Intervention de Jean-Paul Ortiz

Réunion du 17 décembre 2014 à 10h00
Délégation aux outre-mer

Jean-Paul Ortiz :

Je vais y venir.

La demande en consultation est plus lourde. La médecine ayant contribué au vieillissement de la population, nous avons des patients beaucoup plus âgés, souvent polypathologiques, ce qui entraîne des consultations souvent très longues. Auparavant, les consultations étaient plus courtes, ce qui atténuait à la fois la charge et la valeur qui se répartissaient, le système de cotation étant presque un forfait de prise en charge dans le cadre d'une consultation. Cette évolution est très nette en métropole.

En outre-mer, les problèmes sont exactement les mêmes, avec probablement des pathologies intriquées plus importantes et notamment un problème d'éducation à la santé, qui exige un effort majeur, encore plus qu'en métropole. De ce fait, les consultations sont aujourd'hui très lourdes et c'est l'une des raisons de la désaffection des médecins pour l'outre-mer.

Ce à quoi vient s'ajouter un autre problème, de nature tarifaire. Les médecins généralistes bénéficient outre-mer d'une grille avec un tarif un peu plus élevé par rapport à la consultation en métropole, mais cet avantage tarifaire ne vaut que pour les consultations, qui représentent l'essentiel du chiffre d'affaires d'un généraliste, non pour les actes techniques effectués par les médecins spécialistes : la tarification est exactement la même qu'en métropole, qu'il s'agisse, pour un cardiologue, d'un électrocardiogramme, pour un gastro-entérologue, d'une fibroscopie gastrique ou d'une coloscopie, ou encore, pour un chirurgien, d'une prothèse de hanche ou d'une appendicite. Qui plus est, les frais d'hébergement du patient, dans le cadre d'une hospitalisation en clinique, par exemple, ne sont pas les mêmes qu'en métropole. Il y a en l'occurrence une anomalie tarifaire désincitative, en particulier pour les médecins spécialistes outre-mer. De ce fait, on a, comme partout, du mal à trouver des généralistes, mais encore plus à trouver des spécialistes.

Le cas de Mayotte est encore plus compliqué. Mayotte avait un certain nombre de médecins libéraux et un hôpital très peu médicalisé. De façon tout à fait logique, l'hôpital a « embauché » des médecins, dans le cadre de la départementalisation, pour renforcer l'équipe médicale. Le nombre de médecins à l'hôpital, multiplié par quatre ou cinq, est aujourd'hui extrêmement important, sachant que les offres salariales sont très alléchantes. Cela semble également logique, car il n'est pas simple de recruter quelqu'un pour aller exercer à Mayotte. Malheureusement, le fait d'offrir un salaire de type « métro » majoré de 70 % a créé un énorme appel d'air dans le milieu libéral, et tous les médecins libéraux ou presque qui exerçaient à Mayotte ont basculé vers l'hôpital. Aujourd'hui, il ne reste plus que dix ou douze médecins généralistes installés en ville à Mayotte. Il y a là un vrai problème en termes de tarification et une période transitoire difficile à gérer. C'est une situation très particulière, qui a quelque peu déstructuré le tissu libéral. Je ne parle pas des médecins spécialistes : il n'y en a pratiquement pas à Mayotte.

Il y a bien des particularités dans la pratique médicale des médecins établis outre-mer ; elles portent notamment sur les pathologies. Des formations complémentaires et une sensibilisation à la médecine tropicale sont indispensables. Autrement dit, encore plus qu'en métropole, il est nécessaire de prévoir des sessions de formation pour ces médecins, peut-être par le biais du développement professionnel continu ou de la formation médicale continue. Il faudrait également prévoir un dispositif spécifique pour les médecins libéraux, par exemple via un accompagnement des collectivités locales – pourquoi pas ? Cela ne représenterait pas une dépense bien importante. On pourrait fort bien envisager un droit à la formation médicale continue spécifique aux médecins des DOM et dont le financement serait pris en charge par les collectivités territoriales ; ce serait très difficile à obtenir dans le cadre conventionnel, alors que le coût financier, à mon avis, resterait extrêmement modéré.

J'en viens à votre question sur l'insuffisante densité médicale en outre-mer, que j'aborderai en m'appuyant sur ce que nous avons fait en métropole dans des endroits tout aussi défavorisés : dans ma région du Languedoc-Roussillon, le département de la Lozère a beaucoup souffert sur le plan de la densité médicale.

La preuve est faite aujourd'hui que les mesures coercitives ne marchent pas. Il y a d'ailleurs un parallélisme étonnant entre la vacance de postes hospitaliers et le manque de médecins libéraux : ce sont les mêmes cartes ! Là où l'on manque de médecins hospitaliers, on manque de médecins libéraux, et inversement : quand on n'a pas de problème d'un côté, on n'en a pas de l'autre. À l'évidence, la solution ne consiste pas à proposer des postes salariés aux jeunes médecins : ils ne s'installeront pas davantage. Les mesures coercitives tentées dans d'autres pays européens ou au Canada, par exemple, ont été un échec. Il faut sortir de ce schéma. Certains députés pensent qu'il suffit d'obliger les jeunes médecins à s'installer pendant plusieurs années là où l'on manque de médecins. Ils n'y iront pas. Ils continueront à faire des remplacements, du journalisme, de l'industrie, etc. C'est ce que l'on constate sur le terrain. Il faut définitivement tordre le cou aux mesures coercitives.

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