Intervention de Ferdinand Mélin-Soucramanien

Réunion du 19 décembre 2014 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Ferdinand Mélin-Soucramanien :

Rompant avec la tonalité générale de nos débats, je voudrais ici, sans sous-estimer la crise économique et sociale que traverse notre pays, vous inviter à une forme de prudence dans la manière d'aborder nos institutions. Plus que la crise de confiance des citoyens envers leurs institutions, ce qui me frappe en effet, c'est le pessimisme dont font preuve aujourd'hui ceux qui, parmi nous, occupent des responsabilités politiques quant à l'efficacité de leur action. Or une République qui doute d'elle-même ne peut inspirer confiance aux citoyens, et c'est la raison pour laquelle j'aimerais vous retenir de brûler d'emblée notre Constitution. Gardons en effet à l'esprit que la Constitution de la Ve République est à ce jour, dans notre histoire, la seconde en termes de longévité. Plastique, hermaphrodite, elle nous a permis de changer, si j'ose dire, de sexe plusieurs fois. Autant je suis peu attaché à la lecture bonapartiste qui en fut faite après 1962 et à certaines périodes plus récentes, autant je souhaite mettre l'accent sur le fait qu'il s'agit d'un texte qui rappelle ce que sont les valeurs de la République, notamment en faisant référence aux textes antérieurs que sont la Déclaration des droits de l'homme de 1789, qui fonde une idéologie libérale et individualiste, et le Préambule de la Constitution de 1946, dans laquelle prédomine une vision sociale de la démocratie davantage empreinte d'idéologie démocrate-chrétienne.

Je veux également insister, d'une part, sur l'article 89, qui proclame en son dernier alinéa que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision », et, d'autre part, sur l'article 1er, qui énumère les cinq caractères définissant au yeux du juriste positiviste que je suis la « carte d'identité » de notre République : indivisible – ce qui ne s'entend pas uniquement de notre territoire mais renvoie également à l'unité de la Nation ; laïque – et je rejoins ici Alain-Gérard Slama sur la conception française de la laïcité ; démocratique ; sociale – quand bien même il n'est tiré en droit positif aucune conséquence de cette affirmation, alors que la notion d'État social inscrite dans la Loi fondamentale allemande a des incidences concrètes sur la jurisprudence et les politiques publiques ; la République, enfin, assure l'égalité de tous devant la loi, sans discrimination.

Ce sont là, selon moi, cinq caractères qui correspondent à notre conception de la République et renvoient à des valeurs opérantes, dont je ne trouve pas qu'elles aient vieilli. Cela ne signifie pas qu'il ne faille pas, pour certaines d'entre elles, les fortifier, et je rejoins ici, avec quelques nuances, les positions de Guillaume Tusseau sur l'égalité et la discrimination positive. Je soutiens notamment toute action susceptible de renforcer l'égalité territoriale de la République, bien plus pertinente à mon sens que des formes de discrimination positive relevant d'une logique de quotas organisée selon des critères aussi suspects que l'ethnie – mais c'est là une position personnelle.

Quoi qu'il en soit, je ne partage pas le constat d'impuissance des responsables politiques sur lequel se sont ouverts nos échanges d'aujourd'hui. Certes, la mécanique peu apparaître grippée ici ou là, et l'on pourrait rêver de politiques publiques plus audacieuses mais, pour reprendre l'un des items que nous a proposés Michel Winock en introduction, la laïcité me paraît un bon exemple de domaine où le législateur conserve des marges de manoeuvre. Quoi qu'on pense du contexte politique dans lequel elles s'inscrivaient et des motivations de leurs promoteurs, la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques et celle de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public sont appliquées et produisent leurs effets, tandis que se poursuivent les réflexions sur les actions envisagées par l'actuel Premier ministre alors qu'il était ministre de l'intérieur et sur les préconisations du Haut Conseil à l'intégration. J'y vois le signe qu'il existe dans l'espace public de la place pour une action politique visant à promouvoir une conception française de la laïcité qui n'a guère d'équivalent dans le monde, à l'exception du modèle proposé en Turquie à une certaine époque.

Pas plus que l'action politique n'a été défaillante en matière de laïcité, elle ne l'a été en ce qui concerne l'intégrité et la vertu. La France s'est, en la matière, dotée d'une trame juridique si fine que cette finesse même est remise en question et que l'on songe aujourd'hui à retoucher nos lois sur la transparence. Je rappelle que la fonction de déontologue de l'Assemblée nationale, que j'ai l'honneur d'assumer aujourd'hui, a été créée en 2011 sous la présidence de Bernard Accoyer et qu'elle vient aujourd'hui d'être renforcée par son inscription dans le règlement de l'Assemblée. Par ailleurs, la création de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, instaurée par les lois du 11 octobre 2013, produit également ses effets en dépit de quelques affaires intempestives. C'est donc bien le signe que l'intégrité et la vertu se fortifient dans notre vie publique.

Je ne m'étendrai pas sur les autres valeurs qui caractérisent la République mais, même susceptibles d'être enrichies, elles sont aisément identifiables, en tout cas du point de vue du juriste.

Pour ce qui relève du « meccano institutionnel », des leviers existent, qui peuvent être actionnés et qui feront l'objet de nos discussions ultérieures. J'en reviens néanmoins à mon appel à la prudence, conscient que nous avons, par tradition, tendance à réagir avec trop de vigueur aux événements. Notre Constitution a bien des défauts, mais elle a aussi quelques vertus qu'il ne faut pas négliger. Elle nous a offert une stabilité gouvernementale fort précieuse et s'est révélée, quand cela fut nécessaire, un solide rempart contre d'éventuelles dérives.

J'ajoute enfin que les garanties solides dont la République peut se prévaloir ne sont pas forcément celles que l'on identifie toujours comme étant les plus importantes : ainsi, sous la Ve République, sont-ce les institutions à proprement parler ou le mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours – lequel relève de la loi – qui ont le mieux garanti notre stabilité gouvernementale ?

Vous l'aurez compris, mon propos se veut empreint d'optimisme et de modération, en écho au Préambule de la Déclaration des droits de l'homme de 1789, rappelant qu'il s'agit à tout instant d'oeuvrer au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.

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