Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux d’abord vous remercier de votre invitation, qui me donne l’occasion de m’exprimer devant vous sur ce sujet d’importance. L’industrie de défense est très sensible à l’intérêt que le Parlement porte à son avenir. Sans répéter ce qui a déjà été dit, je vais essayer d’ajouter quelques éléments au débat.
M. Maulny a très bien exposé les raisons d’être de l’industrie de défense. J’ajoute que notre industrie de défense est extrêmement performante et que nos compétences sont rarement égalées dans le monde. Hier, j’avais la chance d’assister aux voeux du Président de la République aux forces armées, sur le porte-avions Charles-de-Gaulle. Seuls deux pays au monde disposent d’un porte-avions à catapulte : les États-Unis et la France. Le fait que notre pays soit numéro un ou numéro deux dans un domaine industriel est suffisamment rare pour être souligné. Et je ne parlerai pas du secteur aéronautique, car on m’accuserait de ne parler qu’en qualité de président du Conseil des industries de défense françaises ou du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales…
Cette performance résulte d’un investissement avisé, dans la durée. Elle est possible parce qu’il y a des commandes nationales. Le modèle d’activité de notre industrie de défense a toujours été un modèle mixte, basé à la fois sur l’export et la commande nationale. Les exportations permettent aux industriels de dégager des capacités d’autofinancement, car elles existent, Jean-Pierre Maulny, notamment dans les transferts vers le civil, mais c’est bien la commande nationale qui donne la référence. Les retombées économiques, sociales et technologiques de cette commande profitent à l’ensemble de l’économie nationale. L’industrie de défense n’est pas un vase clos, voire un peu plus large dans le cas des entreprises duales, dont je parlerai dans quelques instants : ses résultats bénéficient à l’ensemble de l’économie.
Nous sommes conscients des contraintes budgétaires auxquelles est confronté notre pays. Dans le cadre de l’élaboration de la loi de programmation militaire, la LPM, nous avons d’ailleurs travaillé en relation étroite avec les décideurs publics, afin qu’elle prenne en compte ces contraintes tout en préservant au mieux l’autonomie stratégique et la capacité industrielle de notre pays. Toute remise en question du volet « équipement » de cette LPM remettrait en cause tous les équilibres auxquels nous sommes arrivés.
Comme cela a déjà été dit, elle affecterait notre sécurité, puisque l’accès souverain aux technologies n’est pas démontré. Elle mettrait également en danger une industrie qui, je le rappelle, pèse dans l’économie française 165 000 emplois directs et indirects, non délocalisables et hautement qualifiés, et 4 000 PME sur l’ensemble du territoire. L’industrie de défense représente 5 à 10 % de l’emploi industriel de plusieurs régions clés, notamment l’Aquitaine, la Bretagne, le Centre, l’Île-de-France et Provence-Alpes-Côte d’Azur. Elle est le principal acteur économique de plusieurs bassins d’emploi, en particulier Bourges, Brest, Cherbourg, Cholet, Fougères, Lorient, Roanne ou Vendôme.
Nous nous inquiétons donc du report de charges considérable opéré sur le programme « Équipement des forces ». Ce report était de 2,4 milliards d’euros à la fin de l’année 2013, et il aura au mieux été stabilisé en 2014. Par ailleurs, une incertitude très forte pèse sur les ressources exceptionnelles, sans lesquelles la LPM n’est pas équilibrée et perd tout son sens. Sur ce point, je ne partage pas tout à fait l’opinion de M. Brune : je suis prêt à étudier toutes les solutions, y compris celle des sociétés de projet si elle peut permettre de sécuriser les recettes exceptionnelles.
Au vu du niveau actuel d’investissement prévu par la LPM, on pourrait se demander s’il existe des marges de manoeuvre. Pour ma part, je considère qu’il s’agit d’un plancher incompressible, que nous avons déterminé en toute bonne foi, en toute transparence et en interaction très étroite avec l’ensemble des décideurs publics, qu’il s’agisse du ministère de la défense, de la commission de la défense de l’Assemblée nationale ou de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat. Nous avons travaillé ensemble et convenu d’appliquer cette loi jusqu’à son terme.
Une baisse des achats de l’ordre d’un milliard d’euros par an, soit 10 % du niveau d’investissement actuel, menacerait 15 000 emplois directs et indirects. Surtout, il faut savoir que l’impact d’une baisse du budget d’équipement n’est pas linéaire : le nombre d’emplois détruits n’augmente pas en proportion de la baisse. Il existe des effets de seuil : en dessous d’un certain niveau d’investissement, c’est toute une équipe qui disparaît. Si l’on diminuait l’effort d’équipement d’un quart, soit une baisse de 2,5 milliards d’euros sur 10 milliards, 50 000 emplois directs et autant d’emplois indirects seraient menacés : le choc social aurait la même ampleur que celui causé par la crise de la sidérurgie en Lorraine entre 1970 et 1990. La disparition des emplois induits serait comparable à la baisse des effectifs dans le secteur automobile depuis 2007.
Une telle situation ne serait certes pas acceptable, mais tout de même gérable si elle ne nous obligeait pas à tailler dans notre capacité à préparer l’avenir. Pour la première fois, des pans entiers de capacités intellectuelles et d’excellence technologique seraient remis en cause. Bref, je n’insiste pas plus longtemps mais je pense avoir montré combien le maintien de l’effort d’équipement était important.
Je terminerai en évoquant les entreprises duales. La plupart des entreprises de défense, celles qui en avaient la possibilité, ont accompli leur mutation, depuis le milieu des années 1990. Aujourd’hui, l’industrie de défense est très majoritairement duale. Si les craintes que je viens d’exprimer devaient se concrétiser, les entreprises duales seraient obligées d’en tirer les conséquences et d’accélérer leur mutation vers le « tout civil ». Or, ce modèle est bon lorsqu’il fonctionne, comme pour Airbus aujourd’hui, mais il ne faut pas oublier les contraintes concurrentielles – je pense notamment à la parité euro-dollar. Enfin, compte tenu des liens technologiques, humains et économiques entre les différentes activités de ces mêmes entreprises, des dizaines de milliers d’emplois supplémentaires seraient menacés dans le civil. On observerait un effet « boule de neige » et on se priverait de nouvelles filières industrielles. Bref, une remise en cause de la loi de programmation militaire serait aujourd’hui catastrophique pour l’industrie.