Intervention de Bernard Accoyer

Réunion du 19 décembre 2014 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Accoyer :

La note qui nous a été remise fournit un bon point de départ à la réflexion. Je trouve nos échanges passionnants et j'ai été emballé par votre exposé, monsieur Winock.

La question qui nous est posée – la crise de la République dépend-elle de nos institutions ? – suppose d'abord de s'interroger sur les raisons de la crise. Celle-ci accompagne l'appauvrissement de notre pays et le creusement des inégalités, que nous sommes unanimes à vouloir combattre.

Pour répondre à cette question, il convient d'abord d'examiner les mutations auxquelles la France est confrontée depuis plusieurs décennies. Géopolitiques, économiques, technologiques, sociologiques et religieuses, elles trouvent probablement leur point de départ dans les chocs pétroliers, que vont prolonger les défis fondamentaux de la ressource en eau, du climat, de l'énergie et de l'approvisionnement en matières premières. Parmi ces mutations, la construction européenne, avec ses effets positifs mais aussi ses contraintes, parfois fort mal vécues par nos compatriotes ; la fin du modèle communiste d'État et, en contrepoint, une économie de marché devenue hégémonique ; la mondialisation et les bouleversements géopolitiques ; la place qu'occupent désormais les puissances émergentes, véritables puissances-continents ; les fabuleux progrès techniques et technologiques, face auxquels nous sommes restés plutôt passifs, qu'il s'agisse des transports et, surtout, des nouvelles technologies de l'information et de la communication ou de la génomique et des biomédicaments. S'y sont ajoutées d'importantes migrations, qui se distinguent notablement des vagues précédentes en ce qu'elles proviennent des pays du Sud, dont la culture et la religion diffèrent des nôtres.

Comment les gouvernements ont-ils tenu compte de ces défis ? Il me semble que nous devons nous poser ces questions avant de prétendre changer la règle du jeu. Commençons par ce qui nous rassemble : le pacte social républicain. Notre solidarité nationale repose sur des fondements démographiques, médico-sociaux, d'espérance de vie et de plein emploi qui datent de sept décennies. Tous ces paramètres ont entièrement changé, ce qui entraîne deux conséquences dont l'actualité témoigne de manière criante. D'abord, la perte de compétitivité de notre économie, c'est-à-dire la montée du chômage puisque c'est essentiellement la production, donc l'emploi, qui finance notre pacte social : nous avons été incapables d'imaginer et de mettre en oeuvre autre chose. Ensuite, la menace terriblement préoccupante qui pèse sur l'avenir même de notre protection sociale du fait de l'allongement de la vie, d'un progrès médical de plus en plus coûteux et du chômage de masse.

Nous n'avons pas voulu regarder ces réalités en face ; nous n'avons pas eu le courage de réformer suffisamment ; nous avons, pour des raisons idéologiques, refusé d'instaurer une part significative de système par capitalisation, privant ainsi nos compatriotes d'un enrichissement collectif au service de nos régimes de retraite, ce qu'aucun autre pays n'a fait.

S'agissant de ce volet essentiel du pacte républicain, ce ne sont pas les institutions qui ont été défaillantes – elles ont d'ailleurs permis quelques réformes, dont celle de 1996 –, mais l'usage qu'en ont fait depuis quarante ans les gouvernants et leurs majorités, auxquels le système institutionnel de la Ve République donnait pourtant le pouvoir de réformer. La responsabilité est donc ici politique, et non institutionnelle.

De même, qu'avons-nous fait pour relever les défis nouveaux de manière à sauvegarder notre système économique et social ? Nous en sommes convenus, l'appauvrissement de la nation est le principal problème auquel nous sommes confrontés. Les institutions en sont-elles responsables, ainsi que de la crise sociale que nous traversons ? Je ne le crois pas. Michel Winock a magnifiquement développé les valeurs et les principes républicains dont la mise à mal est à l'origine de la crise. Le problème essentiel est à mon sens la perte de foi dans le progrès scientifique et social. Les deux sont totalement indissociables : le progrès scientifique, c'est le développement technique et industriel, l'enrichissement collectif par la production de biens et de services, la croissance, la création de richesses, donc la possibilité de partager celles-ci, au nom de la solidarité nationale.

La place de la formation scientifique dans l'enseignement a régressé, de l'école à l'entreprise ; la formation initiale, professionnelle et continue a été malmenée et la crise de l'éducation nationale ne fait qu'aggraver le problème. Mais c'est aussi le cas de la place du travail tout au long de la vie, de sa reconnaissance, de sa rétribution, comme de celles de la production – depuis les travailleurs jusqu'aux investisseurs, familiaux ou non, sans parler du capitalisme social que nous n'avons pas su inventer alors qu'il fleurit dans tous les régimes de retraite des pays développés. S'y ajoute la rétraction de la foi dans le progrès, qui conduit aux idéologies du déclin, de la peur et de la décroissance, porteuses à mon sens de régression sociale.

Là encore, celle-ci ne vient pas des institutions mais de causes dont nous, politiques, sommes responsables : c'est le cas de la diminution de la place accordée à l'enseignement des sciences et de la culture scientifique ; c'est le cas aussi du moindre respect dont jouit la vérité scientifique à l'école, à l'université ou auprès de certains experts autoproclamés auxquels les plateaux de télévision et les médias en général donnent régulièrement la vedette, mais aussi, hélas, dans la haute administration et parmi nous, politiques. À la République des ingénieurs, qui prévalait au début de la Ve République, s'est substituée celle des énarques et des juristes. Il n'y a d'ailleurs aucun scientifique autour de cette table.

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