Monsieur le président, cher Michel Winock, mesdames et messieurs les parlementaires, chers collègues, mesdames et messieurs les personnalités qualifiées, je suis très heureux de vous retrouver pour cette deuxième réunion du groupe de travail sur l'avenir des institutions.
Je souhaite que cette séance nous permette de poursuivre le tour de table entamé il y a déjà deux semaines et que nous puissions établir ensemble un premier constat sur l'état actuel de notre démocratie et de notre République.
Les auditions commenceront à l'occasion de la prochaine séance qui sera consacrée à l'Europe et à la mondialisation et, surtout, à la manière dont nos institutions prennent ou non en compte ces deux éléments majeurs du XXIe siècle.
La séance d'aujourd'hui est particulièrement importante. En effet, au fond, et je l'ai brièvement exprimé la dernière fois, depuis 1958, la Constitution a été pensée de manière très administrative. Des rapports ont été rédigés par diverses commissions, désignées par l'exécutif et liées par une lettre de mission.
Du coup, nous sommes peut-être passés à côté de l'essentiel. L'important, selon moi, n'est pas simplement d'identifier telle ou telle faiblesse de notre norme suprême, mais d'abord de comprendre les grands changements survenus au cours des dernières décennies, d'identifier les problèmes que connaît notre démocratie et de se demander si ceux-ci pourraient, ou non, être résolus – du moins en partie – par une transformation des institutions. En d'autres termes, avant de se demander : « Quelles institutions ? », encore faut-il se poser la question : pour quelle nation et pour quelles missions ? Voilà la question que s'est posée, en son temps, le général de Gaulle, lui qui rappelait dans le discours de Bayeux la célèbre réponse du sage Solon aux Grecs qui l'interrogeaient sur la meilleure constitution : « Dites-moi d'abord pour quel peuple et à quelle époque. » Voilà les premières questions que nous devons nous poser : pour quel peuple et pour quelle époque ?
Beaucoup de ceux qui me connaissent le savent, j'aime citer cette phrase d'Antonio Gramsci : « La crise consiste dans le fait que le vieux monde se meurt, que le nouveau monde tarde à apparaître et que, dans ce clair-obscur, surgissent les monstres. » Or si crise il y a, c'est en effet, selon moi, parce que nous sommes entrés dans un nouveau monde. Je crois d'ailleurs que nous partageons cette idée avec Michel Winock : nous ne vivons pas le retour de je ne sais quelle époque.
Notre République, notre nation, est bousculée, interpellée par la mondialisation, l'émergence de l'Europe, les mutations de l'individu, la révolution numérique, la montée en puissance des enjeux écologiques, la redéfinition de l'espace public, ou encore l'accélération du temps qui rythme nos vies mais aussi celle de nos institutions. Tous ces problèmes bouleversent un grand nombre de démocraties représentatives. Les monstres qui surgissent dans ce clair-obscur sont partout un peu les mêmes : xénophobie, populisme, antiparlementarisme, crispations identitaires, idéalisation du passé et peur de l'avenir. Ils ne sont pas le monopole des pays frappés par la crise ; ce qui nous prouve bien, d'ailleurs, que l'urgence n'est pas simplement économique et que tout ne se résoudra pas avec le retour de la croissance.
Au fond, les démocraties représentatives font face à deux défis majeurs : une crise de la représentation et une crise du pouvoir lui-même qui ne semble plus être en mesure d'influer sur le réel.
Bien évidemment, la Ve République ne peut être accusée d'être l'unique responsable de cette situation, que l'on retrouve, j'y insiste, dans bon nombre de pays. Toutefois, non seulement notre régime ne répond pas à cette crise démocratique, mais il l'aggrave : en asphyxiant le débat, en limitant la responsabilité politique des acteurs, en ne prenant pas suffisamment en compte l'Europe ou la mondialisation.
Vous avez reçu une note préparatoire qu'on peut considérer comme une note de « débroussaillage ». Vous êtes, bien sûr, totalement libres par rapport à elle. Elle n'a pour vocation que d'amorcer un débat essentiel, peut-être l'un des plus importants que mènera ce groupe de travail : quel peuple, quelle nation ?
Le 14/10/2015 à 09:50, laïc a dit :
"quel peuple, quelle nation ?"
Puisque nous sommes à l'Assemblée nationale, on peut penser qu'il s'agit d'un groupe de réflexion sur le code de la nationalité, car comment parler de nation sans aborder la nationalité et les lois qui la définissent et la constituent ? Y a-t-il une nation sans nationalité, et donc sans principe légal qui définit celle-ci ? Or, par la suite, on ne trouve aucune référence à ce code de la nationalié, ce qui est dangereux, car nous irons vers des considérations subjectives, qui détermineront la nation non pas en fonction de la loi, mais de considérations abstraites, ou de hors sujets, car les incessantes digressions sur la laïcité qui vont suivre lors de cette réunion renvoient à la structure juridique de l'administration française et de la loi française plutôt qu'à la définition du peuple français.
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