Intervention de Cécile Duflot

Réunion du 19 décembre 2014 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCécile Duflot :

Le fait que plus d'un quart des électeurs de moins de vingt-cinq ans n'aient pas voté à la dernière élection présidentielle doit nous conduire à un constat lucide : il y a bien un défaut d'adhésion au système. Je reprendrai donc à mon compte la proposition de Michaël Foessel : si l'on ne veut plus jouer, changeons les règles du jeu, et tâchons pour cela de déterminer quelles sont les règles qui redonneront aux citoyens l'envie de jouer.

Un mot n'a pas encore été prononcé, alors qu'il est, dans notre tradition, intimement lié à celui de République, telle qu'elle s'est fortifiée, incarnée par un État fort, rayonnant – glorieusement – sur un territoire englobant les outre-mer : c'est celui de jacobinisme. Or il est nécessaire de réinventer aujourd'hui le rapport de la République à son territoire et aux citoyens, car la Constitution a beau consacrer le principe de décentralisation du pouvoir, la présence de l'État reste partout prégnante, doublée d'une imbrication par trop complexe des responsabilités entre les différents niveaux de collectivités locales. En vérité, notre organisation relève moins de la décentralisation que de la translation d'un modèle jacobin reproduit à tous les échelons territoriaux inférieurs : les régions ont ainsi toute l'apparence de micro-républiques, sur lesquelles règnent des présidents de conseil régional à qui notre organisation constitutionnelle confère d'importants pouvoirs exécutifs et législatifs, sans que par ailleurs ces régions dialoguent ou collaborent les unes avec les autres ; dès lors, nous ne sommes plus dans une République décentralisée mais dans une République morcelée, et je crains que la réforme territoriale en cours ne fasse qu'aggraver les choses.

Face à cette conception jacobine de l'exercice du pouvoir, les notions de république inclusive ou « responsive » proposées par Guillaume Tusseau me semblent tout à fait pertinentes, et je voudrais vous proposer ici deux exemples nous invitant à réfléchir sur les nouvelles formes de partage des décisions et des responsabilités.

Après l'élection de Nicolas Sarkozy, a été créé un ministère du Grand Paris, puis votée une loi posant les bases d'un grand réseau de transport public à l'échelle de la région Île-de-France. Le projet, pourtant, s'est heurté à la fronde des élus locaux – municipaux, départementaux ou régionaux –, sans doute mieux habillés et moins adeptes du camping que ceux que l'on appelle communément les « zadistes », mais tout aussi virulents dans leur opposition. Pour sauver les financements, il a donc fallu réunir tout le monde autour d'une table, dans le cadre très officiel de la Commission nationale du débat public, ce qui a permis de faire évoluer le projet vers une forme plus consensuelle – et qui avait gagné en légitimité en impliquant davantage l'ensemble des acteurs.

En 2012, lors du changement de majorité, le projet s'est de nouveau trouvé compromis, non seulement du fait de l'alternance politique mais aussi à cause de la volonté de Bercy de bloquer les choses pour des raisons budgétaires. Le principe de la ZAD s'est alors inversé, et ceux-là mêmes qui étaient les plus opposés au plan initial se sont révélés les premiers défenseurs du projet tel qu'il avait évolué.

Aujourd'hui, les choses sont rentrées dans l'ordre, mais ces deux épisodes montrent qu'une décision qui associe l'ensemble des responsables et s'appuie non seulement sur les procédures de vote démocratique, au sein des enceintes officielles, mais également sur un mode de concertation plus souple, en retire toujours davantage de force et de légitimité.

Cela m'amène aux nouveaux modes de communication et d'information. La question que nous pose Twitter est moins celle des cent quarante caractères que celle du raccourcissement extrême qui s'y joue entre le responsable politique et le citoyen. Autrefois, il était impensable de s'adresser directement au monarque ; quant au député, il fallait prendre rendez-vous, et encore ne fallait-il pas être identifié comme un fâcheux. Aujourd'hui, tous les filtres ont disparu, l'interpellation est publique et immédiate. Inversement, Twitter permet au responsable politique de contourner les médias traditionnels et de s'exprimer directement, en totale liberté, sans faire de déclaration officielle à l'AFP, ce qui n'est pas non plus sans conséquence sur la prise de décision.

Ce raccourcissement du temps démocratique heurte de plein fouet notre tradition républicaine, fondée sur un exercice des responsabilités hiérarchisé selon une mise en scène jusqu'à présent bien définie. D'où les récents débats sur la stature du Président de la République et la désacralisation de la fonction. Nous avons voulu fortifier la République en la parant des attributs du pouvoir monarchique et en assimilant le Président à un empereur à durée déterminée. Si l'on peut tolérer, d'un point de vue démocratique, cette forme d'exercice du pouvoir précisément parce qu'elle est temporaire, les enjeux, en termes d'autorité, n'en demeurent pas moins problématiques au regard des attentes de la société contemporaine. Il nous appartient donc de réinventer la République, une république, comme le suggérait Guillaume Tusseau, plus inclusive, dans laquelle le peuple ait davantage part à la décision : une décision prise par quarante personnes au sein du conseil général du Tarn est certes parfaitement légitime selon les critères de la démocratie représentative ; il n'empêche que les blocages auxquels elle aboutit la rendent inopérante, ce qui prouve que la méthode est mauvaise et qu'il faut changer les règles du jeu.

Denis Baranger a évoqué la culture de l'unanimité. J'ai pour ma part le sentiment que cette apparence d'unanimité tenait auparavant davantage au fait que la contestation disposait pour s'exprimer de beaucoup moins d'espace, de capacités d'analyse moindres et de contre-pouvoirs moins puissants. Aujourd'hui, pour toutes les raisons que nous avons déjà évoquées, prétendre à l'unanimité est devenu plus difficile. J'en veux pour preuve la multiplicité des « couacs » ministériels : autrefois, les dissensions au sein des gouvernements étaient sans doute aussi fortes et aussi nombreuses, mais elles étaient cachées.

Tout est donc affaire de perception. Cela doit nous inviter à repenser nos modes de décision comme nos modes de représentation. À ce titre, et bien que la parité reste encore à accomplir, il ne fait nul doute que l'entrée des femmes dans la vie politique a perturbé la République en en transformant les règles et les habitudes. C'est évidemment un élément à prendre en compte dans notre réflexion sur la consolidation de nos institutions.

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