Intervention de Bruno Le Roux

Séance en hémicycle du 13 janvier 2015 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises en irak débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBruno Le Roux :

Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, madame la présidente de la commission de la défense, mes chers collègues, le calendrier parlementaire nous conduit aujourd’hui, après avoir rendu un vibrant hommage aux dix-sept victimes du terrorisme – ce fut, après la tragédie que vient de vivre la République française, une grande séance de notre assemblée –, à décider si nous devons apporter notre soutien à une prolongation de la présence des forces françaises en Irak.

On aurait pu craindre que face à l’horreur des massacres perpétrés sur notre sol, contre la liberté d’expression, contre les juifs de France, les Français cèdent à la panique et à la tentation du repli sur soi et du reniement de nos engagements. Il n’en est rien, au contraire. Dans la sérénité, dans la fraternité, instinctivement et massivement, les Français ont témoigné de leur attachement viscéral aux valeurs de la République, à la laïcité et au rayonnement de notre pays. Ils ont à nouveau pris conscience que la France avait une vocation universelle, qu’une grande partie du monde était à ses côtés dans la douleur et dans la peine. Ils ont à nouveau pris conscience que la France avait un rayonnement et une responsabilité dans le monde.

Nulle part, je n’ai entendu un seul de mes concitoyens demander que la France ne s’occupe plus de la marche du monde. Nulle part, je n’ai entendu un seul de mes concitoyens demander que la France se retire ou sursoie à ses engagements.

Combattre le terrorisme sur notre sol suppose que nous le combattions à sa source, là où il progresse, là où il essaie aujourd’hui de gagner la bataille contre les démocraties. Le 19 septembre était lancée, sous l’autorité du Président de la République, l’opération Chammal, afin d’assurer un soutien aérien aux forces armées irakiennes dans leur lutte contre le groupe terroriste Daech. Dans le cadre du débat qui eut lieu alors en vertu de l’article 35 de notre Constitution, vous nous aviez, monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre de la défense, indiqué cinq axes d’action. C’est à la lumière de ces axes stratégiques qu’il nous faut aujourd’hui décider si nous devons poursuivre notre engagement.

Le premier d’entre eux vise à stopper militairement la progression territoriale du mouvement terroriste Daech. Grâce à des missions de recueil de renseignement et à des frappes menées en coordination avec nos alliés dans la région, de nombreuses capacités offensives et logistiques du groupe terroriste ont été détruites et plusieurs sites stratégiques ont été repris et sécurisés. Ce fut notamment le cas de la raffinerie de Baïji, centre névralgique de la production pétrolière irakienne, ou encore du barrage de Mossoul, crucial pour l’approvisionnement du nord du pays en eau et en électricité. Parallèlement à nos raids aériens, nous continuons d’apporter aux peshmergas un soutien en équipement. Ce soutien sera renforcé par des actions de formation et d’entraînement par les forces armées de la coalition.

Si ces opérations militaires ont permis, mes chers collègues, d’enrayer la progression de Daech sur le territoire irakien, elles n’ont pas encore, à ce stade, inversé le rapport de forces sur le terrain, ni dans les zones insurgées de l’ouest, ni sur le front nord, ni le long de la vallée de l’Euphrate en direction de Bagdad. Daech maintient une forte pression sur la capitale en poursuivant ses opérations de harcèlement contre les forces de sécurité irakiennes et en multipliant les attentats, principalement dans les quartiers chiites de Bagdad, mais aussi dans certaines villes de la province du Kurdistan, notamment à Erbil. Au regard du premier objectif que vous aviez défini, Il nous faut donc poursuivre notre action.

Le groupe terroriste continue par ailleurs ses exactions à l’encontre des populations civiles, rendant plus nécessaire que jamais la réalisation de notre deuxième objectif stratégique, celui de l’aide humanitaire. Les Nations Unies estiment à 2,1 millions le nombre de déplacés irakiens, dont 850 000 se sont réfugiés dans la région autonome du Kurdistan et plus de 500 000 se retrouvent sans abri en plein hiver. Au regard de cet objectif aussi il nous faut poursuivre notre action.

Le tarissement des circuits de financement de Daech est le troisième axe, tout aussi essentiel, de la stratégie de la coalition. La contrebande de pétrole est leur principale manne financière, leur procurant des revenus estimés à deux millions de dollars par jour. Il est urgent dans ces conditions de détruire la vingtaine de puits de pétrole que contrôle encore Daech, mais aussi d’identifier et de sanctionner les établissements bancaires et autres grossistes impliqués dans ce marché parallèle. À ces revenus pétroliers s’ajoutent ceux issus du racket des populations locales, du trafic de drogue, mais aussi du trafic d’organes prélevés sur les combattants blessés ou tués ou sur les otages. Là aussi, tous les moyens doivent être déployés au niveau international pour démanteler les réseaux alimentés par ces pratiques ignobles. Tous ceux qui nous écoutent doivent savoir que ce sont là les pratiques de Daech et de ceux qui s’en réclament, et que ces pratiques d’asservissement n’ont rien à voir avec la religion. Daech se livre au trafic de drogue et au trafic d’organes pour financer la guerre qu’elle mène contre les démocraties et, dans ces pays, aux musulmans.

Juguler le flux de combattants étrangers vers l’Irak et la Syrie, telle est la quatrième ligne directrice de notre action. Ce phénomène est une véritable menace pour la région du Levant, mais aussi pour notre sécurité nationale. En effet, après avoir connu et commis les crimes les plus atroces, ces individus nous reviennent totalement désinhibés et mus par un pur instinct de violence.

Dans un tel contexte, les mesures de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, récemment promulguée, sont les bienvenues. Elles seront complétées par d’autres, que nous aurons à coeur de mettre en oeuvre le plus rapidement possible, à votre initiative, monsieur le Premier ministre. Leur efficacité sera renforcée par une coopération accrue avec l’ensemble des pays de la région et de la coalition, mais aussi par le cinquième axe de notre stratégie : faire connaître la réalité des pratiques de Daech. En effet la guérilla de Daech s’accompagne d’une offensive médiatique mondiale, destinée à endoctriner des jeunes fragiles psychologiquement et à les inciter à couper tout lien familial pour rejoindre le Levant. Mais rien ne peut justifier, et sûrement pas la religion de paix qu’est l’Islam, les exactions que commet le groupe terroriste Daech. Ses membres n’obéissent à aucun principe, aucune valeur : seule la soif de pouvoir les guide, la religion n’est qu’un prétexte, une façade pour habiller leur prédation. La mise en scène macabre des exécutions d’otages, les assassinats de masse à l’encontre des minorités religieuses et des musulmans qui prennent les armes contre eux, les décapitations, les viols, l’esclavage sexuel et les grossesses forcées : voilà la réalité du groupe qui se fait appeler État islamique, mais qui n’est en vérité qu’une secte violente.

Mes chers collègues, nous ne laisserons pas les extrémistes, quels qu’ils soient, définir ce que nous sommes. Nous ne laisserons pas les terroristes nous dicter notre conduite. Nous ne laisserons pas des dictateurs aussi cyniques que sanguinaires nous manipuler. Bachar el-Assad a voulu utiliser la menace terroriste pour redorer son blason sur la scène internationale, mais la ficelle est trop grosse : ni la France ni ses alliés ne sont dupes de celui qui a donné la mort à près de 200 000 de ses concitoyens. En libérant ses dirigeants de ses prisons, en lui achetant du pétrole, en lui laissant carte blanche sur son territoire contre l’opposition modérée, le régime syrien a permis à Daech de se développer et de prendre l’ampleur que nous lui connaissons aujourd’hui. Si Bachar el-Assad croit qu’il redeviendra un interlocuteur crédible et légitime dans la région qu’il a contribué à déstabiliser, il fait fausse route. Nous continuerons sans relâche, avec nos partenaires, à prôner une transition politique, à former et équiper les combattants de l’Armée syrienne libre afin de desserrer le double étau du régime baasiste et de Daech, qui asphyxie le nord du pays, plus particulièrement les villes d’Alep et de Kobané. La France ne peut oublier qu’elle est le pays de la liberté.

Liberté, égalité, fraternité : telles sont les valeurs qu’incarnent aujourd’hui nos soldats. Ils assurent au quotidien la sécurité de notre territoire et de nos ressortissants —en métropole, en outre-mer et hors de nos frontières, notamment en Irak. Permettez-moi de rendre un hommage appuyé à leur professionnalisme, à leur courage, à leur excellence, qui font notre fierté nationale ainsi que notre réputation internationale. Ces femmes et ces hommes ne pourraient servir sous nos drapeaux sans le soutien de leurs proches, qui doivent vivre des mois durant dans l’angoisse de perdre un être cher. Je veux leur dire que la nation tout entière, ici représentée, leur est reconnaissante. Au nom de l’ensemble des parlementaires, je tiens à adresser aux familles des soldats tombés sur nos différents théâtres d’intervention nos plus sincères condoléances et à leur exprimer notre profonde gratitude.

Pour signifier à nos forces armées qu’elles ont le soutien plein et entier de la nation dans leur action au service de la paix et de la sécurité collective, j’invite, au nom de mes collègues du groupe socialiste, républicain et citoyen, l’ensemble des députés à autoriser la prolongation de l’opération Chammal. Oui, notre lutte contre la barbarie de Daech et ses affidés sera longue : montrons par un vote sans équivoque qu’elle sera sans relâche.

1 commentaire :

Le 18/01/2015 à 22:55, chb17 a dit :

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« le régime syrien a permis à Daech de se développer »

« Bachar el-Assad a voulu utiliser la menace terroriste »

Ces assertions relèvent de la propagande, sans doute incontournable en état de guerre.

Elles font peu de cas des tentatives françaises, plutôt contre productives, de mettre de l'huile sur le feu en soutenant des troupes de séditieux (pour abattre le « régime syrien », le dernier laïque de la région, et démocratiquement choisi par les syriens) ; or ceux-ci sont souvent passés avec armes et bagages du côté terroriste.

L'Armée Syrienne Libre, évoquée en séance comme récipiendaire de notre aide, n'a jamais pu obtenir ni victoire ni légitimité, sinon auprès des soutiens atlantistes de ses représentants « 5 étoiles ».

L'invocation des valeurs de la France est encore de l'humour, sans doute. Même s'il nous a été impossible d'aller bombarder Damas, le rôle de la France au Moyen-Orient est bien destructeur !

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