Il n'est donc pas étonnant que les idéologies de peur, irrationnelles, pèsent sur les décisions politiques et, ce faisant, compromettent le progrès social.
Parmi les nombreux autres éléments relevés par Michel Winock, la régression de la notion de solidarité me paraît également essentielle. Elle est née du monopole que détient aujourd'hui l'économie de marché et de l'évolution libérale des moeurs. L'excellent ouvrage de Dominique Schnapper L'Esprit démocratique des lois montre comment cette dernière évolution débouche sur un communautarisme opposé à l'esprit de la République et sur la défense d'intérêts particuliers contre l'intérêt général. Michel Winock a raison : l'économie de marché doit être régulée, ce que nous n'avons probablement pas assez fait, alternant stigmatisation du marché et acceptation des pires dérives spéculatives et des monopoles, dont celui de la grande distribution hégémonique et inhumaine qui nourrit l'obsession d'une consommation débridée.
Vous l'aurez compris, ma conviction est que les institutions ne sont pas le problème. Elles sont au contraire, avec l'État, l'un des deux éléments qui tiennent encore en France. C'est aux élus, aux hommes et aux femmes qui choisissent de se faire désigner par nos compatriotes pour prendre des décisions, qu'il appartient de réinventer un idéal puisque c'est de leur responsabilité que relève la perte de confiance. Changer les règles du jeu n'est pas la solution.
Avons-nous d'ailleurs été bien inspirés de modifier la Constitution pour voter des lois de décentralisation qui ont fait exploser la dépense de fonctionnement des collectivités sans apporter de véritable amélioration au niveau local, notamment en matière d'emploi ? Avons-nous été bien inspirés de voter la session unique parlementaire, à cause de laquelle nous passons un temps excessif à légiférer, de sorte qu'il y a maintenant 500 000 normes dans notre pays et que le code du travail compte 10 600 articles, contre 600 en 1970 ? Avons-nous été plus inspirés lorsque nous avons voté le quinquennat ? Je ne le crois pas. Lors de ces réformes, les études d'impact et l'évaluation ont fait cruellement défaut et cela aussi relève de notre responsabilité.
Il faut former les élus qui, au Parlement comme ailleurs, sont responsables de tout, parlent de tout, décident de tout, font la loi sur tout, sans connaître grand-chose à l'économie ni à bien d'autres domaines. Nous devons utiliser les nouvelles technologies de l'information et de la communication pour que les citoyens fassent directement part de leur opinion au pouvoir exécutif et au législateur, lequel pourra alors en tenir compte, fort de la légitimité qu'il tire de sa désignation démocratique. En revanche, je ne crois pas au changement pour le changement, ni au changement d'inspiration sondagière qui risquerait d'aggraver encore le mal.