La question primordiale que m'inspirent les principes et valeurs que nous a énumérés Michel Winock dans son introduction est de savoir lesquels d'entre eux doivent être revisités dans la perspective de les pérenniser comme des piliers de notre République. Je pense, en particulier, à la laïcité, qui exige quelques ajustements en raison des bouleversements que connaît la société française.
Cependant, plus que les valeurs et principes, ce sont les « monstres » qui m'intéressent. On a évoqué la crise de la représentation et l'antiparlementarisme, mais assez peu la xénophobie ou le populisme, et encore moins le délitement du sentiment d'appartenance, qui est pourtant à mes yeux l'indicateur le plus grave de l'éclatement dont souffre notre société, d'abord au plan générationnel : un adolescent considère souvent aujourd'hui qu'il n'y a plus de dialogue possible avec les responsables politiques, lesquels s'intéressent fort peu à cette catégorie, si ce n'est pour la stigmatiser, dénonçant les incivilités dont elle serait coupable et sa propension, sinon à la délinquance, du moins à troubler l'ordre public.
Ce délitement du sentiment d'appartenance doit interpeller les partis politiques comme les associations. Si les partis politiques perdent pied, c'est sans doute que, à l'image de l'Assemblée nationale, ils ne sont nullement représentatifs de la société française. Les associations, en revanche, sont une chance extraordinaire qui nous est offerte de retisser du lien social. En tant que présidente de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, je peux ainsi témoigner, notamment en matière de lutte contre le racisme et la traite, de l'aide précieuse que nous apporte le monde associatif, qui se développe pourtant dans des conditions matérielles calamiteuses.
Puisque nous sommes là pour réfléchir sur les institutions, j'aurai une seule question : que peut-on demander aux institutions pour retisser le lien d'appartenance ? La loi – constitutionnelle ou non – ne peut pas tout produire et elle ne produit pas toujours ce qu'on attend qu'elle produise. Il est donc urgent que nous en mesurions les limites, si nous voulons entamer une réflexion féconde sur la manière de lutter, par la loi, contre les « monstres ».