Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de votre invitation. Deux questions se posent aujourd’hui concernant l’industrie de l’armement. Tout d’abord, pourquoi une industrie de l’armement ? Cette première question semble aller de soi, mais elle n’est pas si évidente. L’industrie de l’armement pose avant tout la question de l’autonomie stratégique et de l’indépendance nationale. Ainsi, à certaines époques, notamment lors du conflit irakien de 2003, les États-Unis ont refusé l’accès à plusieurs technologies. Par ailleurs, des pays émergents comme le Brésil ou l’Inde cherchent à se doter d’une industrie nationale de défense.
La seconde question porte sur les emplois. Il s’agit d’emplois de très haute technologie qui constituent un secteur important dans le cadre d’une politique de réindustrialisation, alors que l’industrie de l’armement, en particulier pour certaines technologies, est caractérisée par une forme de dualité.
Comment détenir une capacité de direction, sinon de contrôle, sur cette industrie ? À l’heure actuelle, le principal moyen reste le financement, notamment de la recherche et du développement. C’est par ce biais que la France et l’Europe pourront maintenir une industrie de défense. Aux États-Unis, si les budgets de la défense poursuivent actuellement leur baisse entamée au début des années 1990, les crédits de recherche et développement sont constamment maintenus. Le pays préserve par là l’avenir de son industrie.
S’agissant du contrôle, il se fait toujours par le biais du financement, d’autant que les entreprises du secteur des technologies de défense ne réalisent pas d’autofinancement, parce qu’il n’existe pas de véritable marché. Des crédits publics doivent donc financer cette industrie. Naturellement, des formes d’autofinancement peuvent exister, mais elles ne sont pas souhaitées par l’industrie, et c’est compréhensible.
L’époque où le contrôle passait par l’actionnariat public est révolue, comme le montrait un rapport de la Cour des comptes, publié il y a quatre ans, qui soulignait les failles de l’actionnariat public en matière de contrôle. Celui-ci ne constitue donc pas l’instrument principal du contrôle. En outre, il peut se révéler gênant en cas de consolidation au niveau européen. D’autres formes de contrôle, distinctes de l’actionnariat public, peuvent exister, telles que les golden shares ou des mesures un peu consistantes en matière de droits de propriété intellectuelle. En réalité, il faut d’abord contrôler les technologies, puis maintenir des emplois de qualité sur le territoire.
Il faut noter qu’une perte contrôle peut se développer « par le bas » : il y a des filières de composants qui ne sont plus fabriqués en France, ce qui peut faire peser des risques sur notre sécurité d’approvisionnement. Ce sujet doit faire l’objet d’une vigilance particulière.
Quant à la dualité, elle est avant tout une question de financement. Elle doit permettre d’obtenir des crédits en dehors de ceux réservés exclusivement à la défense et aux technologies du futur. Elle semble plus facile à réaliser dans certains secteurs industriels, comme l’électronique, que dans d’autres. Elle n’est pourtant pas une panacée : certains domaines relèvent exclusivement de la défense, et nécessiteront des financements purement dédiés à la défense.
La dualité invite surtout les entreprises à s’organiser, à accentuer la porosité de leur organisation, pour diffuser de manière plus fluide des technologies entre les secteurs civil et militaire. À ce titre, elle pose également la question de l’accès aux marchés civils. Les entreprises qui relèvent uniquement de la défense ont souvent du mal à entrer sur les marchés civils, qui requièrent une compétitivité permanente.
J’en viens à l’Europe. Une réglementation, qui visait initialement à développer une industrie plus compétitive et à réaliser des économies, se développe au niveau européen. Mais l’Europe offre aussi, de plus en plus, des financements pour les technologies duales, comme elle l’a fait dans le septième programme cadre de recherche et de développement et comme elle le fera dans Horizon 2020. Dans les années à venir, les institutions européennes doivent également présenter une initiative en matière de recherche de défense au niveau européen, voire constituer des capacités.
Les parlementaires français doivent impérativement suivre très attentivement ce qui se fait au niveau européen, et s’inscrire dans le débat. Après un Conseil européen en décembre 2013, la Commission européenne a publié une communication et une feuille de route. Un point d’étape sera réalisé en juin 2015. Des débats sont en cours, notamment sur la question du périmètre de l’industrie de défense ou du contrôle des investissements étrangers. Il faut en faire partie.
Enfin, la diminution des budgets de défense nationaux devra nécessairement s’accompagner d’un accroissement des exportations. Mais ce principe recèle des limites : en effet, les exportations relèvent de la politique étrangère et de la diplomatie et peuvent donc se trouver contraintes, comme l’a illustré récemment l’affaire des Mistral de la Russie.