Le hasard a voulu que nos obligations constitutionnelles nous conduisent à nous prononcer aujourd’hui sur la prolongation de l’intervention militaire française en Irak, où nos armées combattent l’État islamique, ou du moins l’ acteur majeur du djihad international qui se présente comme tel.
Parce que la France se déclare « solidaire du camp du droit contre la politique de l’agression », pour reprendre la formule employée par le président François Mitterrand lors du déclenchement de la première guerre du Golfe, il me semble nécessaire de rappeler la résolution de l’ONU qui fonde notre intervention.
Il s’agit de la résolution no 2178 du 24 septembre 2014, placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations unies, qui autorise le recours à la force en cas de non-respect. Par cette résolution, le Conseil de sécurité des Nations Unies appelle les États membres à « s’attaquer à l’ensemble des causes du phénomène » terroriste. Cela implique, non seulement de se positionner sur la scène internationale comme partie prenante d’une lutte globale contre le développement de la menace terroriste, mais également de prendre des dispositions internes afin d’empêcher toute radicalisation, de juguler le recrutement, d’interdire aux combattants terroristes de voyager, ou encore de lutter contre l’extrémisme violent ou l’incitation à la commission d’actes terroristes.
Les termes employés par le Conseil de sécurité de l’ONU sont sans équivoque : prendre de telles mesures n’est pas seulement souhaitable, c’est une obligation.
C’est dans cet esprit, dans le cadre d’une action de la communauté internationale, que le groupe écologiste aborde la question de la lutte contre le terrorisme en général et le débat sur la prolongation de l’intervention militaire française en Irak en particulier.
Monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, il y a un quasi-consensus dans cet hémicycle pour affirmer que nous sommes confrontés à un phénomène d’une ampleur et d’une nature particulières. L’actualité nous a douloureusement rappelé que cette menace pouvait sévir en France. Mais elle frappe également d’autres pays, à commencer par ceux qui sont majoritairement musulmans.
Le président du Niger Mahamadou Issoufou a, dans un entretien accordé hier au journal Libération, évoqué une « seule et même internationale terroriste » allant du Moyen-Orient au Sahel en passant par certains pays du Golfe.
Cette menace s’enracine dans une idéologie totalitaire, une sorte de nouveau fascisme. Dans une tribune publiée le 9 août dernier, l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin affirmait d’ailleurs que « l’islamisme est à l’islam ce que le fascisme fut en Europe à l’idée nationale, un double monstrueux et hors de contrôle, à cheval sur l’archaïsme et la modernité ».
Cette idéologie instrumentalise la religion, dévoyée pour être mise au service d’un projet politique, qui vise à prendre le pouvoir dans certains États – c’est le cas des talibans en Afghanistan depuis plus de vingt ans – ou à en créer de nouveaux, comme Daech tente aujourd’hui de le faire sur un territoire à cheval sur l’Irak et la Syrie. D’ores et déjà il y prélève l’impôt, remplace les tribunaux civils par des tribunaux islamiques, contrôle l’administration et lève des troupes.
C’est également le cas dans certaines zones du Sahel ou de l’Afrique de l’Ouest, comme au Nigeria, où le groupe terroriste Boko Haram contrôle un territoire grand comme la Belgique et commet depuis deux ans les pires atrocités.
Face à cette menace, le rôle de la France est d’abord de participer à l’effort international – le cas échéant dans le cadre d’interventions militaires – pour ne pas laisser se constituer des zones de concentration terroriste. Je veux rappeler ici que, lorsqu’il s’est agi d’intervenir au Mali, en Irak ou en Syrie, la France a été au rendez-vous, sous l’impulsion du Président de la République, François Hollande, au nom de la protection des populations et du respect du droit. Nous ne pouvons que nous en féliciter.
Cette menace nous impose également d’adapter notre législation pour garantir à nos concitoyens tout à la fois la liberté et la sécurité. Celles-ci ne sont pas antinomiques mais indissociables.
C’est au nom de ces principes que le groupe écologiste avait apporté, il y a quatre mois, un soutien conditionnel à l’intervention militaire en Irak. Aujourd’hui, parce qu’il n’est pas d’intervention militaire d’envergure qui ne s’inscrive dans le temps long, la poursuite de cette opération nous paraît cohérente.
Cependant, le contexte de tension que nous avons connu ces derniers jours ne doit en aucun cas nous conduire à abaisser notre niveau d’exigence et de vigilance quant aux principes, aux valeurs et aux objectifs qui justifient notre engagement militaire. J’avais exprimé il y a quatre mois un certain nombre de réserves et d’interrogations relatives à l’opération Chammal. Plusieurs d’entre elles conservent leur pertinence.
En premier lieu, les crises syrienne et irakienne sont venues rappeler l’enchevêtrement des problématiques sécuritaires et communautaires. Aujourd’hui, les tensions opposant chiites, sunnites, kurdes et minorités chrétienne, yézidie et sabéenne, tout autant que les inégalités et la pauvreté, constituent un terreau sur lequel prospèrent les idéologies fondamentalistes.
En septembre, le groupe écologiste avait appelé à la tenue d’une conférence internationale dont la France pourrait prendre l’initiative. Cette conférence permettrait notamment de proposer de nouveaux modèles d’administration respectueux des droits des minorités qui sont au coeur des problématiques régionales, ou de définir des principes de gestion et de partage des ressources en eau comme en hydrocarbures.
En second lieu, nous devons nous interroger sur les contradictions de nos relations avec les populations kurdes d’Irak et de Syrie. En Irak, les peshmergas constituent tout autant un relais militaire de premier plan pour la coalition qu’un rempart de poids dans la lutte contre l’idéologie de l’État islamique. En Syrie, les soldats du parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK, et du parti de l’Union démocratique, le PYD, appuient les opérations de la coalition, comme ce fut récemment le cas pour celles conduites dans le massif de Sinjar.
Dès lors, comment expliquer que certaines de ces organisations qui sur le terrain combattent avec nos armes demeurent inscrites sur les listes des organisations terroristes de l’Union européenne ou que certaines de leurs instances représentatives en France soient tenues à l’écart des relations bilatérales ?
En outre, compte tenu du périmètre relativement limité de l’intervention française, notre pays assurant moins de 3 % des frappes aériennes en Irak et ne participant pas aux opérations en Syrie, comment garantir que notre autonomie stratégique sera respectée et que notre voix sera entendue ? La question se pose d’autant plus que nos partenaires européens refusent de s’affirmer, sur ce terrain comme sur d’autres, comme des acteurs diplomatiques et militaires, ce que nous regrettons.
Les échecs des interventions en Afghanistan, en Irak et en Libye ont par ailleurs montré les limites d’une stratégie américaine exclusivement militaire.
En Irak, comme l’a dit le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, nous devons soutenir la transition politique en encourageant la formation d’un gouvernement dont la composition soit à l’image de la diversité de la population irakienne. En Syrie, où la répression du régime et l’État islamique ont fait plus de 200 000 morts, la coalition doit à tout prix imposer une opération humanitaire d’envergure. Elle doit également soutenir un projet politique de transition fondé sur la réunification des oppositions syriennes. Nous tenons à dire très clairement que nous partageons le refus du Président de la République d’une réhabilitation du régime de Bachar El-Assad à l’occasion de cette intervention.
Enfin la crise irakienne doit nous amener à nous interroger sur le jeu trouble de certaines puissances régionales. Je pense bien entendu au rôle du Qatar et de l’Arabie Saoudite, qui hier finançaient l’État islamique et qui aujourd’hui interviennent à nos côtés.
Mais je pense également à la Turquie, qui, pour des raisons de politique intérieure et au mépris de ses engagements internationaux, se refuse à venir en aide aux kurdes de Kobané. Ce même pays fait par ailleurs preuve d’un laxisme flagrant à l’égard des combattants originaires de France ou d’autres pays européens qui transitent par son sol avant de rejoindre les rangs de Daech.
Voilà, mes chers collègues, les principes qui fondent aujourd’hui la position du groupe écologiste : sang-froid, fermeté, et exigence.
Comme l’avait dit Michel Rocard dans cet hémicycle en 1991, « si nous nous honorons d’être pacifiques, nous nous devons d’être fermes. La volonté de paix est une chose. Une autre est l’impuissance. Et l’histoire nous enseigne combien la seconde peut ruiner la première ».
Le groupe écologiste votera donc en faveur de la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak.
Le 18/01/2015 à 22:34, chb17 a dit :
« se positionner sur la scène internationale comme partie prenante d’une lutte globale contre le développement de la menace terroriste »
est une louable intention. Comment est-ce compatible avec le fait de fournir des armes aux évanescents « rebelles démocrates » contre le régime de Damas, sachant que ces rebelles vont régulièrement, avec le matériel fourni, grossir les troupes des terroristes qui ravagent la Syrie depuis quatre ans ??
Cela rappelle fâcheusement les « erreurs » commises en Libye, puisque les armes françaises qui y avaient été offertes aux rebelles contre Kadhafi ont ensuite été utilisées contre les français au Sahel.
En ce qui concerne les citoyens français et autres européens qui partent « au jihad » contre B. al Assad, leur radicalisation n'est considérée comme dangereuse pour la France que s'ils reviennent vivants...
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