Intervention de Michaël Foessel

Réunion du 19 décembre 2014 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Michaël Foessel :

L'impression selon laquelle la démocratie s'arrête aux portes de l'entreprise s'avère très répandue. La dynamique égalitaire portée par la démocratie se heurte en effet, dans le monde social et économique, au capitalisme. Au-delà de la tension entre l'économie et la démocratie, n'en existe-t-il pas une autre, plus difficile à percevoir, opposant la démocratisation de nos aspirations aux limites de la représentation politique ? Cette question renvoie à ce que l'on peut encore attendre du politique et à ce qu'il représente.

La notion de démocratie représentative constitue un oxymore : les révolutionnaires anglais, les Pères fondateurs américains, les constituants français ont pensé le système représentatif non pas indépendamment de la démocratie, mais contre elle. À leurs yeux, la démocratie incarnait ce système hérité de l'Antiquité, propre à de petites cités, dans lequel les citoyens avaient le pouvoir de légiférer et d'appliquer la loi. Ces personnes ont donc conçu la représentation comme un rempart au pouvoir direct des masses et des individus, et comme une médiation permettant d'éviter la dimension la plus subversive de la démocratie, à savoir le fait qu'elle repose non pas sur le pouvoir de tous, mais sur celui de n'importe qui. Ces acteurs historiques associaient la démocratie au tirage au sort et au mandat impératif, non à l'élection et au mandat représentatif.

Il serait inopportun d'attendre des institutions et d'une constitution davantage que ce qu'elles peuvent apporter ; dans un État moderne, le citoyen comme volonté – c'est-à-dire l'action directe dans le champ politique et la représentation – diffère de la citoyenneté comme magistrature, qui repose sur l'exécutif. Dans notre système, la souveraineté du peuple signifie le consentement au pouvoir et le contrôle de celui-ci, mais non l'accession et l'exercice du pouvoir. Cela n'empêche pas l'existence d'éléments démocratiques dans le régime représentatif, l'instauration du suffrage universel en étant la composante principale.

Si la démocratie s'avère un processus infini – celui-ci ne résolvant jamais le conflit et ne statuant pas par avance sur la légitimité –, l'État est une institution et se trouve, à ce titre, limité. L'enjeu réside dans la capacité à ne pas penser cette finitude comme clôture de la dynamique démocratique. On évoque souvent la stabilité des institutions, vertu réelle qui ne doit néanmoins pas annihiler le caractère illimité de la démocratie ; veillons à ce que la stabilité des institutions ne les pétrifie pas dans une ritualisation déconnectée des aspirations sociales.

La dimension égalitaire de la démocratie ne peut pas se retrouver dans la représentation, car celle-ci crée un lien hiérarchique entre le représentant et le représenté. Le terme de représentation se révèle ambigu, puisqu'il contient à la fois une composante juridique – la volonté du représentant s'exprime pour celle du représenté pendant la durée de son mandat – et un élément théâtral, celui de la ressemblance. Certains défendent l'idée d'une nécessaire similitude entre le représentant et le représenté pour assurer l'égalité ; cette vue peut sembler vertueuse, mais elle nourrit un discours de communication renforcé par la figure individuelle du président de la République dans nos institutions. Cette conception exige en effet du président qu'il incarne la République et la société, ce qui conduit au triomphe d'un discours détaché du réel, une seule personne ne pouvant pas refléter une société aussi complexe que la nôtre. Il s'avère d'ailleurs antidémocratique et dangereux de penser qu'un individu réussisse cette prouesse. Comme le disait Claude Lefort, la démocratie est « le lieu vide du pouvoir », c'est-à-dire qu'il ne saurait exister de lieu, d'instance, d'autorité ou de personne unique dans lesquels le pouvoir pourrait s'incarner.

Il convient de valoriser l'action politique et démocratique conduite dans la société civile et en-dehors des institutions – dans les associations, les mouvements sociaux ou les micro-résistances. La démocratie se joue là aussi, car le politique ne réside plus exclusivement au Parlement ou à l'Élysée, mais se déploie dans la société civile. Néanmoins, nous n'avons pas intérêt à séparer l'ordre de la démocratie participative et celui des institutions qui régissent le partage du pouvoir.

Si l'on veut réconcilier la logique froide des institutions et la logique chaude de la démocratie vivante, il convient de réfléchir à la rédaction d'une nouvelle constitution – le chemin y conduisant étant plus important que le résultat final –, car cette démarche permet de se pencher sur la nature et l'étendue du pouvoir politique. Les citoyens estimant que les politiques ne possèdent plus de prise sur le réel, les laisser dessiner le champ politique constitue la solution la plus intéressante et la plus productive : puisqu'ils ne veulent plus jouer, donnons-leur les moyens de reformuler la règle du jeu. C'est à cette condition que la démocratie redeviendra – au-delà du seul cadre des procédures – un ensemble d'expériences qui fasse leur place aux discussions, aux conflits, à l'élaboration de nouvelles normes et qui élargisse ainsi l'horizon des possibles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion