait un pays attractif pour les industriels électro-intensifs ; à 30 euros, nous serions dans une situation défensive qui permettrait le maintien des activités telles qu'elles existent aujourd'hui.
Les mesures qui seront arrêtées, quelles qu'elles soient, devront être lisibles sur une quinzaine d'années de façon à pouvoir mettre en place des plans industriels, à pouvoir investir techniquement, commercialement et socialement. Il nous faut également des solutions rapides puisque notre échéance est 2016.
Je voudrais nuancer certaines des déclarations qui ont été faites la semaine dernière devant votre commission d'enquête. Je tiens, en premier lieu, au nom de notre groupement, à m'inscrire en faux contre l'assertion selon laquelle les industriels électro-intensifs gaspilleraient l'électricité s'ils ne l'achetaient pas cher. L'électricité est notre matière première ; c'est l'indicateur de notre technicité, de notre capacité de produire. Pendant cent ans, des générations d'ingénieurs se sont succédé pour nous élever au niveau où nous sommes ; ce n'est pas pour gaspiller aujourd'hui ! Quel que soit le tarif auquel nous pourrons accéder, l'électricité restera, pour nous, la matière première à gérer de façon optimale en priorité.
J'ai entendu également qu'accorder des mesures de bonification à une industrie comme la nôtre est un jeu à somme nulle, c'est-à-dire que l'argent dont nous bénéficierions serait financé par d'autres consommateurs. Or le modèle est plus compliqué que cela. Nous ne demandons pas à avoir mieux ou davantage que les prix compétitifs auxquels nous avons accès jusqu'au 31 décembre 2015 ; nous souhaitons seulement la pérennisation de la situation qui nous a permis de vivre jusqu'à maintenant. Il ne s'agit pas de créer un transfert d'argent en notre faveur, mais seulement de maintenir les équilibres tels qu'ils existent actuellement. C'est un souhait que partagent toutes les industries électro-intensives qui se sont regroupées avec nous dans nos démarches. On nous oppose que ces conditions pourraient être à l'origine d'un manque à gagner virtuel dans les années à venir. Ce n'est pas tout à fait exact, car nous sommes des consommateurs de base : nous consommons la nuit, le week-end, l'été, bref lorsque personne d'autre ne consomme. Dans ces périodes-là, qui représentent plus de la moitié du temps, notre facteur de charge est de l'ordre de 85 à 90 %, contre moins de 20 % pour un consommateur privé. Á cet égard, nous sommes extrêmement intéressants pour EDF et RTE car en consommant de façon très régulière et dans des périodes de moindre sollicitation, nous contribuons à absorber les frais fixes et à limiter la modulation des moyens de production.
Par ailleurs, comme nos usines sont situées à côté des centres de production d'électricité – parfois même, le centre de production est à l'intérieur de l'usine –, le coût de transport est nul. Pourtant, historiquement, nous le payons au tarif plein – dans quelque temps, peut-être accéderons-nous à un tarif « discounté ». D'une certaine façon, nous subventionnons aujourd'hui le transport ; si, un jour, nous venions à disparaître, cette subvention se transformerait en une charge pour le réseau. J'insiste sur ce point pour tordre le cou à l'idée selon laquelle l'argent dont nous bénéficierions serait financé par les autres consommateurs. Cela n'a pas été le cas jusqu'à présent. Je répète que nous demandons simplement le maintien de la situation pendant suffisamment longtemps pour avoir la lisibilité nécessaire à la mise en place d'un plan industriel.
Notre activité du silicium connaît une croissance de 7 % par an, notamment grâce au développement du marché du photovoltaïque. De 2005 à 2011, le groupe FerroAtlantica, repreneur de FerroPem, a investi plus de 100 millions d'euros dans les usines de Savoie, des Pyrénées et de la vallée du Rhône, afin de les moderniser et d'augmenter les capacités de production. Or, en 2010, et bien que le marché continue de croître, la décision a été prise d'arrêter d'investir en France pour nous tourner plutôt vers la Chine, l'Afrique du Sud et le Québec, cela en raison du manque de visibilité sur l'avenir de l'électricité. Grâce à l'hydroélectricité, nos industries sont pourtant parvenues à vivre pendant cent ans, mais aujourd'hui, les perspectives ne nous paraissent pas viables : l'ARENH serait mortifère pour nous, et le marché de gros ne peut pas nous donner la lisibilité dont nous avons besoin sur nos coûts principaux au-delà d'un an.
Nous sommes convaincus que le Gouvernement a la volonté de répondre à notre souci. Le ministre de l'économie travaille avec ses services sur une solution liée à l'hydraulique historique. Si nous en sommes très satisfaits, nous insistons sur le fait que la réponse doit être rapide, calibrée à un niveau significatif et offrir suffisamment de lisibilité sur les prochaines années. Partout où j'ai pu avoir à négocier le développement de FerroAtlantica dans d'autres pays que la France, j'ai eu à faire à des gouvernements qui utilisaient leur politique énergétique comme un levier de politique industrielle et socio-économique. Limiter les enjeux à la rationalisation du marché de l'électricité se ferait au détriment de l'équilibre socio-économique et industriel du pays.