Intervention de Jean-Marc Todeschini

Séance en hémicycle du 15 janvier 2015 à 9h30
Débat sur l'avenir du secteur industriel de défense et des capacités de maintenance industrielle des matériels — Débat

Jean-Marc Todeschini, secrétaire d’état chargé des anciens combattants et de la mémoire :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je souhaite tout d’abord excuser le ministre de la défense, qui ne pouvait être présent aujourd’hui. C’est un honneur pour moi, autant qu’un plaisir, d’être avec vous pour ce débat sur l’avenir du secteur industriel de défense et des capacités de maintenance industrielle des matériels.

Permettez-moi d’abord de rappeler, dans ses grandes lignes, ce qu’est la stratégie industrielle du ministère de la défense. Elle se décline dans les cinq dimensions du rôle général de l’État vis-à-vis des industries en France : l’État client, l’État stratège, l’État régulateur, l’État promoteur, et enfin l’État actionnaire.

Au titre de l’État client, il s’agit de garantir la pérennité de l’industrie par le biais de la commande publique nationale, mais aussi par une expertise technique qui permet à nos industries d’être au meilleur niveau mondial. Je veux rappeler ici que le ministère de la défense, notamment la direction générale de l’armement, reste le premier investisseur de France, avec 17 milliards d’euros consacrés en moyenne chaque année aux équipements de défense.

En tant qu’État stratège, il s’agit d’éclairer les besoins futurs et de définir les axes de développement stratégique et technique.

Au titre de l’État régulateur, le ministère dispose des pouvoirs réglementaires pour protéger des actifs industriels essentiels vis-à-vis des démarches de prédation, d’ingérence économique et de pillage technologique.

L’État promoteur, de son côté, valorise nos produits industriels nationaux à l’export. C’est là encore une démarche forte du ministre de la défense, qui s’engage personnellement pour contribuer au rayonnement de la France, mais aussi pour assurer le plan de charge des industriels concernés et concourir à la réduction de leur dépendance à la commande publique.

S’agissant enfin de l’État actionnaire, il s’agit d’avoir une capacité d’orientation stratégique des sociétés concernées, notamment dans leurs différentes opérations de consolidation. J’y reviendrai dans un instant au sujet du rapprochement entre les entreprises Nexter et KMW, baptisé Kant, que vous avez déjà dû largement évoquer.

Voilà, en quelques mots, les cinq volets de la stratégie industrielle du ministère de la défense. À travers chacun d’entre eux, de façon transversale, on peut dégager quelques grands principes d’action, que je présente rapidement et simplement ici.

Il s’agit tout d’abord de privilégier l’acquisition de nouvelles compétences au bénéfice des entreprises et des savoir-faire nationaux.

Il s’agit ensuite de favoriser les politiques de consolidation, nationale ou de préférence à l’échelle européenne, en recherchant là encore la garantie du maintien sur le territoire des compétences et des savoir-faire les plus sensibles et les plus pointus. Kant s’inscrit pleinement dans cette logique, décrite dans le Livre blanc.

En matière de coopération, il convient de se fonder sur le principe de l’excellence technique, qui rejoint souvent à moyen terme la question des dépendances mutuelles ; le domaine des missiles, avec le missile franco-britannique ANL, en est un bon exemple.

Enfin, en matière d’accessibilité aux marchés, il faut renforcer les possibilités offertes aux petites et moyennes entreprises et aux entreprises de taille intermédiaire par divers dispositifs incitatifs, que le ministre de la défense a lancés et dynamisés avec le Pacte Défense PME.

Le ministère de la défense, premier investisseur de l’État, développe donc une politique industrielle dans toutes les dimensions de son activité. L’objectif est à la fois d’être efficace à court et moyen termes, mais aussi de développer une vision stratégique pour prévenir les éventuelles surprises.

Cette stratégie, telle que je viens de vous la présenter brièvement, se décline concrètement dans le projet Kant.

Ce projet, dont les principes généraux ont été rendus publics le 1er juillet dernier, vise à rapprocher Nexter et KMW sous la forme d’une société commune, détenue à 50 % par l’État français et à 50 % par les actionnaires actuels de KMW, le groupe familial Wegmann. Ce nouvel ensemble constituera un leader européen de l’armement terrestre, capable de faire jeu égal avec les plus grands acteurs mondiaux du secteur, comme les deux leaders actuels du marché – les acteurs transatlantiques General Dynamics et BAE Systems – qui réalisent chacun un chiffre d’affaires quatre à cinq fois supérieur à ceux des acteurs européens les plus importants. Un tel ensemble pourra offrir une gamme élargie de produits, bénéficiera des compétences et savoir-faire complémentaires des deux sociétés, et sera suffisamment compétitif pour assurer son développement dans la durée, notamment à l’export.

Pendant des décennies, l’industrie d’armement terrestre européenne s’est surtout appuyée sur la réalisation de programmes nationaux d’équipement. Compte tenu de la réduction des budgets de défense européens, cette industrie doit désormais, plus que jamais, chercher à l’export, auprès d’une clientèle élargie, les moyens d’assurer son développement.

Cette obligation de développement est encore accrue par l’arrivée, sur les mêmes marchés tiers, des industries d’Amérique du Nord et des pays émergents. Dans ce contexte, les acteurs qui veulent conserver une offre globale dans le secteur terrestre doivent accroître leur taille pour gagner en efficacité et en compétitivité. Le nouveau groupe disposera à cet égard d’une offre complète d’engins blindés, armes, systèmes d’armes, munitions et services, au bénéfice des forces terrestres et aéroterrestres.

Cette opération, je veux le souligner, démontre la capacité de l’État à engager des démarches structurantes pour ses entreprises. L’État fait ici, pour l’armement terrestre, ce qu’il a fait avec Airbus.

Je précise qu’il ne s’agit pas d’une cession des parts de l’État, mais d’un apport de cette participation au sein d’une structure rassemblant Nexter et KMW, détenue à 50-50. En outre, l’État détiendra une action spécifique dans Nexter Systems, afin de protéger les actifs stratégiques pour la France que l’entreprise détient. L’État reste donc un soutien effectif.

C’est dans ce cadre que le Parlement est sollicité pour autoriser l’opération de transfert au secteur privé. Il s’agit de l’article 47 du projet de loi pour la croissance et l’activité du ministre de l’économie, dont la rapporteure est Mme Valter. En parallèle, de nombreux chantiers juridiques et financiers sont en cours pour réaliser l’opération au cours du premier trimestre.

Le sujet plus particulier du maintien en condition opérationnelle, le MCO, est l’autre point à l’ordre du jour de cette audition. Je voudrais ici souligner les points essentiels de la politique du Gouvernement dans ce domaine.

Le maintien en condition opérationnelle des systèmes d’armes recouvre deux ensembles : des activités de maintenance opérationnelle, réalisées par les forces, et des activités de maintenance industrielle, réparties entre acteurs étatiques et privés. Pérennité et performance du tissu industriel sont donc indispensables au succès des armées, et vous comprenez que la juste répartition entre l’État et le privé des activités de maintenance constitue une question structurante.

Le MCO est désormais au premier rang des priorités pour les années à venir. En effet, dans un contexte de tension accrue sur les effectifs et de sophistication technologique croissante des systèmes d’armes, le constat est que la disponibilité de nos équipements baisse et qu’il convient de la restaurer pour que nos troupes puissent atteindre les standards de l’OTAN.

Cela passe en premier lieu par une évolution de gouvernance. Ainsi, il a été décidé d’appréhender plus globalement le MCO, en commençant par le milieu aérien compte tenu de son poids budgétaire – il représente 62 % du budget consacré au MCO – et de son caractère interarmées. Dans le cadre de la réforme du MCO aéronautique lancée au printemps dernier, la responsabilité et le contrôle de ce MCO ont été confiés au chef d’état-major de l’armée de l’air, ce qui englobera les besoins aéronautiques de chacune des armées et qui passe par une modernisation de la Structure intégrée de MCO des matériels aéronautiques de la défense, la SIMAD.

Cela passe également par une plus grande globalisation des contrats de MCO, en ne limitant pas les prestations commandées à l’industrie aux seules réparations de matériels et approvisionnement de rechanges, mais en y incluant des activités logistiques, dès lors que ce service permet de répondre aux besoins des forces avec un bilan économique favorable. Cette orientation renforce la possibilité de nouveaux entrants dans le domaine du MCO, s’agissant des opérateurs logistiques.

Cela passe enfin par une nouvelle politique d’acquisition, qui conduit à appréhender globalement acquisitions, rénovations et MCO des systèmes d’armes. Cette orientation est l’un des éléments majeurs de la réforme du MCO aéronautique lancée au printemps dernier.

Cette approche globale permet de dégager de meilleures solutions, de renforcer la capacité de négociation de l’État et de minimiser l’indisponibilité des matériels. Elle ne peut pas être dissociée d’une politique industrielle d’ensemble, afin d’assurer une approche cohérente sur le cycle de vie des systèmes d’armes.

En la matière, le milieu aéronautique a fait l’objet d’une réflexion approfondie à l’occasion de la création du Service industriel de l’aéronautique, le SIAé, en 2008. Par cette décision, l’État a confirmé sa volonté de disposer de deux piliers pour assurer la maintenance industrielle des matériels aéronautiques : l’ensemble des industriels privés d’une part, le service étatique d’autre part.

Il s’agit pour l’État d’avoir l’assurance dans la durée que les matériels seront soutenus dans des conditions maîtrisées, dans un contexte où pour de nombreux acteurs industriels, le client « défense » n’est pas prépondérant.

Les critères de répartition des activités de maintenance industrielle entre l’État et le privé peuvent également s’appliquer aux milieux terrestre et naval, même si les contextes sont différents et les dépenses moindres.

Le milieu terrestre est notamment caractérisé par une forte activité étatique réalisée par le Service de la maintenance industrielle terrestre. À la différence du SIAé, le SMITer réalise non seulement des activités de soutien industriel répondant à des logiques d’efficience et de productivité, mais aussi un volume important d’activités de soutien opérationnel répondant à une logique d’efficacité et de réactivité.

Le milieu naval est, quant à lui, marqué par une part d’activité étatique relativement faible et un industriel privé dominant, DCNS.

La relation de la défense avec les industriels est donc complexe. Le ministère est à la fois responsable de la pérennité à moyen et long termes de la base industrielle et technologique de défense, mais il doit aussi optimiser sa politique d’acquisition pour répondre à des objectifs économiques se situant parfois à plus court terme. Bien que distinctes, politique industrielle et politique d’acquisition doivent donc faire l’objet d’une approche cohérente sur le périmètre de l’ensemble des prestations d’acquisition, de rénovation et de MCO des systèmes d’armes.

Voilà, mesdames et messieurs les députés, ce que je souhaitais dire à ce moment de nos échanges. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

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