Intervention de Jacques Moignard

Séance en hémicycle du 13 janvier 2015 à 15h00
Déclaration du gouvernement sur l'autorisation de la prolongation de l'intervention des forces françaises en irak débat et vote sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Moignard :

Monsieur le Président, madame et monsieur les ministres, monsieur le secrétaire d’État, mesdames les présidentes de commission, chers collègues, comme nous l’ont rappelé les événements tragiques que nous venons de vivre, la France, comme d’autres États de l’Union européenne, est aujourd’hui confrontée au basculement de plusieurs centaines d’individus dans l’engagement radical violent. Ce basculement s’opère le plus souvent en lien avec des filières qualifiées de djihadistes.

C’est sans relâche, et avec une détermination sans faille, que nous devons poursuivre la lutte contre les actions terroristes fomentées sur notre propre territoire comme sur les théâtres d’opérations étrangers.

Je ne peux poursuivre mon propos sans que résonnent à nouveau dans nos consciences les mots prononcés il y a quelques minutes à cette tribune. Émouvants, vibrants, chaleureux et sensibles, ces mots et ces phrases prononcés avec conviction et autorité reflètent la sensibilité profonde du peuple de France.

Monsieur le Premier ministre, vos propos ont rappelé, par leur éclat et par leur force, le socle du fait républicain. Notre République vit des convictions que vous avez évoquées et son exaltation traduit notre détermination sans faille.

Sur les territoires irakiens et syriens qu’elle contrôle, Daech, organisation terroriste issue d’une branche dissidente d’Al-Qaïda, s’est autoproclamée depuis juin dernier « État islamique en Irak et au Levant ». Devenue l’organisation terroriste la plus puissante dans la région, elle représente un danger à plus d’un titre.

Le danger réside d’abord dans son idéologie. Sous couvert de principes islamiques, Daech prône une doctrine mafieuse et criminelle visant à asservir les populations sous son contrôle. Elle y parvient en menant une épuration ethnique et religieuse aux conséquences humaines et humanitaires désastreuses, en exécutant presque systématiquement les militaires et miliciens des armées irakiennes et syriennes faits prisonniers, ainsi que les rebelles syriens, et en massacrant des civils, notamment les Yézidis ou des tribus sunnites hostiles à l’État islamique, quand ce ne sont pas des otages occidentaux. Les méthodes d’exécution, barbares, sont toujours les mêmes – fusillades, décapitations et crucifiements –, et valent à l’État islamique d’être accusé, à juste titre, de crimes de guerre, de nettoyage ethnique et de crimes contre l’humanité par l’ONU, la Ligue arabe, les États-Unis et l’Union européenne.

Cette organisation est également dangereuse du fait de l’immense territoire qu’elle contrôle désormais. Depuis juin dernier, l’État islamique s’est lancé dans un processus de conquête territoriale fulgurant, en conquérant d’abord Mossoul, et avec elle toute la province de Ninive, puis l’ouest de la province de Kirkouk, le nord de la province de Salah ad-Din, dont la ville de Tikrit, ainsi qu’Al-Qa’im, son poste-frontière, puis Tall Afar. En août, c’était au tour du Kurdistan irakien et de plusieurs villes, dont Zoumar, Sinjar et Qaraqosh, de tomber.

À ce jour, l’organisation terroriste a étendu son influence sur environ un tiers des territoires irakien et syrien, dont elle contrôle les principaux points de communication et axes stratégiques que sont les villes, les fleuves et les postes-frontières. C’est sur ce vaste territoire que, depuis le 29 juin dernier, l’État islamique en Irak et au Levant a rétabli le califat, avec à sa tête Abou Bakr al-Baghdadi, proclamé calife sous le nom d’Ibrahim. Ce sont désormais Alep et Bagdad qui sont visées par cette expansion terroriste, Daech ambitionnant d’établir à terme un califat sur un vaste territoire allant du Levant – Syrie, Liban, Jordanie, Palestine –à l’Irak.

Cette organisation est dangereuse parce qu’elle dispose de moyens financiers et d’une force combattante considérables. Sans une fortune estimée à deux milliards de dollars, alimentée par des sources de financements diverses – des donateurs privés, le butin de la banque centrale de Mossoul, l’exploitation des puits de pétrole et le racket pratiqué dans les zones qu’il contrôle –, l’État islamique ne pourrait mener ses actions barbares. Il ne pourrait pas non plus y parvenir sans une force combattante d’environ 30 000 individus venus d’Irak et de Syrie pour la plupart, mais aussi d’Occident.

La loi que nous avons votée en décembre et qui vise à renforcer la lutte contre le terrorisme trouve dans ce contexte toute sa justification. En effet, en autorisant l’interdiction administrative de sortie du territoire, elle empêchera des Français, souvent très jeunes, de quitter le territoire national pour apprendre la lutte armée ou se radicaliser davantage, devenant à leur retour un danger pour la sécurité nationale.

Par son organisation, ses méthodes et ses objectifs, Daech fait donc montre d’une dangerosité exceptionnelle qui a pris, en quelques mois, une ampleur considérable.

Face à cette menace durable pour toute la région du Proche et Moyen-Orient et pour le monde entier, la France n’a pas tardé à réagir.

Il est utile, en cet instant, de préciser que parmi les sept principes qui encadrent l’engagement de nos forces armées à l’étranger édictés par le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale figurent notamment« le caractère grave et sérieux de la menace contre la sécurité nationale ou la paix et la sécurité internationales » et « la définition de l’engagement dans l’espace et dans le temps ». C’est ce dernier principe qui justifie notre débat d’aujourd’hui.

Dans ce contexte, parallèlement aux frappes aériennes américaines menées début août contre l’État islamique dans le nord de l’Irak – il convient de rappeler que ces frappes font des États-Unis le premier contributeur de l’opération militaire, la France venant en deuxième position –, notre pays a commencé par envoyer de l’aide humanitaire aux réfugiés fuyant l’avancée de l’État islamique. Par la suite, la France a livré des armes aux forces kurdes et irakiennes, en première ligne dans le combat contre les djihadistes.

À la demande du gouvernement irakien, dans le cadre des résolutions adoptées à l’unanimité – il faut le rappeler – par le Conseil de sécurité des Nations unies, une large coalition internationale s’est formée.

La France a pris l’initiative d’organiser à Paris, le 15 septembre dernier, une conférence internationale pour la paix et la sécurité en Irak. Réunissant vingt-neuf pays et organisations, dont onze États de la région, cette conférence a permis de souligner l’urgente nécessité de mettre un terme à la présence de l’État islamique dans les régions d’Irak où il a pris position.

Dans cette perspective, les participants se sont engagés à soutenir le nouveau gouvernement irakien dans sa lutte contre l’État islamique, par une aide militaire appropriée aux besoins exprimés par les autorités irakiennes, dans le respect du droit international et de la sécurité des populations civiles. Ils ont exprimé leur attachement à l’unité, à l’intégrité territoriale et à la souveraineté de l’Irak en apportant leur plein soutien à son nouveau gouvernement. Par ailleurs, les partenaires internationaux ont condamné les crimes et les exactions massives commis contre les populations civiles, notamment contre les minorités les plus vulnérables, qui peuvent être considérés comme des crimes contre l’humanité.

Quatre jours seulement après la conférence, la France lançait l’opération Chammal, qui mobilise 800 militaires et un dispositif important comprenant neuf avions Rafale, six avions Mirage, un ravitailleur, un avion de patrouille maritime et une frégate antiaérienne. Comme je l’ai dit, la France est, en termes de capacités militaires, le deuxième contributeur de la coalition.

Cette opération, toujours réalisée en étroite coordination avec nos alliés présents dans la région, vise à acquérir du renseignement sur les positions, les mouvements et les vulnérabilités des terroristes, tout en nous tenant prêts à assurer des frappes en cas d’identification de cibles d’opportunité au sol.

Très active, cette opération a permis des avancées significatives. Durant ces deux dernières semaines, la force Chammal a ainsi réalisé quarante-cinq missions aériennes, au cours desquelles huit frappes ont permis la neutralisation d’une dizaine d’objectifs au sol. L’une de ces frappes a été réalisée le 24 décembre, dans la région de Kirkouk, sur un bâtiment abritant des combattants de Daech. Le 2 janvier, deux aéronefs sont intervenus dans la même région pour neutraliser les terroristes ainsi qu’un poste de combat.

Dans cette véritable guerre d’usure, les frappes aériennes de la coalition commencent à porter leurs fruits. Comme l’a dit M. le ministre de la défense, l’armée terroriste piétine contre la ligne de défense des peshmergas ; dans certains cas, elle recule même face aux forces de sécurité irakiennes. En somme, l’offensive de Daech a été arrêtée mais le mouvement de recul n’a pas été engagé.

Grâce à ces frappes, les forces kurdes irakiennes ont pu, par exemple, infliger récemment un sérieux revers à l’État islamique dans la région de Sinjar. En décembre, elles ont lancé leur plus importante offensive afin de reconquérir un territoire d’environ 2 000 kilomètres carrés.

Ainsi, Daech se trouve en difficulté sur plusieurs fronts. Le groupe a dû se retirer de certains territoires d’Irak conquis l’été dernier, au sud de Bagdad, à l’est du pays, près de la frontière avec l’Iran, et au nord, au Kurdistan.

Malgré ces avancées significatives, l’État islamique constitue toujours une menace grave pour l’Irak, mais aussi pour l’ensemble de la communauté internationale. Faire face à une telle menace nécessitera donc une action de long terme de la communauté internationale et, plus particulièrement, de notre pays. Par conséquent, le groupe radical, républicain, démocrate et progressiste soutient la prolongation de l’intervention des forces françaises en Irak.

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